Depuis le temps…et soudain, la lumière. Dimanche dernier, dans une interview, le Procureur Général de la Confédération M. Michael Lauber a indiqué qu'il devenait une nécessité de modifier la loi suisse sur le crime organisé (305ter CPS) afin de pouvoir enfin réaliser une lutte contre la criminalité organisée efficace. Malgré les efforts consentis dans ce domaine et les nouveautés législatives qui ont vu le jour dans les années '90 contre les organisations de type mafieux et la corruption, le Ministère Public allait d'échec en échec. Dans son interview, le Procureur Général de la Confédération pointe du doigt l'impossibilité de traduire une personne en justice pour son simple fait d'appartenir à une telle organisation, sans pour autant s'être rendu coupable d'un délit ou d'un crime. La loi actuelle permet toutefois cette possibilité puisqu'elle ne l'interdit pas. Par contre, la pratique judiciaire suisse n'a jamais totalement intégré la notion "d'organisation criminelle", tout comme elle n'a pas non plus intégré complètement le renversement du fardeau de la preuve dans des cas spécifiques prévus par le code pénal ou encore la responsabilité pénale des personnes morales.
Comme le droit est un objet mouvant et adaptable (c'est ce qui fait sa force), changer les lois ne sert à rien si on ne change pas les pratiques. Et souvent, les pratiques, ancrées dans le fond des études, des stages et des pratiques quotidiennes s'avèrent beaucoup plus difficile à changer. La jurisprudence vient encore plus graver dans le marbre des pratiques qui, parce que la société évolue, deviennent étrangères à la réalité et bloquent les capacités d'actions de la magistrature contre les phénomènes nouveaux. Si la jurisprudence est extrêmement utile afin de garantir une homogénéité du droit et une stabilité des pratiques de l'exercice difficile qu'est rendre la justice, elle doit trouver en soit les ressources nécessaires pour s'adapter elle aussi. Et la jurisprudence ne s'adapte que par l'expérience judiciaire, laquelle est à son tour directement produite par des magistrats inventifs, courageux, qui parfois cherchent plus à coller leurs décisions à l'esprit de la loi et à ses objectifs (cf. les messages du Conseil Fédéral) plutôt qu'à suivre la ligne de la pratique jurisprudentielle. Mais parfois, cela n'est tout simplement pas possible puisque les réglementations elles-mêmes sont en conflit ou présentent des incohérences.
Ainsi, afin de provoquer cet électrochoc et de forcer d'une certaine manière les pratiques judiciaires à s'adapter aux phénomènes auxquels ils sont confrontés, le Procureur Général de la Confédération a raison de provoquer une modification de la loi qui permetterait de condamner également les membres de ces organisations criminelles qui n'ont pas directement commis de crime ou de délit, mais simplement pour leur appartenance à une telle organisation. Cela tombe sous le sens puisque comme on l'a vu ces dernières années, dans le monde de la finance, lorsque des patrons de banque sont mis en accusation pour des actions que leurs employés ont commis relève de la même logique. Cela relève également d'une fine connaissance professionnelle puisque la loi italienne sur le "concorso a organizzazione mafiosa" reprend depuis des années cette même disposition avec des résultats très probants et une droit finalement très similaire à la Suisse.
C'est maintenant aux parlementaires de faire preuve de courage, d'inventivité et surtout de prendre un peu de leur temps pour comprendre le phénomène mafieu pour se rendre compte qu'un tel changement de loi est nécessaire pour changer les mentalités des acteurs judiciaires.