Une bonne décision prise tardivement

Il y a deux jours, l’Office Fédéral de l’Agriculture annonçait le retrait du marché de deux insecticides, le chlorpyriphos et le chlorpyriphos-ethyl. C’est une décision intelligente. Ces deux substances sont toxiques pour le système nerveux et ceci à petite dose déjà. Or on les utilise largement depuis la révolution verte des années 50.

Cependant, on peut se demander pourquoi avoir attendu aussi longtemps.

Ces deux substances font partie de la grande famille des organophosphates, des composés connus pour être neurotoxiques depuis les années 20. En effet, et c’est un cas d’école, un organophosphate, le tricresyl phosphate, a fait des ravages dans la population noire et pauvre lors de la prohibition aux Etats-Unis.

Comme la commercialisation de l’alcool était interdite, les populations pauvres consommaient les remèdes faits à base d’alcool. Notamment le Ginger Jake, un médicament jamaïcain. Les autorités américaines ont donc décidé d’augmenter le gingembre pour en augmenter l’amertume et donc diminuer la consommation.

Comme le contrôle du taux de gingembre se faisait au poids sec (après évaporation du liquide), des petits malins ont trouvé la solution de remplacer le gingembre, très cher, par du tricresyl phosphate, lui très bon marché.

Ce sont des médecins qui ont alerté les autorités. Ils recevaient un nombre croissant de patients pauvres avec des difficultés pour marcher et bouger, signe d’une atteinte neurologique.

Après quelques temps, le pot-aux-roses a été trouvé. Mais cet épisode a laissé de nombreux malades et une séries de chansons de blues sur le “Jake Walk Blues“.

Mais c’est pendant la deuxième guerre mondiale que la famille des organophosphates a été développée, avec notamment le gaz sarin qui refait parler de lui actuellement en Syrie.

Dans les années 50, après la guerre, il fallait trouver une utilité à ces substances chimiques. Elles ont donc été reconverties en insecticides (heureusement pas le gaz sarin), pendant ce que l’on a appelé la révolution verte.

Donc cela fait plus de 60 ans que ces substances sont sur le marché, utilisées dans notre agriculture. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de les interdire?

Je n’ai pas la réponse.

Autre questions, quelles sont les substances chimiques qui vont les remplacer?

Actuellement, dans certaines cultures, on utilise la lutte par confusion. C’est-à-dire que l’on diffuse des phéromones femelles qui vont empêcher les mâles de retrouver les vraies femelles et donc de se reproduire.

Mais dans beaucoup d’autres cas, ce sont d’autres insecticides qui vont être utilisés. Notamment des pyrethrinoïdes comme la permethrine ou encore des néonicotïnoides. Les pyrethrinoïdes sont moins toxiques pour les animaux à sang chaud, comme l’humain, car ils se lient à des récepteurs spécifiques aux insectes. Cependant, pour les insectes non cibles comme les abeilles ou les microcrustacés des cours d’eau, cela ne fait pas une grande différence de remplacer le chlorpyriphos par de la permethrine. Les deux sont très toxiques.

Quant aux néonicotinoides, ils font régulièrement la une des médias pour leur mise en cause dans le déclin des colonies d’abeilles.

Donc oui, cette interdiction est certainement une avancée car le chlorpyriphos et le chlorpyriphos-ethyl auraient dû être retirés du marché depuis longtemps. Et en ce sens, la Suisse ne fait que suivre le mouvement puisque le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie et la Suède ont déjà interdit ces substances.

Mais est-ce une réelle avancée pour la protection de l’environnement? A voir si l’idée est de réduire l’utilisation d’insecticides, ou juste de substituer deux “vieilles” substances par des nouvelles, aussi puissantes, et souvent plus rentables pour l’industrie chimique.

 

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

Une réponse à “Une bonne décision prise tardivement

  1. Comment interpréter ces interdictions appliquées depuis 2009 dans certains pays européens …..est-ce le signe d’une stratégie politique?…… car il ne faut pas oublier que les 19 et 20 juin, le conseil national prendra position sur les 2 initivatives mises en votatation le 27 février 2020, pétitions relatives aux pesticides de synthèses.
    À chacun la liberté d’analyser la situation, mais ne soyons pas dupe!

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