« Désenchanté mais pas désespéré »

Fondation Jan Michalski (photo Mirabella Balaciu)

Prononcés par Amin Maalouf à l’ouverture du Festival Bibliotopia à la Fondation Jan Michalski, ces mots reflètent bien, à mon avis, le sentiment général des écrivains de diverses origines qui se sont réunis dans ce lieu magique pour un weekend littéraire.

J’ai eu le plaisir d’y participer en tant que modératrice d’une discussion entre deux écrivains russophones sur le thème « Chroniques de la société post-soviétique ». Le plaisir a été double s’agissant d’abord de mon premier événement « live » en plus d’une année ; et plus encore car bien rares, en Suisse, sont les événements publiques qui se tiennent en russe. C’était le cas.

L’un de deux écrivain, Maxim Ossipov, est né à Moscou, et il est cardiologue en plus d’être écrivain. Ou l’inverse. Plusieurs fois primé en Russie, il a vu trois de ses livres paraître en français, aux Éditions Verdier : les nouvelles de ses recueils Ma province (2011), Histoires d’un médecin russe (2014, sélection du Prix Médicis littérature étrangère) et Après l’Éternité (2018).

L’autre écrivain est Sasha Filipenko, de 20 ans son cadet, natif de Minsk, en Belarus, et diplômé de l’Université de Saint-Pétersbourg. Ses livres, écrits en russes, sont traduits en plusieurs langues dont le français, aux Éditions des Syrtes : Croix rouges (2018), qui interroge la mémoire du régime communiste, et La traque (2020). Un autre roman, Le Fils d’avant, paraîtra bientôt aux Éditions Noir sur Blanc.

Sasha Filipenko, maxim Ossipov et Nadia Sikorsky (c) Nashagazeta

Malgré leur différence d’âge les deux auteurs ont beaucoup en commun, à commencer par leur engagement politique, leur position civique claire, leur refus d’accepter l’inacceptable et pire, la perte de leurs illusions : ils partagent le triste constat que l’ère du romantisme est terminée.

Après tant de déchirures, peut-on encore parler de l’espace post-soviétique dans un contexte autre que géographique ? Comment expliquer l’inertie des Russes et leur hantise du changement ? Comment aider les jeunes à trier la vérité des mensonges dans l’enseignement de l’Histoire, comment concilier les interprétations contradictoires des mêmes faits ? Le changement pour le mieux est-il encore possible ? Finalement, dans le monde russophone, la littérature joue-t-elle encore son même rôle majeur ?

Voici les questions parmi tant d’autres que nous avons discutées – vous avez la possibilité de visionner cette conversation, avec la traduction simultanée en français, et de tirer vos propres conclusions.

Personnellement, ce que je retiens de plus important de cette rencontre c’est qu’un jeune homme brillant, Sasha Filipenko, actuellement en résidence à la Fondation Jan Michalski, hésite à retourner en Belarus où sa sécurité n’est plus garantie.

Ravi de son expérience à Montricher, il accuse la Suisse et toute l’Europe pour leur indifférence aux événements dans son pays – jusqu’au moment où leurs propres intérêts (à savoir l’avion de Ryanair) ont été touchés.

J’ai déjà soulevé dans ce blog la question des limites de la neutralité. Je crains devoir l’aborder encore.

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.