Pourquoi les soignants ont le devoir moral de se vacciner contre le COVID-19 ?

Dr Semmelweis
Timbre de la République Fédérale d’Allemagne en l’honneur du Dr Semmelweis

La campagne de vaccination est proche de son démarrage en Suisse. Au delà des défis logistiques inédits, l’évaluation des résultats cliniques est déjà possible pour les professionnels soignants avec des récentes publications médicales. Un éditorial dans le New England Journal Medicine parle d’un triomphe  pour le vaccin de Pfizer/BioNTech.

En fait, est-ce qu’il est sage de déjà commencer la campagne de vaccination ?
Une autorisation de produits thérapeutiques ou préventifs demande bien plus qu’une lecture d’article. Les authorités Swissmedic examinent le(s) dossier(s) soumis à approbation et équivalents à des dizaines de classeurs fédéraux  et ont répété que les aspects de sécurité sont examinés au peigne fin. Il faut en particulier examiner les effets secondaires aigus juste après l’injection et ceux arrivant dans les mois suivants comme des maladies inflammatoires ou autoimmunes dont on doit évaluer si la fréquence globale augmente.
Pour la santé publique, il sera important aussi de savoir si les vaccins peuvent réduire le taux de transmission avec la réduction des infections asymptomatiques.

Prenons le pari que le bilan d’efficacité et de sécurité est jugé favorable comme plusieurs pays l’ont déjà conclu
Dans le cas probable d’une approbation du premier vaccin par Swissmedic, les autorités des divers cantons vont pouvoir déployer leur plan de vaccination envers les personnes vulnérables comme annoncé. Vu l’impressionnante efficacité des vaccins à ARNm à réduire les infections COVID-19 graves, il est logique et moral de vacciner les personnes à risques au plus vite.

Mais qu’en est-il de la vaccination des soignants ?
Les USA ont une stratégie différente de celle prévue par la Suisse car ils ont décidé de d’abord vacciner le personnel soignant. Il y a une certaine logique à cela vu les multiples infections des soignants américains, le nombre élevés de décès dans les maisons de retraites et un certain nombre d’infections nosocomiales (à l’hôpital) même en Suisse.
Toutefois, on doit noter qu’il n’y a pas d’étude scientifique montrant que le vaccin réduit la transmission du virus SARS-CoV2. Vu que le COVID-19 est une maladie virale, il est probable que la vaccination anti-COVID réduise en effet la transmission

Alors faudra-t-il que les soignants se vaccinent contre le COVID-19?
Cadrons la question!  Cette question se pose au futur en Suisse vu la stratégie nationale vaccinale mais aussi à cause du manque actuel de données scientifiques approfondies sur les effets du vaccin menant à des effets secondaires rares mais graves et sur le taux effectif de réduction de la transmission du virus.
Ces données scientifiques arriveront rapidement en 2021. Alors la question de la vaccination des soignants se posera de manière vive dans un débat publique. On entend déjà certains syndicats et des élus verts se positionner contre l’obligation de vacciner en demandant uniquement une information sur le vaccin. Une initiative “anti-vax” est lancée. Le débat doit s’élargir.

Est-il moral de demander aux soignants de vacciner contre le COVID-19?
C’est un débat qui doit rapidement être posé car il met en avant les questions de choix personnels, la nature infectieuse du risque, les choix inévitablement collectif de la politique de médecine préventive et aussi des débats annexes de sociétés.

Primum non nocere, en premier ne pas nuire à ses patients !
Primum non nocere (d’abord ne pas nuire) est le principe enseigné aux étudiants en médecine. C’est un principe de prudence d’Hippocrate qui rappelle que tout traitement doit être d’abord sûr et que la sécurité des patients doit être au coeur des équipes soignantes. Le combat du Dr Semmelweis au 19eme siècle contre les infections des femmes accouchantes en est un exemple fameux et contreversé à l’époque (il s’agissait de se laver les mains).
Ce principe de ne pas nuire s’applique d’abord au vaccin lui-même. Il doit être sûr. C’est la raison même de la prudence des autorités suisse Swissmedic qui prennent le temps nécessaire pour évaluer le(s) vaccin(s) anti-COVID-19.
Ce principe s’applique aussi aux effets vaccinaux indésirables et possibles pour des personnes qui ne sont pas à risque pour le COVID-19. Pour énoncer clairement, il faut que le vaccin offre un niveau de risque qui soit nettement plus bas que le risque déjà bas pour la population générale.
Mais ce principe de prudence s’applique aussi de manière particulière aux soignants qui ne doivent pas être eux-mêmes vecteurs de la maladie et être facteurs de risque aux malades vulnérables ! Pour ma part en tant que médecin, je suis convaincu qu’il y a des forts arguments moraux pour chaque soignant de se vacciner si le vaccin est démontré être sûr et réduisant la transmission. Le principe du primum non nocere doit être appliqué lorsque le soignant peut être lui-même vecteur de la maladie. Comme au temps du Dr Semmelweis !

Et est-ce que les soignants auront l’obligation de se vacciner en Suisse ?
A tout lecteur vaillant ou lectrice vaillante qui lit ces lignes, qu’il ou qu’elle soit convaincu ou convaincue que le débat sera vif et que les autorités suisses seront très mesurées. On sait déjà que d’autres pays auront des politiques plus directives. Ainsi aller en Australie demandera d’être vacciné, ce qui permet à chacun de répondre à une question de choix dans une situation pratique.

Si vous gagnez un voyage en Australie, est-ce que vous vous vaccineriez ?
Le choix est donc simple: pour accepter le prix, vous avez l’obligation de vous faire vacciner. Est-ce que vous le faites ou non ? On peut faire le pari que la plupart d’entre vous se ferait vacciner et trouverait saugrenu de ne pas le faire pour avoir des vacances d’une vie.
Maintenant, on peut recommencer à se poser la question: est-ce que les soignants auront le devoir moral de se vacciner contre le COVID-19 ?

 

 

Quand aurons-NOUS un vaccin contre le COVID-19 ? Comprendre la question, y répondre et voter ?

Chèque du Président Roosevelt en 1939 en faveur de March of Dime, organisation contre la poliomyélite ou paralysie infantile qui décimait alors les Etats-Unis

 

Le 19 septembre 2020 dans une tribune publiée dans le New England Journal of Medicine, trois professeurs américains (Barry Bloom, Glen Nowak et Walter Orenstein) montrent le besoin de répondre clairement à la question de la date d’un vaccin contre le COVID-19 et de préparer déjà maintenant une communication claire sur ce vaccin.

Les trois auteurs constatent que la réponse doit aller plus loin qu’une estimation de spécialiste sur la date de la démonstration de l’efficacité et de l’innocuité du premier vaccin. Quand aurons-NOUS un vaccin contre le COVID-19 ? Cette question du public comprend souvent trois interrogations: la date de la disponibilité d’un vaccin efficace et sûr, la disponibilité pour le public général et les délais pour avoir une protection suffisante pour qu’un retour à la normale soit possible.

Le problème est que la compréhension de l’efficacité et de l’innocuité d’un vaccin peut varier largement entre la population générale et les experts. Les explications techniques sur les biotechnologies utilisées, les essais cliniques et les agences de santé ne vont pas suffire pour inspirer confiance parmi les médecins cliniciens et la population générale. La tribune du 19 septembre 2020 cite plusieurs points clés afin d’obtenir une information claire sur la vaccination contre le COVID-19:

  • Les agences de santé nationales comme la Food and Drug Administration (FDA) responsables d’approuver ou non ces nouveaux vaccins ont déjà déclaré qu’aucun compromis sur l’efficacité et l’innocuité n’aura lieu. Cette promesse doit être constamment répétée. On peut ajouter que la même promesse par les dirigeants de grands groupes pharmaceutiques a été déjà déclarée et devra aussi être répétée.
  • Les médecins praticiens et le public devront avoir accès à des données claires sur les études cliniques et les résultats d’efficacité et d’innocuité.
  • La disponibilité du ou des vaccins approuvés devra être assurée à toutes et à tous ceux qui le désirent.
  • La stratégie de vaccination devra être développée sur des bases équitables et rationnellement scientifiques. Le choix entre diverses options devra correspondre aux valeurs sociétales comme vacciner d’abord les personnes les plus à risque, ou les plus exposées ou encore celles risquant de transmettre le plus. L’accessibilité de vaccins entre les pays devra aussi être abordée.

Le degré d’acceptation de la vaccination contre le COVID-19 est déjà vu comme un enjeu majeur d’ailleurs traité dans le Temps.ch du 6 septembre 2020. Les 3 auteurs détaillent les challenges. Dans l’hypothèse d’une immunité de groupe d’au moins 60% à 70% pour éviter la propagation du SARS-CoV-2, il faudrait avoir 70% de la population vaccinée ou déjà immunisée car il semble que 90% des personnes soient susceptibles de répondre aux vaccins anti-COVID-19 en développement. Avoir une majorité d’Américains vaccinés promet d’être une gageure avec seulement 50% d’Américains prévoyant de se vacciner. Pire, il ne faudra pas croire qu’il est garanti que les personnes avec un besoin objectif élevé de se faire vacciner le feront réellement. Face à ce challenge, les trois professeurs américains évoquent des pistes à suivre:

  1. fournir des informations factuelles dans une forme adéquate culturellement et accessible
  2. impliquer activement le personnel de santé (médecins praticiens et infirmières) avec une information complète au niveau mondial

Les trois auteurs rappellent que depuis des décennies, une communication active sur la vaccination ne débute qu’après des échecs comme celui avec le vaccin contre le papilloma virus ou la grippe saisonnière. Il faut remonter aux années 50 pour trouver une communication active proactive en faveur de la vaccination contre le virus causant la poliomyélite alors appelée paralysie infantile. L’ONG américaine “March of Dime” (la marche pour le sous, créée par le Président Roosevelt en 1938) avait joué un rôle majeur pour promouvoir publiquement la vaccination contre la paralysie infantile. Ils appellent à débuter l’effort de communication et d’information sur la vaccination contre le COVID-19 dès maintenant avec les divers responsables et des groupes de populations.

Que retenir de cette tribune pour la Suisse ? Tout d’abord, les enjeux et les challenges de la vaccination contre le COVID-19 sont très similaires en Suisse et aux Etats Unis. En Suisse aussi, on peut déjà parier sur la nécessité d’un large débat. Les associations de sciences médicales, les fournisseurs de santé, les responsables de santé publique et les politiques doivent engager le débat dès maintenant. Celui-ci devra couvrir aussi les questions sociétales en plus des questions techniques. En particulier, il faudra évoquer avec détermination la nature personnelle ou collective du choix de la vaccination. Finalement, pourquoi ne pas débattre puis prévoir déjà une votation sur la stratégie vaccinale contre le COVID-19 ?