Un renouveau syndical ?

Une avalanche de faits et de prédictions pessimistes se sont abattues sur les médias à l'orée de 2015. Une tendance toutefois a motivé ce petit papier: c'est celle touchant la dégradation continuelle des conditions de travail en Suisse, en Europe et dans le monde. Jean Ziegler mentionnait dans une interview du week-end une année décisive sur la question des droits des personnes et notamment des travailleurs. Le cynisme et la cruanté des passeurs de misère a interpellé l'Europe entière la semaine dernière dans le cas du cargo de migrants sauvés par la marine italienne.

Partout dans le monde, les conditions de travail se dégradent ou empirent et partout dans le monde, les gens on peur et faim. Au delà de l'attention médiatique de tel ou tel fait suffisamment ignoble ou de tel ou tel reportage suffisamment bien fait pour interpeller le citoyen lambda dont je fait partie, l'attention médiatique sur l'esclavage moderne est volage bien que dénoncé depuis plusieurs décennies. Sujet de conversation pour les after-works ou les pauses-cafés, bien peu de liens entre cette marée d'esclaves au service d'organisations criminelles diverses et notre propre quotidien à nous sont faits, à part le réflexe de se renfermer, telle des huitres, dans notre coquille d'un bien-être que nous savons de plus en plus fragile.

Les discours officiels dominants sur les droits des travailleurs, contre la corruption, sur les conditions de travail misérables et dangereuses et le respect des droits humains et de l'environnement semblent de plus en plus être des machines entraînées par leurs propres dynamiques sans plus tellement se soucier du sens de leurs missions et de leur existence même, voire pire, permettent à ceux-là même qui sont payés pour organiser ces actions collectives de tenter de se mettre eux-mêmes à l'abris du besoin en spoliant leurs membres et en oubliant la raison fondamentale de pouquoi ils sont là.

Parmis ces institutions, il y en a une que je respecte profondément: les syndicats. Pour leur côté historique d'abord, parce que si l'Europe occidentale attire aujourd'hui les migrants du monde à cause de sa qualité de vie, de ses droits pour les individus et de ses richesses, c'est principalement à cause des luttes syndicales qui ont fait l'Europe depuis la Révolution industrielle et au courage de gens qui se sont organisés, avec leurs moyens et dans l'esprit de leur temps, pour se battre pour leurs droits. Ensuite parce que je connais beaucoup de syndicalistes, suisses et étrangers, et que j'ai toujours eu un profond respect pour leur pragmatisme, leurs sens des valeurs combinés à un sens aigu des responsabilités, de leur connaissance tactique et stratégique. Aujourd'hui, malheureusement, plusieurs éléments viennent entamer ces belles convictions.

D'abord l'avènement de générations nourries aux concepts qui n'ont que rarement eu le sens des réalités et que l'on entends avant les autres puisque c'est ceux qui ont le discours qui "passe le mieux dans les médias". Les autres, ceux qui travaillent quotidiennement dans l'ombre, on les entends peu, voire pas du tout. Cela laisse la place a des "jusqu'au boutistes" qui prennent leurs désirs pour des réalités et prèfèrent la confrontation plutôt que la négociation, la dénonciation plutôt que la solution.

Plusieurs cas on émaillé cette réflexion. Le premier fut le mini-séisme dans le landerneau syndical de nos amis français, touchant de plein fouet les privilèges accordés au nouveau Secrétaire Général de la CGT, M. Lepaon. Le scandale des indemnités de transfert, des coûts de rénovation de l'appartement privés à enclenché un grand déballage de révélations sur le gaspillage de l'argent des syndiqués pour le bénéfice de quelques clans et quelques coteries internes.

Ensuite, les rapports effectués par les organisations faîtières des syndicats, dont on questionnera au passage la légitimité et le budget puisque ces organisations n'arrivent déjà pas à s'entendre dans un seul pays, notamment l'ITUC, émanation du BIT (ILO) à Genève sur les conditions de travail notamment des travailleurs immigrés dans les pays du Golfe, prenant comme point de mire ceux engagés dans la constructiond es infrastructures nécessaires à la Coupe du Monde FIFA au Qatar. On ne questionnera pas la réalité de ces migrants dont les conditions sont épouvantables et tendent heureusement à s'améliorer suite à ces mêmes rapports, mais on s'étonnera tout de même que les parallèles entre ces conditions spécifiques et celles des innombrables travailleurs migrants dans l'ensemble des pays du Golfe, sur les conditions de travail de tous les ouvriers sur les grands chantiers que ce soit en Chine, en Grèce, en Russie, au Brésil, etc. Depuis notre "tour d'ivoire" européenne, nous sommes bien prompts à distribuer les bons et mauvais points alors que non seulement nous nous précipitons tous commes des idiots devant les matchs de la coupe du monde FIFA ou des Jeux Olympiques, mais qu'en plus, le migrant qui répare notre villa ou nos routes, ramasse nos poubelles ou deale de la came à nos enfants au coin de la rue est dans les mêmes exactes conditions. Avant le Quatar, c'était Sotchi et ses "Poutine-Games", et avant encore la Coupe du Monde au Brésil. Certes les conditions peuvent être injustes, effroyables, certes des gens meurent sur des chantiers. Certes nous attendons de ceux à qui nous donnons notre temps et notre argent soient "plus respectueux" que les autres et parfois que nous même. Mais des "cas exemplaires" de la sorte ne sont par exemplaires du tout. Il ne reflètent que les pratiques habituelles qui sont dénoncées depuis des décénnies et sur lesquelles non seulement nous fermons les yeux mais en plus nous profitons largement. Alors que les médias se sont tous jetés à coeur joie sur les rapports et autres reportages dénoncant les "atrocités" de ces grands chantiers, peu de médias se sont fait le relais du travail pragmatique, discret et souvent dangereux et sous-payé de syndicalistes et de responsables locaux qui ont effectivement permis de trouver des solutions pour améliorer les situations de ces travailleurs: augmentation des paies, réduction des horaires, primes de résultats, meilleure organisation des chantiers, relogement décent et abandon des conditions de "sponsoring" dont des exemples concrets dont bénéficient les travailleurs.

Une autre cas aussi m'a fait bondir: celui des gendarmes romains absentéistes. Pour ceux qui ne parlent pas italien ou qui on raté l'info, il s'est avéré que l'absentéisme des gendarmes romain aura été mis à jour de manière plutôt violente le jour de l'an 2015. Si cela est une pratique courante, en Italie comme ailleurs, le Gouvernement a décidé pour une fois de sanctionner ces individus. La réponse des syndicats n'aura pas été de chercher à comprendre les raisons de cet absentéisme, comme par exemples les fiches de paie ridicules, les horaires de travail démentiels ou les conditions dangereuses….non: on fait la grève pour défendre les absentéistes. C'est ce que l'on entends principalement.

Malgré tout, ces mêmes syndicats se battent dans les exactes mêmes conditions que les individus qu'ils défendent. Qui sait par exemple que le BIT a licencié plus de 600 personnes ces derniers mois ? Qui connait les conditions précaires des travailleurs internationaux soumis à des contrats annuels dont le renouvellement dépends de chefs toujours plus voraces et de budgets toujours plus maigres. Qui s'intéresse au fait que de plus en plus de retraités travaillent gratuitement pour les organisations syndicales qui n'ont pas les moyens de payer des salaires décents et de respecter des conditions de travails qu'eux-même sont chargés de défendre. Il est tabou de toucher ne fut-ce qu'un cheveu de ces organisations pour des raisons idéologiques alors qu'elles souffre des mêmes maux que la société toute entière, à savoir quelques dirigeants qui voyagent en première classe alors que des employés sont licenciés pour "manque de budget".

Cela est d'autant plus terrible que le syndicalisme a apporté, apporte et peu encore apporter de grands changements pour le mieux, tant en Europe que dans le Monde. Si l'intégration de l'Europe de l'Est dans l'UE est, jusqu'à aujourd'hui, un échec, les syndicats de "nouvelle génération" peuvent apporter un vrai renouveau en se basant sur les conditions de travail et les conditions de vie dans ces pays du "charbon-land" de l'Est. Cêst ainsi qu'ils peuvent faire évoler la vie de millions de travailleurs dans un monde globalisé. Les solutions passent par la transparence et la négociation, l'imagination et la créativité afin d'augmenter petit à petit la qualité de vie des ces travailleurs et travailleuses partout dans le monde. N'oublions pas que notre prospérité s'est faite sur 200 ans de luttes pour les droits, populaires, syndicaux, droits des femmes et des migrants, et sur deux guerres mondiales. Nous ne pouvons exiger tout de suite des autres ce que nous avons mis tant de temps et tant de souffrance à acquérir et à créer et ce que nous mettons tant d'indifférence aujourd'hui à détruire. Ce n'est pas la bataille sur les Droits Humains qui passe en premier. C'est la bataille pour les Droits des Travailleurs qui, comme elle l'a fait en Europe durant tout le XXème siècle, pourra apporter des solutions non seulement en Europe de l'Est mais également dans le reste du monde. Cette bataille, c'est la bataille pour Dignité Humaine. Cette confrontation ne doit pas être idéologique mais pragmatique, car si l'organisation de l'action collective est difficile, voire impossible, n'importe quel chef d'entreprise comme n'importe quel travailleur ou retraité sait que nous avons chacun besoin de l'autre pour garantir notre prospérité et l'avenir de nos enfants.

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.