Le gouvernement fédéral suisse l’a annoncé le vendredi 26 mars : la campagne de vaccination en Suisse est en passe de changer d’échelle et va devenir massive avec 8 millions de doses livrées d’ici fin juillet. Malheureusement, les objectifs de pourcentage de vaccination à atteindre, les ratés de certains cantons dans leur campagne de vaccination et l’absence de promotion vaccinale soulèvent de sérieux doutes.
Le 26 mars, les objectifs de couverture vaccinale sont révélés
Les objectifs fédéraux de taux de couverture ont été annoncés par Nathalie Vernaz la pharmacienne cantonale de Genève à l’émission Forum ce vendredi 26 mars : 75% de vaccination pour le groupe des personnes de 65 ans et plus et les personnes « vulnérable » et 50% pour la “population générale”. L’objectif est d’atteindre une couverture de 50% d’ici fin juin. Avec 5.9% de la population ayant reçu deux injections, le chemin est encore long. Selon l’annonce de Berne ce vendredi, les cantons doivent être prêts pour la vaccination de masse de ce printemps. Mais le sont-ils et est-ce que 50% de couverture suffira ?
Jusqu’à ce jour, le nombre limité de doses disponibles explique l’avancement relativement lent de la vaccination
A ce jour, 527 million de doses auraient été administrées dans le monde et la Suisse est dans la moyenne européenne pour le nombre de doses administrées par rapport à la taille de sa population (15.6 injections/100 habitants). Mieux, le choix des commandes avec les vaccins de Moderna et Pfizer/BioNTech s’est révélé remarquablement avisé et la prudence de Swissmedic par rapport au vaccin d’AstraZeneca doit être saluée vu la difficile communication des résultats cliniques aux USA, comme des experts l’ont commenté cette semaine.
Selon les chiffres de l’OFSP (26 mars 2021), il existe des différences d’avancement des campagnes de vaccination. Les livraisons de doses (fioles par cent habitants) ont défavorisé certains cantons et expliquent une bonne partie de ces différences. Mais pas toutes ! Les cantons de Zurich et Vaud montrent des défaillances qui ont attiré l’attention des média.
Zurich est le dernier de classe pour le nombre de doses administrées et pour l’activation de son site de réservation online qui ouvrira le 29 mars
Zurich montre le plus bas taux de doses distribuées de Suisse avec 13.2 injections/100 habitants (2.4 injection de moins que la moyenne nationale). Cette sous-performance n’est expliquée qu’en partie par le plus faible nombre reçu de doses de vaccins. L’explication réside ailleurs : une incroyable incapacité d’organiser la réservation en ligne des vaccinations. Comme décrit dans un article dans la NZZ du 24 mars, le canton a mis en place sa propre plateforme au lieu d’utiliser celle de la Confédération. Fin décembre, la première plateforme s’est écroulée sous le nombre de demandes. Une autre plateforme disponible fin janvier n’a jamais été utilisée. Finalement, Zurich utilise la plateforme de Berne et ouvrira la réservation online le 29 mars pour ceux de 75 ans et plus. Le coût financier de ces errements n’a pas été divulgué.
Vaud n’atteint pas ses propres objectifs de vaccination parmi les 75 ans et plus, objectifs pourtant plus bas que ceux de la Confédération
Comme décrit par le 24 Heures le 13 mars et le Temps le 23 mars, Vaud était le seul canton romand à avoir de nombreuses plages de réservation de vaccination libres pour la population des 75 ans et plus, et les personnes vulnérables. De manière presque improvisée à la radio publique le lundi matin 22 mars, la conseillère d’Etat Rebecca Ruiz appelait la population à faire des réservations. Sous pression, le Canton se résout à ouvrir la vaccination aux 65 ans et plus dès lundi 29 mars.
La comparaison avec le Canton de Fribourg est cruelle pour Vaud. Avec un nombre similaire de doses reçues par habitant (3% de différence seulement), Fribourg a déjà réussi à administrer au moins une dose à près de 70% des 75 ans et plus (La Liberté du 24 mars) tandis que Vaud annonce arriver à vacciner que 60 % des 75% ans et plus (24 heures du 25 mars) soit moins que ses propres objectifs de vaccination entre 65% et70%. Selon l’article du 24 heures, «des disponibilités importantes dans les centres montrent que l’on a épuisé le potentiel de vaccination du groupe 1», explique Oliver Peters, président du comité de pilotage de vaccination. Le comité de pilotage semble se résigner de son faible score de couverture vaccinale parmi les 75 ans et plus.
La Suisse a des objectifs de couverture vaccinale en dessous des chiffres discutés par les experts internationaux
La Suisse a maintenant un objectif de couverture vaccinale de 75% pour les personnes à risques et 50% pour la population générale. En 2020, avant l’apparition de variants plus infectieux, l’immunité collective requise avait été estimée entre 65% et 70%, ce qui est le pourcentage de la population avec une réponse antivirale efficace (article de Fontanet et Cauchemez 2020, post du 20.09.2020). En 2021 avec l’apparition de variants plus infectieux, le degré d’immunité de groupe est revu à la hausse sans être connu précisément. La couverture requise est dernièrement estimée entre 70% et 90% par le fameux Dr Anthony Fauci aux USA (directeur du NIAID aux USA).
Les questions du besoin de la vaccination en plus de l’immunité naturelle ou le besoin de vacciner les enfants dépassent le cadre de ce post. Notons finalement que l’immunité naturelle à 76% à Manaus n’a pas empêché une nouvelle épidémie en janvier 2021 et que le taux de 44% d’injection unique de vaccines au Royaume Uni ne lui permet pas de juguler l’épidémie actuelle malgré de sévères restrictions sanitaires.
Gageons que les experts de la Confédération ont bien soupesé l’objectif de 75% de couverture vaccinale pour les personnes à risques. Toutefois, l’objectif de 50% pour la population générale avec une probable non vaccination des enfants laisse présager que l’engorgement des soins médicaux pourra être contenue seulement de manière partielle. Mais les virus SARS-CoV2 continueront de circuler largement en Suisse avec un risque important de propagations de futurs variants !
On le voit, les objectifs suisses de couverture vaccinale sont en dessous des chiffres discutés par les experts internationaux. Ces objectifs ne semblent pouvoir fournir qu’une future protection relative et manquer d’ambition.
La population suisse reste réticente à se faire vacciner et les autorités sanitaires demeurent attentistes face à la promotion vaccinale
Cette semaine, Vaud avouait ne pas savoir combien de Vaudois voulaient se faire vacciner. Ce vendredi 26 mars, les autorités fédérales se voulaient rassurantes quant à la volonté des Suisses à se faire vacciner. De manière surprenante, il était énoncé que seulement 25% des Suisses sont opposés à la vaccination. Evidemment, cela ne présage pas que le reste soit 75% soient enclins à se faire vacciner contre le COVID-19. Comme des sondages précédents et dans d’autres pays, la population suisse est peu enthousiaste. Pire, un sondage en mars 2021 montre moins d’un quart des Romands veulent se faire vacciner, en particulier les jeunes où le SARS-CoV2 circule activement (la tranche de 20-29 ans présente le plus grand nombre de cas détectés selon FOPH/corona-data.ch).
Avec des quantités de doses limitées, les autorités sanitaires semblent se satisfaire de la demande vaccinale relativement importante chez les personnes âgées. Elles sont opposées à ce stade à faire de la promotion vaccinale ni de faire des pré-inscriptions pour les groupes 3 ou la population générale. La conseillère d’Etat Rebecca Ruiz cite la peur de générer des frustrations tandis que Nathalie Vernaz la pharmacienne cantonale genevoise (Forum du 26 mars) considère que le moment n’est pas venu pour une campagne de sensibilisation.
Au final, les autorités sanitaires ne semblent pas connaître la proportion de la population adulte de moins de 65 ans prête à se faire vacciner et clairement ne sont pas prêtes à déclencher une campagne de sensibilisation ou de marketing efficace et créative en faveur de la vaccination.
L’absence de technique de marketing pro-vaccinale est patente et conduit déjà à une sous-vaccination dans le canton de Vaud
Il n’est finalement pas étonnant que des juristes, économistes ou des personnes médicales qui dirigent ces campagnes vaccinales ne connaissent pas la puissance du marketing digital et ne connaissent pas la différence entre un but d’amélioration de l’image d’un service (être favorable à la vaccination) et celui d’une action immédiate (décider de se faire vacciner).
Devant l’incapacité à atteindre leurs objectifs de vaccination, il est déplorable de voir les autorités vaudoises réduites à un expédient de communication avec un appel radiophonique à la sauvette par une Conseillère d’Etat à se faire vacciner et finalement se contenter de ne pas atteindre l’objectif de couverture vaccinale.
La campagne de vaccination est d’une taille inédite et appelle à des solutions à la hauteur
Les critiques ci-dessus ne doivent pas faire oublier les incommensurables difficultés pour cette gigantesque campagne de vaccination. Il est remarquable qu’en moins d’une année les campagnes de vaccination ont pu commencer et il faut même soutenir les efforts de répartition envers les pays à bas revenus via le mécanisme international COVAX. Mais avec la prochaine accélération des livraisons de doses vaccinales en Suissse, les plans et l’exécution des campagnes de vaccination pourraient bien révéler leur faiblesse.
Sans des objectifs ambitieux pour une couverture vaccinale, sans des équipes expérimentées en campagne de vaccination, sans recours à des méthodes de marketing inventif –comme les extraordinaires campagnes de prévention anti-SIDA à l’époque-, la campagne suisse de vaccination anti-Covid-19 est en passe de rater la cible, soit une véritable immunité collective.
Si en 2020, le but des mesures sanitaires était d’éviter l’effondrement des soins. En 2021, le but est d’éviter l’apparition et la propagation de nouveaux variants. Ce but de santé publique pourra se faire grâce à des campagnes ambitieuses de vaccination avec un tracking efficace maintenu à long terme et un allègement graduel des diverses mesures restrictives sanitaires.
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