Pour en finir avec le dry january (second et dernier épisode)

« Il est bien radical, ce garçon ! », vous dites-vous peut-être après avoir lu mon précédent post, où je disais tout le mal que je pense de la mode du dry january. Radical ? Pas si sûr quand, comme tout un chacun après une soirée trop arrosée, il m’est arrivé de jurer d’arrêter définitivement de boire… avant de reprendre trois jours après. Pour s’épargner ce genre de désagrément, mais surtout entretenir un rapport sain et équilibré à sa consommation d’alcool, il existe pourtant des méthodes autrement plus efficaces que le dry january. Les ayant personnellement expérimentées (comme beaucoup de personnes qui se rendent régulièrement à des dégustations), voici mes cinq conseils qui relèvent avant tout du bon sens. Même si chaque cas est unique, j’espère qu’ils pourront vous aider.


Conseil numéro 1
Arrêter une semaine quatre fois par an

Plutôt que d’arrêter de boire du vin tout le mois de janvier avant de reprendre de plus belle les onze mois suivant, mieux vaut s’arrêter une semaine chaque trimestre, histoire de se détoxifier et de vérifier à intervalles réguliers son absence de dépendance à l’alcool. Ce sera à la fois plus agréable et plus efficace.


Conseil numéro 2
Pas plus de dix verres par semaine

Selon la recommandation du ministère de la Santé français, évitez de dépasser, sauf exception, 10 verres de vin maximum par semaine. Soit deux verres par jour, cinq jours par semaine, histoire, là encore, d’éviter la dépendance tout en conservant le plaisir de la dégustation et des moments conviviaux autour du vin.


Conseil numéro 3
Déguster en pleine conscience

Ayez le réflexe, lorsque vous buvez un vin, même très simple, de réaliser ce que vous êtes en train de faire. Non pour culpabiliser, mais au contraire pour en profiter. Et éviter les excès. Même autour d’un petit beaujolais lors d’un barbecue entre amis, ne buvez pas par automatisme, mais réalisez au contraire à chaque gorgée le plaisir que vous prenez en dégustant ce vin et ce moment. Quel dommage, sinon, de boire juste par automatisme, sans même goûter et apprécier vraiment ce que l’on avale (ni réaliser la quantité que l’on ingurgite !). Si cela vous semble peu naturel au début, progressivement cette attitude deviendra un réflexe. Un excellent réflexe. Et si un doute survient à votre esprit, pensez à cette fameuse insulte du capitaine Haddock : « Boit sans soif ! ». Avec cette méthode, vous ne boirez plus jamais sans soif.

Dans le même esprit, lorsque vous ouvrez une belle bouteille, consommez-la de préférence en petit comité, avec des convives qui apprécient ce que vous leur offrez. Prenez le temps de suivre le protocole de dégustation, et durant ces quelques minutes privilégiées, concentrez-vous exclusivement sur votre plaisir, sans jeter un œil à votre portable ni entretenir la conversation sur un autre sujet. Échangez vos impressions avec celles et ceux qui vous entourent. Vous découvrirez là encore qu’il suffit de peu de vin de qualité pour éprouver beaucoup de plaisir.

 

Conseil numéro 4 Préférer les vins bio et nature

Quand vous prévoyez une période de fêtes bien arrosées, consommez autant que possible du vin bio, mais surtout nature, donc avec peu ou pas de soufre ajouté, de pesticides, d’arômes artificiels, d’additifs, et un minimum de manipulations ou de technologie. S’ils sont bien choisis, ces vins ne vous feront pas mal à la tête le lendemain. Ce qui ne signifie pas qu’on peut en boire plus pour autant.

Pour apprendre à ne pas se tromper sur un vin nature – ceux qui sont mal faits peuvent se révéler imbuvables ! -, plusieurs solutions. Se rendre chez un vrai caviste (éviter les chaines) s’il y en a un près de chez vous. Aller dans les salons du vin de votre région afin de pouvoir déguster avant d’acheter, mais aussi rencontrer des vignerons (les imposteurs se repèrent vite). Parmi les meilleurs salons – attention, certains sont réservés aux pros ! -, Millésime bio à Montpellier, La dive bouteille à Saumur, Sous les pavés la vigne, Biotop ou Le vin de mes amis à Paris… Le site Internet www.vinsnaturels.fr, la chaine tellementsoif.tv ou l’appli Raisin vous guideront aussi dans vos choix. Vous pouvez également vous procurer « Découvrir les vins bio et nature », le petit livre que j’ai publié chez Actes Sud en 2018, ou tout autre ouvrage sur ce sujet.

 

Conseil  numéro 5 Inventer ses propres apéros

J’adore boire un verre de vin avant de passer à table, en général lorsque je prépare le repas. L’un des meilleurs moments de la journée. Mais lorsque je sens que je ne vais pas contrôler ma consommation parce que j’ai cuisiné un bon petit plat ou que j’attends des invités, alors j’essaie de me passer de ce premier verre pour le remplacer par un cocktail sans alcool de ma composition (ou mocktail, pour reprendre une expression à la mode).

Si, en matière de vins, les produits sans alcool ne tiennent pas vraiment la route, dans le domaine des cocktails, en revanche, les recettes imaginatives et délicieuses pullulent depuis que les bars tenders se sont remué les méninges pour répondre à la demande de leurs clients. Distillats de plantes ou de fruits, sirops ou infusions d’herbes aromatiques, macérations de poivres, racines, baies, écorces et zestes en tous genres, textures variées grâce aux robots de cuisine… Dans ce domaine, où le fait maison est hautement recommandé, il n’y a pas de limites à l’imagination. Des boissons peu onéreuses, aussi bonnes pour le moral que pour la santé, que l’on peut partager avec les enfants pour un moment convivial. J’y reviendrai un jour en détail, mais sachez qu’il y en a pour tous les goûts, même sur Marmiton.

En ce qui me concerne, l’une de mes recettes favorites et toute simple est la suivante : un jus de citron pressé, pas mal de gingembre rapé, piment rouge, menthe verte ou basilic, sucre de canne liquide, Perrier, glaçons. Et voilà ! Autant dire que l’époque où seul le triste Virgin Mojito avait droit de cité sur la carte des bars branchés est bel et bien terminée. Il était temps.

A votre tour , si vous le souhaitez, de partager sur ce blog vos recettes et vos bonnes ou mauvaises expériences. Comme ça, tout le monde en profitera !

Pour en finir avec le dry january (épisode 1)

« Alors, ce dry january ? ». En cette fin janvier, l’heure du bilan a sonné. Surtout quand, en dehors des éternels débats autour des vaccins ou du feuilleton de la campagne présidentielle française, le fameux mois d’abstinence alcoolique importé des pays anglo-saxons est l’un des gros sujets de conversation du moment. Du moins dans les rares diners en ville que nous nous autorisons encore entre deux tests négatifs.

Personnellement, le dry january n’est pas ma tasse de thé  – ou plutôt mon ballon de rouge ! -, et lorsque j’ose assumer en public cette scandaleuse position, je suis prié d’avancer de solides arguments si je ne veux pas passer pour un indécrottable pochard. Comme l’antivax ou le climatosceptique (n’ayant pas toutes les tares, je ne suis ni l’un ni l’autre !), le « dryjanuarysceptique » est suspect. Forcément suspect. Avant que ce fameux mois de janvier abstinent ne se termine, voici donc ce que j’ai à dire pour ma défense.


Binge drinking et dry january, même combat ?

Mon premier argument est d’ordre quasi-philosophique. Se bourrer la gueule de pré-Noëls en Noël puis post-Noëls tout au long du mois de décembre pour expier ensuite son crime en janvier (avant de recommencer comme si de rien n’était le 1er février) ne me semble pas très sérieux. Et surtout pas la meilleure manière de bien gérer son rapport à une consommation excessive d’alcool. La privation n’est jamais bonne conseillère, car on finit toujours, à un moment ou à un autre, par craquer.

Binge drinking.

Cela me fait même furieusement penser au fameux « binge drinking » (damned, encore un terme anglais !), en vogue chez certains jeunes qui restent sobres la semaine puis, le samedi soir, peuvent frôler le coma éthylique à force d’excès. Je sais bien que la mode est au jeûne et autres cures détox qui, une fois de temps en temps, sont excellents pour la santé. Mais la logique de “dents de scie” du binge drinking, qui est au fond la même que celle du dry january, ne vaudra jamais une consommation plaisir, saine, contrôlée et non compulsive de boissons alcoolisées de qualité… tout au long de l’année.

 

Cynisme et opportunisme

Mon second argument est d’ordre médical. Tous les chiffres montrent que le très lucratif marché des vins, bières et spiritueux sans alcool est en train d’exploser sous le coup de la mode du dry january. Preuve que les personnes qui désirent limiter leur consommation d’alcool ont toutes les peines du monde à se contenter d’amour et d’eau pure, et présentent une dépendance au minimum psychologique aux boissons alcoolisées.

Dans ce cas, mieux vaut regarder le problème en face et chercher une solution pérenne, plutôt qu’un mois sur douze. Ceux qui, comme moi, ont tenté d’arrêter la cigarette un mois et repris de plus belle ensuite savent de quoi je parle. Les industriels du faux vin ou de la fausse bière ne travaillent pas comme ils l’affirment pour défendre notre santé, mais leurs intérêts financiers. Ce ne sont d’ailleurs pas par hasard souvent les mêmes multinationales qui produisent à la fois des boissons alcoolisées et leurs ersatz sans alcool, histoire d’occuper l’ensemble du créneau commercial. Toutes ces entreprises ont en commun le même cynisme et le même opportunisme.

 

Le mirage des vins sans alcool

Mon dernier argument est d’ordre gustatif. Consommer des boissons imitant le vin relève de la double peine, puisqu’aucun des petits chimistes de l’œnologie industrielle n’a vraiment trouvé, même à coups d’arômes artificiels, la recette magique du bon vin (ou de la bonne bière) sans alcool. Et à mon avis ce n’est pas demain la veille qu’on y arrivera puisque, n’en déplaise à ces apprentis sorciers, le vin de qualité est un produit naturel ultra-complexe dont le processus d’élaboration remonte à 8 000 ans. Cela fait également 8 000 ans que par le miracle de la fermentation, le sucre du jus de raisin est transformé en alcool. Un vin sans alcool est donc une incongruité qui reflète bien la tendance de notre époque capricieuse, où l’on veut tout et son contraire. Si vous ne souhaitez pas boire de vin en janvier, alors un conseil, essayez le jus de raisin bio. C’est encore ce que vous pourrez trouver de plus satisfaisant pour réussir votre dry january, si vous n’arrivez pas à vous contenter d’eau.

Tout cela est bien gentil, me direz-vous, mais comment m’y prendre si je souhaite contrôler ma consommation d’alcool sans me priver du plaisir de boire des bons vins ? Il n’existe évidemment pas de solution miracle, mais quelques conseils de bons sens que j’ai personnellement expérimentés vous montreront sans doute la voie. Ou plutôt pourront vous aider à trouver la vôtre. Je vous les dévoilerai dès la fin officielle du dry january.

Alors vivement le 1er février !

Noël géorgien

A l’heure des consoles électroniques, des cours de yoga en ligne et des sextoys connectés, que diriez-vous d’offrir cette année un cadeau délicieusement rétro ? Un livre, par exemple. A vous qui, à trois jours de Noël, seriez encore en mal d’inspiration pour des parents ou ami(e)s amoureux de bons vins, d’aventures lointaines et d’Histoire, je propose d’acheter d’urgence Skin contact, voyage au pays du vin nu (Nouriturfu, 22 euros).

Rassurez-vous, il ne s’agit pas du énième bouquin sur les accords mets/vins ou de l’art de créer sa cave en dix leçons, mais d’un voyage original et inédit sur la piste des origines du vin, né en Géorgie il y a… 8 000 ans. Alice Feiring, la journaliste à l’origine de cette enquête aventureuse, est d’emblée qualifiée d’« emmerdeuse », par Thierry Puzelat, l’auteur de la préface. Et pour cause : en guerre contre « les vins californiens surboisés, surmanipulés, surextraits », cette Américaine au caractère bien trempé s’est, dès les années 2000, mise à enquêter sur les dérives du vinobusiness. Dans le documentaire Mondovino (2004), mais aussi à travers ses articles du New York Times ou du Wall Street Journal, elle dénonçait le (mauvais) rôle joué par son compatriote, le très influent dégustateur Robert Parker.

 

Le plus vieux pépin de raisin du monde

Mais dénoncer les vins bodybuildés à coups de chimie ou de technologie est une chose, et proposer des alternatives en est une autre. Aussi Alice Feiring a-t-elle décidé, en parallèle, de remonter aux sources du vin tel qu’on le fabriquait aux origines. Loin des ayatollahs branchés du vin nature – qui vendent souvent à prix d’or des produits pour certains merveilleux mais pour d’autres très mal élevés – Fering s’est donc rendue dans le pays où l’on a retrouvé le plus vieux pépin de raisin et la plus vieille amphore de vin du monde : la Géorgie.

Coincé entre la Russie et la Turquie, bordé par la mer Caspienne, cet état de la région du Caucase, avec ses 525 cépages indigènes et ses quelque 8 000 millésimes, est sans doute l’endroit dans le monde où l’on produit du vin de manière ininterrompue depuis le plus longtemps. Les Ottomans et les Perses ont eu beau arracher les vignes lors de leurs invasions (au prétexte que les habitants de ce pays y puisaient leur force et leur résistance), les Russes ont eu beau prendre leur relais sous l’ère communiste, rien n’y a fait. Les Géorgiens sont toujours accros à leur gvino (vin) comme s’il s’agissait de leur propre sang.

 

Des jarres assez grandes pour contenir un homme debout

Un vigneron géorgien devant sa qvevri. Photo prise en 1891 lors d’une mission scientifique.

Cet attachement explique sans doute pourquoi, chez les viticulteurs les plus attachés à la tradition, la manière de produire du vin a fort peu changé depuis les origines. Aujourd’hui encore, les raisins y sont écrasés dans des pressoirs très simples, et leur jus s’écoule dans d’énormes jarres en terre cuite enterrées (les qvevri), assez grandes pour contenir un homme debout. Lorsque la fermentation est accomplie, on verse le vin dans des cuves (autrefois des outres en peau de bufle). Et voilà.

Si le procédé parait simple, l’absence de chimie et de technologie oblige à avoir une hygiène irréprochable et impose une surveillance permanente afin que la cuvée ne tourne pas. Mais dans ce berceau de la viticulture où les visiteurs, lorsqu’ils entrent dans une maison, prennent des nouvelles du vin avant de s’enquérir de la santé de leurs hôtes, on ne recule devant aucun effort pour donner le meilleur de soi à la boisson nationale.

 

Une explosion d’eaux florales et de miel

Vignobles du monastère Alaverdi (XIe siècle, Kakheti, Géorgie). ASSOCIATION VIN GEORGIEN, TBILISSI

Les vins obtenus sont en majorité des blancs, mais comme la technique ancestrale géorgienne consiste à laisser macérer les raisins avec leurs peaux, il s’agit plutôt de « vins orange », à la texture dense. « Beaucoup de vins géorgiens sont tanniques, offrant une sensation comparable celle du tannin d’une tasse de thé vert, explique Feiring. Souvent, le palais éprouve une explosion sensorielle d’eaux florales et de miel, mais dépourvue de sensation sucrée ; on peut y trouver aussi des notes exotiques épicées de myrrhe et d’encens, évoquant l’intérieur d’une église. » Idéal, donc, pour accompagner la galette des rois au moment de l’Epiphanie. Les rouges, eux, sont d’une très grande diversité et peuvent couvrir toute la roue des arômes et la gamme des sensations.

Cette viticulture ancestrale, avec ses fameux qvevri, n’ayant fait jusqu’ici aucune concession aux modes, elle est devenue depuis une dizaine d’années le graal de tous les producteurs de vins biologique en quête d’authenticité et de simplicité. Au point que même les Texans se sont mis à fabriquer et vendre des qvevri made in America, et que quelques milliardaires illuminés rêvent d’aller cultiver les vins de Géorgie sur Mars. Les Géorgiens résisteront-ils à ce succès et à la folie du marketing, de l’argent trop facile ? Que se passera-t-il quand cette mode sera passée, tant les goûts fluctuent et évoluent ? Ce sont quelques unes des (bonnes) questions que pose l’auteur de Skin contact à la fin de son livre.

Alice Feiring, l’auteur de Skin contact, publié en France par Nouriturfu.

En attendant, laissez-vous emporter par cette enquête hors normes, où l’on croise Ramaz l’inoubliable paysan d’Iméréthie et ses nectars aux noms imprononçables, Givi le dernier vigneron de Staline, mais aussi une éleveuse de vers à soie, des chasseuses de vin naturel japonaises et tant d’autres personnages étonnants ou attachants. Une fois repu d’histoires, de paysages, de légendes et d’exotisme, il ne vous restera plus qu’à vous rendre sur le site de la boutique Colchide, dont le nom rappelle que la Géorgie est aussi le pays de la Toison d’Or, pour acheter quelques beaux flacons (environ 25 euros) et vous en régaler au coin du feu en rêvant à d’autres vies et d’autres mondes.

Joyeux Noël à toutes et tous !

 

A la redécouverte du Minervois (second et dernier épisode)

L’affiche 2019 du Vin de mes amis, la rencontre créée par Charlotte Sénat.

Un vin n’est authentique que s’il reflète le terroir dont il est issu, mais aussi le savoir-faire, la singularité de celui (ou celle !) qui l’a fait naitre et l’a élevé. En Minervois, où les artisans du vin sont très minoritaires face aux grands groupes viticoles qui pratiquent souvent des méthodes industrielles, Charlotte et Jean-Baptiste Sénat ont vite compris que les petits producteurs bio ne s’en peuvent s’en sortir qu’à condition d’être solidaires et unis. Par des intérêts communs, bien sûr, mais surtout par un idéal collectif, un esprit de résistance et une certaine idée de la convivialité.

 

Changer l’Aude en vin

A leurs débuts en Minervois, les Sénat avaient participé à l’éclosion d’une association de quinze vignerons bio de leur région, joliment appelée « Changer l’Aude en vin ». Cette aptitude à rêver, partager et apprendre de l’autre, qui est la marque des nouveaux vignerons en train de révolutionner le métier, est aussi l’un des secrets de leur réussite.

C’est dans cet esprit que Charlotte a créé en 2004 « Le vin de mes amis », une rencontre à la fois professionnelle et festive, où elle réunit chaque année fin janvier à Montpellier (lors du salon Millésime bio) – et à l’automne à la maison de l’Amérique latine, à Paris -, sa bande de copains vignerons venue des six coins de l’Hexagone (et même au-delà !).

Charlotte Sénat dans son domaine de Trausse-Minervois.

Avec des stars comme Antoine Arena (Patrimonio) ou Marcel Richaud (Cairanne), mais aussi des producteurs moins connus, ces rendez-vous permettent aux visiteurs de réaliser en un après-midi – et verre à la main ! – un petit tour de France de vignerons confirmés, passionnés et engagés. L’occasion de déguster des dizaines de vins au caractère affirmé, appréciés depuis longtemps par les amateurs de produits bio ou nature : les Cahors de Fabien Jouves, les Chinon de Catherine et Pierre Breton, les Morgon de Agnès et Jean Foillard, les Muscadet de Jo Landron, les Bordeaux de Christophe Pueyo, et de nombreux autres.

 

Echanger ses « quilles » et ses expériences

Un rendez-vous tout aussi enrichissant pour les amis de Charlotte, qui, lors du joyeux diner qui suit, échangent leurs « quilles », leurs expériences et leurs méthodes de fabrication en bonne compagnie.

L’amour du terroir étant au cœur de la philosophie défendue par Charlotte et Jean-Baptiste, je vous recommande, si vous passez sur leurs terres (appeler avant pour fixer un rendez-vous), de prendre le temps de profiter de cette région bénie des dieux. Proche de la mer, de la montagne, du Canal du Midi, de Carcassonne ou de Castelnaudary, le Minervois est aussi voisin (ou presque !) d’autres appellations en pleine révolution comme Limoux ou les Corbières, qui réservent aussi de très bonnes surprises.

 

Marbre rouge et cassoulet

Sentier à flanc de colline vers les carrières de marbre de Caunes-Minervois.

Personnellement, j’ai profité de ma visite aux Sénat pour m’offrir un grand après-midi de rando au cœur d’un site tout proche et peu connu : les carrières de marbre rouge de Caunes-Minervois (voir le circuit sur l’appli Visiorando). Une balade de rêve sans grosses difficultés, où l’on marche à même le marbre et où le vert des pins parasol tranche avec le rouge cerise des falaises mises à nu. Cette pierre a servi, entre autres, à la fabrication du Grand Trianon et d’une bonne partie des cheminées de Versailles. Aux beaux jours, un pique-nique s’impose, juché sur un immense bloc de marbre avec vue plongeante sur la plaine et ses vignobles. De quoi ouvrir l’appétit avant le cassoulet du soir, accompagné d’une cuvée « Bois des merveilles » du Domaine Sénat. Une certaine idée du bonheur sur terre.

A la redécouverte du Minervois (premier épisode)

Après une interminable période de confinements successifs qui ne se prêtait guère aux rencontres et à la dégustation, il était plus que temps de tomber le masque et d’enfin reprendre le chemin des vignes. Celui du goût, du plaisir, de la curiosité et de la convivialité.

En vacances du côté de Carcassonne (Aude), j’en ai donc profité pour pousser 25 kilomètres plus à l’est et rendre visite, sur son domaine de Trausse-Minervois, à Jean-Baptiste Sénat, l’un des meilleurs vignerons bio du Minervois. Il y a encore vingt ou trente ans, cette région (mais aussi les Corbières, toutes proches) trainait une mauvaise réputation. Celle héritée des temps anciens où, dans le Languedoc, on faisait « pisser » la vigne pour produire à la chaine et en immenses quantités des vins de médiocre qualité.

Jean-Baptiste, qui, enfant, venait en vacances dans la propriété viticole familiale, celle-là même qu’il a reprise en 1995, se souvient : « Ici, autrefois, c’était un pays de vigne, pas de vin. Une monoculture et une mono activité, un peu comme la mine dans le Nord. Les journaliers avaient droit à trois litres de rouge par jour. Pour eux, le vin était un aliment au même titre que le pain. Personne ne mettait en bouteille et on envoyait les raisins à la coopérative sans se soucier de la qualité. »

 

De l’Assemblée nationale à la vigne

Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts de l’Aude, mais si la qualité de la production s’est beaucoup améliorée, la majorité des vins locaux reste fabriquée de manière industrielle, mécanisée. La commercialisation, en quantités astronomiques, est à l’avenant. Seule une poignée de vignerons passionnés – dont pas mal de néoruraux – résiste à la standardisation et tente de montrer un visage plus humain, plus artisanal, plus personnel de cette superbe région viticole qui mérite d’être redécouverte.

Jean-Baptiste Sénat, dans son domaine de Trausse-Minervois.

« Tout quitter pour se reconvertir dans la vigne est devenu assez courant dans cette région où le prix de la terre reste abordable, explique Jean-Baptiste. Aujourd’hui, les jeunes qui viennent s’installer savent dès le départ le modèle qu’ils veulent suivre et n’hésitent pas à prendre des risques ; ce sont de vrais skatteurs ! ” Mais il y a vingt-six ans, lorsque sa femme Charlotte et lui ont fait le grand saut, ils étaient un peu des pionniers, et il fallait se débrouiller seuls ou presque. ” Nous qui voulions un changement de vie radical, on a été servis ! “, s’amuse aujourd’hui Jean-Baptiste, un grand costaud barbu qui, même la cinquantaine venue, ne déparerait pas dans l’équipe de rugby locale.

Difficile de croire, quand on le voit dans son chai en short et tee-shirt, que ce gaillard-là habitait voilà un peu plus d’un quart de siècle dans les beaux quartiers de Paris, travaillait à l’Assemblée nationale, et que Charlotte, qui gère la partie administrative et commerciale de l’entreprise, se destinait à une carrière juridique après ses études de Droit à Assas.

Lorsqu’à l’approche de la trentaine, tous deux ont eu envie d’autre chose, Jean-Baptiste a annoncé à ses parents – purs produits de la bourgeoisie parisienne – qu’il souhaitait exploiter lui-même la propriété familiale de Trausse-Minervois. C’est peu dire qu’ils n’ont pas sauté de joie. Les voisins du cru non plus, en voyant débarquer ces nouveaux venus. Ils ne se doutaient pas à l’époque que le domaine Jean-Baptiste Sénat deviendrait plus tard une référence dans la région.

 

Une vision affective du métier de vigneron

« Dès le départ Charlotte et moi avons eu une vision affective du métier de vigneron, explique Jean-Baptiste. Nous savions que nous voulions rester petits – nous ne possédons que 16 hectares ! – et produire des vins les plus proches possible de la nature et de l’expression du terroir. Lorsqu’on est passés en bio en 2005, cela s’est fait comme une évidence. Mais le plus dur pour moi a été de trouver mon style. »

Lui qui pensait connaitre le métier a dû tout réapprendre. Dans cette région marquée par la violence des paysages, du vent et de l’ensoleillement, sur cette terre où l’on produit traditionnellement des vins « virils », corsés et forts en alcool, Jean-Baptiste a vite choisi, lui, « d’appuyer sur le frein plutôt que sur l’accélérateur ». Autrement dit d’éviter les maturités excessives, les arômes trop boisés, pour élaborer des vins reflétant bien sûr le caractère local, mais plus en légèreté, en authenticité et en finesse.

Pour cela, plutôt que la syrah, un peu trop puissante à son goût, il préfère travailler les grenaches locaux pour leur côté floral, fruité, et les vieux carignans qui apportent fraîcheur et acidité. Dans le même esprit, Jean-Baptiste cultive ses sols en souplesse, travaille des vignes en gobelet pour bénéficier sur chaque cep d’un petit microclimat favorable. Avec son équipe de cinq personnes, il veille aussi à vendanger pile à maturité (et à la main !),  sans jamais égrapper afin de conserver un caractère végétal à son vin, et d’éviter qu’un trop fort degré d’alcool ne vienne masquer la subtilité des arômes.

 

Boire un vin comme un fleuve va à la mer

Le résultat de tout cela se retrouve dans le verre, au moment de la dégustation. De la plus modeste de ses cuvées (Arbalète et Coquelicots, aux notes de griotte, 10 euros) à la plus prestigieuse (Le Bois des Merveilles 2019, aux arômes de fleurs séchées, 25 euros), en passant par La Nine (15 euros), Ornicar (16 euros) ou bien son unique et joli blanc (Aux amis de ma sœur, 16 euros, où une touche de Chenin accompagne le grenache gris et le grenache blanc), les vins de Jean-Baptiste Sénat sont reconnaissables. Qu’ils soient élevés en fût ou en cuve, tous ont en commun cette finesse, cette sapidité et cette buvabilité qui font la différence avec les vins du sud ordinaires, qui trop souvent se ressemblent.

Dans le caveau de dégustation, les principales cuvée du domaine.

« Boire un vin comme un fleuve va à la mer » : cette devise qui guide Jean-Baptiste dans son métier de vigneron depuis plus de vingt-cinq ans ne figure pas par hasard sur chacune des bouteilles qui sortent de sa cave.

(Lire la suite dans le prochain post)

Visite de nouvel an à Jacky Blot, fameux vigneron du val de Loire (troisième et dernier épisode)

Jacky Blot peut aujourd’hui savourer son succès. Il y a trente ans, il s’est montré précurseur en choisissant de réaliser, à contre-courant des tendances de l’époque, des vins plus épurés, plus digestes, plus naturels et plus authentiques. Cela au moment où les pionniers de la nouvelle cuisine épousaient eux aussi cette voie, mais dans le domaine culinaire. Et si ces choix peuvent sembler une évidence aujourd’hui, Jacky Blot lui-même n’aurait jamais imaginé, voilà encore 15 ans, que son travail à la Taille aux Loups rencontrerait un tel succès.

Un vieux loup de terre

A l’époque, le bio a aussi été pour lui une évidence alors que personne ou presque n’y croyait, mais si Jacky a les pieds bien ancrés sur terre, il n’a pas forcément la tête dans les étoiles. Il ne cache pas, par exemple, son scepticisme (pour ne pas dire plus !) vis à vis de la biodynamie, cette pratique culturale qui prône de travailler en fonction des astres, et où l’on utilise des potions homéopathiques. « Trop ésotérique, trop sectaire !», juge celui qui avait 20 ans en 1968. Il ne fait pas non plus mystère de ses doutes sur les vins dits naturels, avec en principe très peu (voire pas du tout) de soufre (SO2), « ce qui les rend trop souvent déviants », estime Jacky, pas franchement admiratif non plus de « la petite Greta Thunberg » qui lui porte sur les nerfs.  « Il faut bien que jeunesse se passe ! », conclut notre vieux loup de terre.

Autant dire que prendre la suite d’une si forte personnalité qui marche avant tout à l’instinct n’est jamais simple.  La fille de Jacky – une Sciences Po – en a d’ailleurs fait l’expérience… avant – à son grand regret -, de jeter l’éponge. Son frère Jean-Philippe, après des études viti-oeno et deux longs séjours professionnels à Bordeaux puis en Nouvelle Zélande, a eu plus de succès. Douze ans que le père et le fils travaillent ensemble. Ils ont racheté des vignobles à Montlouis, Vouvray, mais aussi à Bourgueil où ils produisent un joli rouge bio – le domaine de la Butte – à la fois fruité, élégant, boisé et charpenté. Ils sont aussi en train de creuser de nouvelles caves afin de répondre à l’agrandissement du domaine, mais aussi parce que, rappelle Jacky, « ces vins ont un potentiel de garde important. Ces caves vont nous permettre de proposer des millésimes de plus de dix ans à nos clients. »

Le grand défi du réchauffement climatique

Mais pour Jean-Philippe, l’enjeu véritable, c’est le réchauffement climatique. « Autrefois on vendangeait fin octobre, aujourd’hui début septembre. Or à cette période de l’année, les températures peuvent monter très vite et il faut se montrer super réactifs pour vendanger les raisins pile à maturité. Autant dire qu’arriver à mobiliser en deux jours plus d’une centaine de personnes, sans parler du matériel, n’est pas une petite affaire ! »

Ce sera demain à Jean-Philippe, et à lui seul, de relever ce défi.

Visite de nouvel an à Jacky Blot, fameux vigneron du val de Loire (épisode 2)

Ne cherchez pas le label bio sur les étiquettes du domaine de la Taille aux Loups. Non que ces vignes ou ces vins soient bourrés de Round up et autres poisons légaux, mais parce que Jacky Blot, le maitre des lieux, a délibérément choisi de ne pas communiquer là-dessus. « Nous travaillons en bio depuis le début et les 7 hectares que j’ai rachetés en 1988 à Lucette et André n’ont jamais vu un herbicide, explique Jacky. Non seulement nous sommes certifiés en bio, mais nous allons même au-delà des normes requises. Je ne tiens pas particulièrement à l’afficher car ce sont les gens qui mettent des saloperies dans le vin qui devraient l’indiquer sur leurs bouteilles et non ceux qui, comme nous, travaillent normalement. »

Pas de sucres ajoutés ni de levures chimiques

Jacky préfère donc mettre en avant ces choix radicaux qui, dès le début, ont marqué sa différence et sérieusement secoué l’appellation Montlouis. Par exemple le travail de fourmi dans les vignes pour garder les sols vivants ; une taille conduisant à de faibles rendements (35 hectolitres à l’hectare et 25 pour les rouges du domaine de la Butte, à Bourgueil) ; la sélection massale (qui permet de multiplier et de replanter les vignes d’un terroir précis plutôt que d’aller chercher des clones chez le pépiniériste) ; les vendanges manuelles en plusieurs étapes afin de cueillir le raisin juste à maturité ; les tables de tri au bout de chaque rang de vigne pour écarter toute grappe de moindre qualité ; le refus des levures chimiques. Et enfin la vinification et l’élevage en futs (dont 8 % de neufs) qui trahissent le penchant de Jacky pour la culture bourguignonne.

Autres marques de fabrique de la Taille aux Loups : la volonté d’éviter une seconde fermentation (dite malolactique) pour garder aux blancs leur fraicheur et leur typicité, aucune chaptalisation (le fait d’ajouter du sucre pour augmenter le degré d’alcool) afin d’obtenir des vins vraiment secs et purs. On pourrait aussi évoquer le choix assumé d’une large gamme de sélections parcellaires, afin d’exprimer au mieux l’identité de chaque mini terroir avec la géologie, l’ensoleillement et l’expression qui lui sont propres.

20 sur 20 pour le Triple zéro

Après quelques années de tâtonnements, les résultats ont vite été au rendez-vous. Sec et droit, à la fois floral et minéral, tendu et très légèrement salin, le Triple zéro de Jacky Blot (18 euros) est devenu un pétillant naturel de référence qui mériterait un 20 sur 20 dans sa catégorie. Succès également pour les blancs de la Taille aux Loups, d’une belle complexité due à l’élevage en fut, même si le bois reste à mon goût un peu trop présent. Ces vins gardent néanmoins de la fraicheur, de belles notes florales et sur certaines cuvées les arômes de coing propres aux chenins de Loire.

« J’ai pu me permettre de chambouler l’appellation parce que j’étais courtier en vins, et comme je gagnais correctement ma vie, je n’attendais aucun revenu du domaine », reconnait Jacky, conscient que tous les vignerons ne peuvent pas s’offrir ce luxe. Au début, seul Christophe, qui travaille aujourd’hui encore à plein temps sur le domaine, était salarié, et les bénéfices systématiquement réinvestis dans le domaine.

Sauvé par ses clients

Le succès venant, la jalousie, son éternelle compagne, a fini par pointer le bout de son nez. Et puisqu’on parle de nez, en 1996, les cuvées 1995 de la Taille aux Loups ont fini par être déclassés de l’appellation sous d’obscurs prétextes,  le principal grief contre ces vins étant qu’ils sortaient un peu trop souvent en tête des dégustations à l’aveugle. « C’était comme dans Jean de Florette, se rappelle Jacky Blot. Sauf qu’au lieu de nous couper l’eau, on nous coupait nos revenus. Nous faisions à l’époque l’équivalent en francs de près de 200 000 euros de chiffre d’affaire. En perdant l’AOC, notre stock n’en valait plus que 20 000». Et c’est là que le miracle s’accomplit. « J’ai expliqué la situation à nos clients, raconte Jacky, les yeux encore humides lorsqu’il évoque ce souvenir. Et tous ont continué à acheter notre prétendu vin de table au prix du Montlouis. »

Maintenant que son domaine est connu et reconnu, Jacky Blot n’aurait aucun problème pour faire face à ce genre de tour de passe-passe. Il l’a d’ailleurs prouvé lorsqu’en 2014, comme François Chidaine (autre grand nom de l’appellation Montlouis), il a été contraint de vendre en vin de France ses magnifiques Vouvray – que je recommande ! – sans que cela se ressente sur les ventes. Mais en 1996, ce sont bel et bien ses clients qui ont sauvé la Taille aux Loups.

(Suite et fin au prochain post)

Visite de nouvel an à Jacky Blot, fameux vigneron du Val de Loire (épisode 1)

Qui a dit que le vin (consommé à doses raisonnables !) serait mauvais pour la santé ? Ce 2 janvier 2020, alors que je remontais vers Paris après un réveillon à La Rochelle, j’ai passé un coup de fil à Jacky Blot – l’un des plus fameux vignerons du Val de Loire -, pour savoir si je pouvais lui rendre visite dans l’après-midi.

Alors qu’au lendemain de la Saint Sylvestre, le commun des mortels émerge la bouche pâteuse et un sac de glace sur la tête, Jacky, lui, pète la forme et, sous sa moustache poivre et sel frémissante, affiche un sourire bonhomme. A 72 ans, il en parait dix de moins et manipule comme une fleur un lot de caisses dans le caveau où ses équipes accueillent le public qui se presse au domaine de la Taille aux Loups.

A Montlouis, petite commune viticole des bords de Loire située entre Tours et Amboise, il y a un avant et un après Jacky Blot. Avant 1988, cette appellation sommeillait en belle endormie à l’ombre de sa prestigieuse voisine : Vouvray. Jusqu’à ce que cet ancien fondu de parachutisme sportif devenu courtier en vin atterrisse à Tours, puis décide avec son épouse Joëlle de passer de l’autre côté de la force en rachetant une poignée d’hectares de vignes à Montlouis.

Un flair digne d’un chien truffier

A l’époque, Jacky, fils d’ouvrier agricole breton, n’a jamais touché un sécateur de sa vie, mais doté d’un flair digne d’un chien truffier et de convictions aussi trempées que son caractère, cet entrepreneur-né va devenir trente ans plus tard l’une des figures marquantes du vignoble ligérien. L’un des grands prêtres du chenin (unique et magnifique cépage blanc cultivé en AOC Montlouis). Et souvent l’ami de clients fidèles accros à ses blancs bio, racés et bien élevés (au sens premier du terme) dont la plupart ne dépasse pas les trente euros. Un prix raisonnable pour des vins qui ont l’ambition, pour les meilleurs, d’être bus dans vingt ans.

Lorsqu’il rachète à Lucette et André leur propriété de 7 hectares, ce couple de vignerons communistes partant à la retraite habite le rez-de-chaussée d’une bicoque dont Jacky m’exhibe les photos avec émotion. A l’étage, ils accueillent les SDF qui viennent frapper à leur porte. Plus loin, un hangar s’écroule à moitié sur le vieux tracteur et un pressoir en ferraille. Les dégustations se font à la cave, creusée dans le roc.

Qualité et authenticité

Trente ans plus tard, ce domaine, rebaptisé à l’époque « La Taille aux Loups » par son nouveau propriétaire, compte une trentaine d’hectares. Les locaux d’accueil (où se vend un tiers de la production) ont été installés dans une ferme voisine et retapés à l’ancienne autour d’une grande cheminée de pierre ; plusieurs nouvelles caves ont été rachetées ou creusées. Jacky a aussi acquis du matériel moderne, embauché du personnel (une vingtaine de personnes aujourd’hui). Et séduit une clientèle de qualité issue du monde entier.

Découvrir la success story de Jacky Blot, c’est suivre une belle aventure, bien sûr,mais aussi comprendre comment, en trente ans, les vins de Loire si longtemps sous-estimés sont devenus des références, du moins pour les domaines qui ont choisi de miser sur la qualité, l’authenticité. Et un marketing souriant.

(Lire la suite au prochain post)

 

Loudenne : l’éveil de « la belle endormie » du Médoc

Avez-vous déjà entendu parler de l’hôtel Païva ? Construit sur les Champs-Elysées au milieu du XIXe siècle, cet hôtel particulier a été offert par l’un de ses nombreux maris à la courtisane Thérèse Lachmann (plus connue sous son titre de marquise de Païva). Aujourd’hui, le grand public a oublié cette belle marquise et son incroyable palais où, sous les ors et les marbres, sommeille le souvenir des fêtes d’autrefois. Mais cet hôtel, devenu le siège d’un club privé très sélect, ressuscite parfois son brillant passé en recevant quelques hôtes extérieurs.

 

Un lieu mythique

C’est dans ce palais, donc, que Château Loudenne, autre lieu mythique, a choisi de présenter sa « renaissance » à la presse. Longtemps qualifié de « belle endormie », le fameux domaine viticole du Médoc est situé  sur les rives de la Garonne, à deux pas de Saint-Estèphe. Comme l’hôtel Païva, cette chartreuse XVIIe fut longtemps le rendez-vous chic et branché de l’intelligentsia et des grands propriétaires bordelais. Outre le vin, bien sûr, on y cultivait aux XIXe et XXe siècle une certaine idée de l’art de vivre, du raffinement et de la légèreté.

 

Tombé dans l’oubli à la fin du XXe siècle à la suite de divers rachats plus ou moins heureux, Loudenne, qui appartient désormais à la Maison Camus (cognac) et à un groupe de spiritueux chinois, vient de se donner les moyens de renouer avec sa splendeur passée pour retrouver son juste rang parmi les plus grands vins de Bordeaux. Pour cela les nouveaux propriétaires ont modernisé les chais, rajeuni l’image du château, développé l’œnotourisme haut de gamme et demandé à Philippe de Poyferré – un ancien de Ducru-Beaucaillou -, de prendre la direction du domaine. Ils envisagent aussi à terme une certification bio sur plusieurs parcelles.

 

“Produire un Médoc authentique”

Après nous avoir fait déguster de vieux millésimes de Loudenne dans la salle de bains de marbre puis dans la salle à manger de la Païva, Philippe de Poyferré explique son ambition : « Je ne veux pas produire un rouge consensuel mais un authentique Médoc typique de son appellation, avec une dominante très marquée de cabernet sauvignon. ». Même si le rouge représente actuellement une cinquantaine d’hectares (sur des sols argilo-calcaires et graves garonnaises), le blanc sec (12 hectares) doit aussi, selon Poyferré, devenir emblématique de l’exigence historique de Loudenne. Un objectif qui se traduit notamment par l’arrêt de la vente en grande distribution.

 

Trop tôt encore pour juger de ce virage donné par Philippe de Poyferré, arrivé à Loudenne en 2018 (« une année épouvantable pour la vigne !», maugrée-t-il). Les échantillons de blanc sec que nous avons dégustés (2015, 2016, 2017, 2018), à dominante de sauvignon et sémillon, présentaient des arômes d’agrumes et de miel, avec parfois des notes fumées. 2018, fermé et un peu vert, manquait encore un peu de complexité. Les rouges, élevés partiellement en fûts neufs, étaient quant à eux puissants et d’un beau grenat profond. Ils révélaient d’élégants arômes de fruits noirs, de vanille, une belle complexité et des tannins très présents, voire trop présents (car pas assez fondus) sur les millésimes les plus récents.

 

Affaire à suivre

« Nous nous sommes donné les moyens d’égaler voire de dépasser d’ici dix ans le niveau de qualité de Chasse-spleen ou de Maucaillou », affirme Philippe de Poyferré. Affaire à suivre, donc, et je ne choisis pas le mot « affaire » par hasard, puisque d’ici là, Loudenne, autour de 25 euros la bouteille pour les rouges et d’une quinzaine d’euros pour les blancs, devrait être dans sa catégorie l’un des meilleurs rapports qualité-prix du Médoc.

 

La renaissance du vin de Chambord (second épisode)

J’ai eu l’honneur, lors de ma récente visite pour la célébration des 500 ans du château de Chambord, d’être le premier journaliste à déguster le vin blanc fabriqué sur le domaine à partir des vignes replantées en 2015. Dans la cuisine de la ferme de l’Ormetrou, qui appartient au domaine de Chambord, Annie Bigot, la responsable de l’exploitation, Yann Sausseron, le vigneron, et moi-même avons sorti trois verres à pied estampillés du domaine et sorti d’un frigo une bouteille non étiquetée (la pose des étiquettes était prévue pour le samedi suivant). Une belle bouteille dite « à la baronne », ce modèle ayant été identifié dans la cave personnelle du maréchal de Saxe, maitre de Chambord au milieu du XVIIIe siècle.

Dégustation avec Yann Sausseron, le vigneron de Chambord.

Des arômes de fleurs blanches, de pêche et de miel

Une fois dans les verres, le vin révélait une robe jaune pâle et un joli nez de fleurs blanches, pêche et miel, typique de ce fameux cépage romorantin qu’affectionnait François Ier, et désormais emblématique de l’appellation Cour-cheverny. Même si ce premier vin plein de fraicheur et de charme, élevé en cuve inox, est à boire dans les cinq ans (car il est issu de jeunes vignes), cette dégustation est très encourageante. Si encourageante, même, que le domaine entend produire à terme des vins de garde et étoffer sa gamme avec un AOC Cheverny blanc mêlant sauvignon et orbois.

Le prix auquel est vendue cette première cuvée du 500 e anniversaire (30 euros) est à la mesure de l’événement qu’il symbolise, mais aussi de la rareté de l’offre : seulement 3 000 bouteilles et 400 magnums en vente pour cette année 2019. Le rouge, en revanche, à 17,50 euros, est plus abordable. Le bénéfice de cette vente étant affecté à l’entretien du vignoble et du château, cela pourrait inciter les visiteurs à ouvrir plus facilement leur portefeuille.

 

Une vigne quasi éternelle

Autre argument qui justifie ce prix : le vignoble du domaine de Chambord est entièrement conduit en bio, et les vins blancs qu’on y produit sont à leur manière – du moins pour certains – des trésors patrimoniaux. La moitié des pieds de romorantin qui y ont été plantés sont en effet issus de vignes qui auraient résisté au phylloxéra à la fin du XIXe siècle, et qui n’auraient jamais été greffées depuis. Une rareté absolue dénichée par Henry Marionnet, vigneron solognot fameux pour ses vins purs, sans soufre et non modifiés par l’homme. Reproductibles par marcottage, donc sans nécessité de greffe, ces vignes quasi éternelles seront encore là dans mille ans si elles ne connaissent pas d’incident de parcours, affirment les spécialistes. Ainsi, déguster le romorantin de Chambord, c’est non seulement se faire plaisir avec un vin bio très agréable à boire, mais aussi participer à la renaissance d’un patrimoine historique.

 

Doper l’œnotourisme

Même si certainsde vignerons alentour ont pu s’effrayer de cette royale concurrence, ils se consoleront peut-être en se disant aujourd’hui que la renaissance du vin au domaine de Chambord, ainsi que l’exposition « Chambord, l’utopie à l’œuvre » (1), devraient doper l’œnotourisme autour de ce château qui attire un million de visiteurs par an. De quoi faire marcher le commerce et, espérons-le, réconcilier tout le monde.

 

(1) Comment, lancée en 1519 par François Ier, la construction du château de Chambord déboucha sur la plus étonnante prouesse architecturale de la Renaissance française ? Quelle fut l’influence de Leonard de Vinci dans ce projet, et, 500 ans après, qu’inspire Chambord aux architectes du monde entier qui explorent les utopies du futur ? Vous avez jusqu’au 1er septembre pour découvrir, en même temps que le vignoble et les vins du domaine, cette passionnante exposition-anniversaire.