Libye : 10 ans après la mort de Kadhafi, un pays toujours chaotique

Dix ans après la mort du dictateur libyen Mouammar Kadhafi, emporté par une révolte populaire lors des “Printemps arabes”, le pays est toujours en proie au chaos et à la violence. Le retour à la stabilité voulue par les pays voisins et par l’Union européenne se fait toujours attendre. Certains Libyens regrettent les années de “calme” sous l’ère Kadhafi. A l’image de Bachar Al-Assad en Syrie ou d’Abdel Fattah Al-Sissi en Egypte, ne faut-il pas continuer à soutenir ces régimes au nom d’une certaine stabilité pour l’Europe ?

Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi était traqué comme une bête à abattre dans son fief de Syrte par des révolutionnaires. Le même jour, il était exécuté. Il aura fallu presque 42 ans de règne sans partage avant que le dictateur tombe. C’est une intervention militaire internationale, lancée par le biais de l’OTAN (France, Royaume-Uni et Etats-Unis), qui a accéléré sa chute. Malheureusement, Paris, Londres et Washington n’ont jamais réfléchi aux conséquences néfastes de la chute brutale d’un personnage comme Kadhafi. Je condamne ici une certaine impréparation des services secrets des trois pays. Comment n’ont-ils pas pu voir que les islamistes allaient s’emparer du pouvoir et des richesses pétrolières? Cela reste encore un mystère pour moi.

Pas opposé à la chute d’un dictateur, mais…

Je ne m’oppose pas à un renversement d’un tyran, mais pour moi il y a deux conditions importantes. La première, c’est de prouver que le dictateur a l’intention de massacrer son peuple. Un chef d’Etat qui envoie la police ou l’armée assurer l’ordre n’est en rien une preuve que celui-ci cherche à provoquer une guerre civile. La deuxième, c’est d’avoir un plan pour préparer une transition pacifique. Ce que la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis n’ont pas fait dans le cas libyen. Ils ont simplement abandonné ce pays aux mains des milices islamistes. Comme ils font dans le dossier afghan, en laissant la population afghane déjà en souffrance aux mains des Talibans. Et ils ont bien-sûr profité pour ramasser tous les contrats de pétrole et de gaz. Aucune de ces trois nations n’a su répondre aux aspirations du peuple libyen qui demandait de la stabilité, un retour aux libertés et de la démocratie.

Parmi ces pays considérés comme des “dictatures” par certains, il ne faut jamais oublier que certains d’entre eux sont des pays stratégiques pour le commerce et la lutte contre l’islamisme politique. Par exemple l’Azerbaïdjan, Le Tadjikistan, la Syrie, le Turkménistan, le Kazakhstan ou encore la Chine.

Une Libye divisée entre Est et Ouest

Au contraire, on leur a livré un pays complètement morcelé. Peu de Libyens avaient prévu le chaos qui allait s’emparer du pays après la mort de Kadhafi. Aujourd’hui, après des années de dialogue sous l’égide de l’ONU, la Libye devrait organiser des élections au mois de décembre. Elles ont déjà été déplacées en janvier 2022, cela ne m’inspire pas confiance quant à une paix durable dans ce pays. Je doute fort que des élections sûres et transparentes auront lieu un jour. Malheureusement, les centres de pouvoir rivaux à l’est et à l’ouest du pays ne font rien pour faire progresser un dialogue constructif.

Bien que les Libyens luttent toujours pour un retour durable à la stabilité, nombreux sont ceux qui aujourd’hui viennent à regretter le temps de Mouammar Kadhafi. La vie était loin d’être rose mais les gens avaient de quoi se nourrir, de l’électricité, du travail et pouvaient se déplacer sans craindre d’être tués par des milices sauvages. C’est pourquoi aux yeux de l’Union européenne ou de la Suisse, les régimes syrien, égyptien, turc, tunisien ou encore algérien doivent être le plus stable possible.

Suisse – Géorgie : 30 ans de relations

Le Président de la Confédération Guy Parmelin a accueilli il y a deux jours la Présidente de la Géorgie Salomé Zourabichvili. En trente ans d’histoire entre les deux pays, il s’agissait de la première visite officielle d’un chef d’Etat géorgien dans notre pays. Outre une mise au point bienvenue sur les échanges commerciaux, les deux présidents ont discuté du mandat de puissance protectrice qu’exercice la Suisse en représentant les intérêts de la Géorgie en Russie et vice-versa. Tour d’horizon de cette rencontre historique.

La cheffe de l’Etat géorgien Salomé Zourabichvili a eu droit au tapis rouge et aux honneurs militaires vendredi dernier à Berne. Accueillie au domaine du Lohn (lieu de réception des chefs d’Etat étrangers) par son homologue suisse, les deux présidents ont passé en revue plusieurs dossiers d’intérêts réciproques comme le changement climatique, les liens culturels ou encore les échanges commerciaux. D’après le département du Conseiller fédéral Parmelin, en 2020, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays s’élevaient à environ 131 millions de francs. Il existe une volonté de la part des deux pays d’approfondir ces bonnes relations. Salomé Zourabichvili a aussi tenu à remercier la Suisse pour son rôle capital qu’elle joue dans la représentation des intérêts géorgiens en Russie et des intérêts russes en Géorgie. Depuis 2008, Tbilissi et Moscou sont en rupture de relations à la suite de l’indépendance autoproclamée de deux provinces géorgiennes, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Celles-ci sont reconnus par le Kremlin mais pas par la communauté internationale.

Une ex-diplomate française à la tête de la Géorgie

Salomé Zourabichvili occupe la fonction de Présidente de la Géorgie depuis décembre 2018. Cette femme de 69 ans est née en 1952 à Paris. Ses parents géorgiens sont arrivés en France en 1921 pour échapper au rouleau compresseur bolchévique. Sa famille a toujours gardé un lien fort avec la culture géorgienne. Après des études en sciences politiques à Paris, elle s’est lancée dans une carrière diplomatique de presque trente ans entre l’ONU à New York, à Washington et au Tchad. C’est sous la présidence de Jacques Chirac qu’elle a été nommée ambassadrice de France en Géorgie. A l’époque, personne n’aurait cru qu’un jour, elle prendrait les rênes de son pays d’origine.

Doris Leuthard à Tbilissi lors de son année présidentielle 2017

Il s’agissait de la première visite officielle d’un chef d’Etat géorgien en Suisse depuis l’établissement des relations diplomatiques entre Berne et Tbilissi. Côté suisse, la Présidente de la Confédération en 2017 Doris Leuthard s’était rendue en visite présidentielle en Géorgie. Les deux pays célébraient alors cette année-là le 25ème anniversaire des relations bilatérales. Le président de l’époque s’appelait Guiorgui Margvelachvili.

Lors de sa visite présidentielle en Géorgie, Doris Leuthard s’était entretenue avec le Président géorgien d’alors Guiorgui Margvelachvili.

La Suisse joue un rôle central dans la recherche de la paix entre la Géorgie et la Russie. La représentation des intérêts géorgiens à Moscou et des intérêts russes à Tbilissi est saluée par les deux nations. La Géorgie, aux côtés de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, forment ce qu’on appelle la région du Caucase du Sud. Si Guy Parmelin a pu rencontrer son homologue géorgien vendredi, il serait souhaitable de recevoir tout prochainement le Président azéri Ilham Aliyev ainsi que le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Ces trois nations sont des pays importants aux yeux de notre diplomatie.

Les Suisses acceptent ENFIN le mariage pour tous

Les couples homosexuels ont désormais le droit de se marier en Suisse. Les citoyennes et citoyens suisses ont largement plébiscité le mariage pour toutes et tous avec un résultat clair de 64,1%. Celui-ci va permettre à la Confédération de rattraper son retard en matière de droits des gays et des lesbiennes.  

Le 26 septembre dernier, les Suisses étaient appelés à se prononcer sur le mariage pour tous. Sans grande surprise, le texte a été accepté à 64,1% au niveau national, selon plusieurs résultats officiels. Au niveau de la Suisse romande, pas de grande disparité cantonale. Le Canton de Vaud a accepté la proposition à 65%, Genève à 65,1%, le Valais à 55,5%, Fribourg à 62,3%, Neuchâtel à 63,4%, le Jura à 61,1% et le Jura bernois à 53,3%. Concrètement, cela signifie que les couples de même sexe pourront se marier civilement dès le 1er juillet 2022. Et on ne peut que se féliciter de cette avancée sociale!

Un jour historique pour l’égalité

“On est très contents du résultat, c’est à la hauteur de notre campagne”, a déclaré sur les ondes de la RTS Olga Baranova, directrice de la campagne nationale pour le oui au mariage pour tous. Pendant plusieurs semaines, elle a sillonné les quatre coins du pays pour défendre ardemment ce oui. Hormis l’UDC et l’UDF mais sans surprise, les principaux partis politiques du pays soutenaient le principe d’un mariage pour tous au niveau fédéral. Même son de cloche du côté du Conseil fédéral. Le Gouvernement s’est félicité de ce résultat. “C’est un symbole fort et une reconnaissance de la société envers ces couples” a déclaré Karin Keller-Sutter, Conseillère fédérale en charge du DFJP. Avec ce oui, les Suisses ont mis fin à une discrimination qui durait depuis trop longtemps. Deux femmes ou deux hommes pourront se dire oui en toute liberté dès le 1er juillet de l’année prochaine.

Une Suisse qui rejoint la plupart des pays européens

En disant oui au mariage pour tous, la Suisse rejoint plusieurs pays qui connaissent déjà le mariage pour tous. Les pays où le mariage et l’union civile entre personnes de même sexe existent déjà sont les suivants : Finlande, Suède, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Irlande, France, Autriche, Espagne et Portugal. A l’inverse, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie ne reconnaissent pas le mariage pour tous.

En acceptant ce résultat, les citoyens suisses ont compris que la société a évolué et qu’il fallait aller dans le sens de l’évolution. Il était important de se mettre au diapason européen. Ce vote doit être vu comme un signal clair que la Suisse partage entièrement ou presque les valeurs de l’UE même si on a refusé l’accord-cadre.

 

Sécurité des Conseillers fédéraux : faut-il la renforcer?

C’est un moment plutôt rare dans l’histoire récente des conférences de presse du Conseil fédéral. Mercredi 1er septembre, à la fin du point de presse hebdomadaire, Guy Parmelin, le Président de la Confédération, a lancé un appel au calme. Il s’inquiète de la montée des tensions et de la violence verbale voire physique liée d’une part à la vaccination et d’autre part au pass sanitaire. Dans la capitale fédérale tout comme dans les Cantons, les responsables de la santé constatent avec tristesse une détérioration du climat général et font face hélas aux insultes et menaces. Il paraît loin le temps où on pouvait croiser un Conseiller fédéral ou un Conseiller d’Etat dans la rue ou dans les transports publics. A l’image des Etats-Unis, la Suisse ne devrait-elle pas se doter d’une force de sécurité supplémentaire type “CH Secret Service”?

Lors de la conférence de presse du Conseil fédéral de mercredi dernier, le Président de la Confédération Guy Parmelin a lancé un appel singulier et plutôt rare chez nous. “L’ennemi c’est le virus, pas les citoyens, les concitoyens et concitoyennes qui pensent différemment. Si je souligne aujourd’hui cette apparente évidence, c’est que j’observe avec une grande inquiétude une montée des tensions.” Aux abords du Palais fédéral, la sécurité a été renforcée afin de protéger les bâtiments et les employés de l’administration fédérale. Depuis plusieurs mois, il est devenu rare de voir un Conseiller fédéral seul dans les rues de Berne ou du pays : escorte en civil lors des déplacements à pied ou forces spéciales du Canton de Zurich pour la présence d’Alain Berset dans l’émission Arena de la SRF. Tout cela montre une division forte entre les pro et anti-vaccins. L’office fédéral de la police admet une augmentation inquiétante des propos insultants envers les élus politiques, en premier lieu sur les réseaux sociaux.

Agression physique à Zurich

Le mois dernier, à l’occasion d’une campagne de vaccination, la Conseillère d’Etat zurichoise en charge de la santé, Natalie Rickli, a été aspergée de jus de pommes. Cela peut faire sourire mais montre le climat délétère et inquiétant en Suisse, un pays pourtant habitué des débats respectueux. Dans le Canton de Genève, c’est la Médecin cantonale Aglaé Tardin qui a été victime de propos menaçants. Elle se trouve actuellement sous protection policière. La police fédérale a les moyens d’agir. Elle peut en premier lieu envoyer une lettre de recadrage, se rendre au domicile de la personne agressive et la rappeler à l’ordre ou encore prononcer une garde à vue. Mais cela est-il suffisant? Clairement non! Je suis d’avis qu’elle devrait aussi pouvoir arrêter la personne et la condamner à quelques années de prison (1-5 ans) pour atteinte à la sécurité nationale.

La Ministre zurichoise de la Santé, Natalie Rickli (UDC), lors de l’inauguration d’un bus vaccinal à Gossau et quelques minutes avant l’attaque au jus de pommes. Photo : Keystone

Recopier le modèle de sécurité américain

A l’image des Etats-Unis et de leur célèbre US Secret Service, la Suisse devrait aussi se doter de ce type de sécurité spéciale. Elle pourrait prendre la forme d’un “CH Secret Service”. Cette unité serait en charge de la protection de personnalités politiques comme : le Président, le Vice-Président, les Conseillers fédéraux, le premier cercle familial des personnes précitées, les anciens Conseillers fédéraux et leur conjoint, les candidats au Conseil fédéral (tous les quatre ans), les Parlementaires fédéraux, les juges fédéraux, des personnalités liées à la gestion d’une crise sanitaire ou économique, etc. Il est triste d’en arriver à ce point-là mais on ne peut pas jouer avec la sécurité d’un représentant politique au niveau fédéral ou cantonal. D’où l’importance pour la Suisse de se doter d’une force de sécurité supplémentaire pour les élus politiques.

En tant que citoyen et Conseiller communal, je souhaite qu’on puisse revenir à des discussions respectueuses autour des questions liées à la vaccination et au pass sanitaire. Dans une démocratie libérale, il est sain de se poser des questions ou de ne pas être d’accord. Toutefois, il y a une limite des propos quant ceux-ci commencent à devenir menaçants et/ou dangereux envers les personnes qui ont un autre regard que nous. Le système politique suisse est presque unique au monde. Nous devons le protéger pour les générations futures et refuser la violence politique.

30 ans d’indépendance : comment quatorze ex-républiques soviétiques ont quitté l’URSS

Il y a trente ans, en 1991, l’URSS (Union des Républiques socialistes soviétiques) de Mikhaïl Gorbatchev commençait à se disloquer. L’une après l’autre, les quatorze républiques soviétiques commençaient à se libérer de la tutelle de Moscou. C’est dans ce contexte que certaines ont célébré, célèbrent ou célèbreront prochainement les trente ans de leur indépendance. A l’image de l’Ukraine qui a fêté ses trente ans d’indépendance le 24 août dernier avec au menu de la journée un défilé de soldats, de chars et de missiles. Un message politique fort envoyé de la part de Volodymyr Zelensky, le jeune Président ukrainien, à son homologue russe, Vladimir Poutine. Rappelons que ce dernier a en 2014 fait rattacher illégalement la Crimée (territoire ukrainien) au reste de la Russie. Aujourd’hui, quel est l’état des relations entre la Russie et ses anciennes républiques soviétiques? Quelle place occupent ces nouveaux Etats indépendants sur la scène mondiale? Pourquoi ces pays sont importants aux yeux de la diplomatie suisse? Tour d’horizon.

Nouveaux Etats indépendants, entre intérêts russes et européens

De manière générale, la Russie de 2021 entretient de bonnes relations diplomatiques avec la plupart des ses anciennes républiques soviétiques. On peut citer parmi elles : 1) Les cinq pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan). La Russie mise sur la coopération économique et militaire et surtout la stabilité de cette région, propice aux mouvements islamistes radicaux. 2) Les deux pays du Caucase du Sud (Arménie et Azerbaïdjan). La Russie s’efforce de rester neutre dans le conflit du Haut-Karabakh et soutient le processus de paix qui pourrait permettre le retour à la paix entre Bakou et Erevan. 3) La Biélorussie. La Russie souhaite poursuivre l’intégration dans le cadre de “l’Union d’Etats Russie-Biélorussie”, un rapprochement qui devrait à terme créer un seul Etat entre les deux pays. 4) La Moldavie. Même si la Présidente actuelle est une pro-européenne convaincue, elle a assuré qu’elle s’efforcerait à trouver un équilibre entre l’Union européenne et la Russie, ce qui n’a pas déplu à Vladimir Poutine. La Russie va poursuivre la coopération économique avec ce petit pays.

A l’inverse, la Russie entretient des relations diplomatiques difficiles avec 1) La Géorgie. En 2008, des combats ont eu lieu dans les deux régions séparatistes pro-russe que sont l’Ossétie-du-Sud et l’Abkhazie. Treize ans après le conflit, les relations ne sont toujours pas rétablies. 2) Les trois pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie). Ceux-ci ont été marqués par la période soviétique et redoutent à chaque instant une invasion russe sur leur territoire. Leur appartenance à l’UE et à l’OTAN permet néanmoins de s’assurer d’une protection de leurs frontières. 3) L’Ukraine. Depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, les relations entre d’un côté Moscou et de l’autre Bruxelles et Washington se sont fortement dégradées même si tout le monde s’efforce à poursuivre le dialogue pour trouver des solutions pacifiques. Preuve de l’importance de l’Ukraine aux yeux de la Russie, Lénine disait même que : “si nous perdons l’Ukraine, nous perdons la tête.”

Rencontre des chefs d’Etat de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de la Moldavie, de la Biélorussie, de la Russie, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan à l’occasion d’un sommet de la Communauté des Etats indépendants en octobre 2014 en Biélorussie. Photo : compte Twitter de la présidence russe.

Les ex-républiques soviétiques sur la scène géopolitique mondiale

Parmi ces quatorze ex-républiques soviétiques, certaines ont su se placer sur l’échiquier géopolitique mondial. Le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie et l’Ukraine mais pour des raisons différentes. Le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine pour leurs exportations vers l’Occident de pétrole, de gaz naturel, de ressources minières et de produits agricoles. L’Ouzbékistan et le Tadjikistan pour leur rôle de pays stables et de soutien à lutte contre le terrorisme en Afghanistan. Leur poids dans la région devrait encore se renforcer à la suite du retrait chaotique et précipité des Américains d’Afghanistan. Tachkent et Douchanbé pourront compter sur l’appui militaire de Moscou afin de protéger leurs frontières, qualifiées parfois de poreuses. L’Arménie pour la défense des Chrétiens dans une région majoritairement musulmane. Un thème cher pour les dirigeants occidentaux. La Biélorussie à cause de sa position géographique, un pays aux portes de l’Europe. Depuis la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko l’été dernier, les relations avec Bruxelles et Washington se sont encore dégradées.

A l’inverse, d’autres pays comme le Kirghizistan, le Turkménistan, la Moldavie, la Géorgie ou les trois Etats baltes ne représentent pas ou peu d’intérêts politico-économiques pour Washington, Bruxelles et Berne. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’y passe rien, simplement que ces pays ne divisent pas l’Ouest et l’Est comme c’est le cas pour le dossier ukrainien.

Le Président français Emmanuel Macron avec le Premier ministre arménien Nikol Pachinian.

Les relations entre la Suisse et les ex-républiques soviétiques

On pourrait croire que la Suisse n’a de liens économiques forts qu’avec la Russie. Au contraire, la Suisse jouit d’une place importante auprès de certains de ces pays. A commencer avec les cinq pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) avec qui elle collabore étroitement au sein des groupes de vote de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (institutions de Bretton Woods). Le Kazakhstan est le premier partenaire commercial pour la Suisse dans cette région. D’après l’agence de presse Kazinform, le Président kazakh devrait bientôt se rendre en Suisse dans le cadre d’une visite officielle. Dans le Caucase du Sud, la Suisse s’efforce de soutenir le processus de paix dans le conflit d Haut-Karabakh opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan. D’ailleurs, en 2015, l’ancien Président suisse Didier Burkhalter avait proposé ses bons offices en accueillant un sommet entre les présidents azéri et arménien pour relancer le dialogue. Concernant la Géorgie, la Suisse représente depuis 2009 les intérêts diplomatiques de la Géorgie à Moscou et ceux de la Russie à Tbilissi. Cela fait suite au conflit armé de 2008 entre les deux pays. L’Azerbaïdjan est le premier partenaire commercial pour la Suisse dans cette région.

A l’opposé, avec les Etats baltes, les relations diplomatiques sont bonnes mais pourraient encore être développées. La Lituanie est le principal partenaire économique dans cette région. La Suisse joue un rôle important dans la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine. La Suisse veut préserver ses relations diplomatiques avec Kiev et Moscou au travers de sa politique des bons offices. Elle accueillera l’édition 2022 de la Conférence sur les réformes en Ukraine. Enfin, pour ce qui est de la Biélorussie et de la Moldavie, les relations économiques sont modestes. La Suisse a très peu développé ses relations avec ces deux pays.

L’ancien Président de la Confédération Ueli Maurer s’était rendu en visite officielle au Kazakhstan en novembre 2019. Pour rappel, le Kazakhstan est le premier partenaire commercial de la Suisse parmi les cinq pays d’Asie centrale. Photo : compte Twitter du Département fédéral des finances.

Trente années se sont écoulées entre 1991 et 2021. Les quatorze ex-républiques soviétiques se sont libérées des ordre de Moscou et ont pu se (re)construire et suivre leur propre chemin. Toutes veulent garder des bonnes relations avec la Russie mais elles cherchent aussi à diversifier les partenaires. Certaines d’entre elles ont su s’imposer sur la scène internationale, notamment avec l’exportation d’hydrocarbures. Certains diront que ces pays n’ont pas suivi le chemin de la démocratie. Tant pis, le plus important est que ces pays restent des partenaires stables, notamment dans la lutte contre le terrorisme international.

Afghanistan : un échec américain?

Alors que les talibans se rapprochent à grands pas de la capitale Kaboul, plusieurs pays occidentaux réduisent ou ferment leurs activités en Afghanistan. A commencer par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Finlande ou encore la Suisse qui ont décidé de rapatrier leur personnel diplomatique. Quant à la Russie, elle n’envisage pas pour le moment d’évacuer ses employés sur place. Bien que le Président afghan, Ashraf Ghani, a annoncé tout mettre en œuvre pour trouver une solution qui mettrait fin à la guerre, la question d’un retour en force des talibans au pouvoir se pose. Hier encore, Joe Biden défendait le retrait des troupes américaines en déclarant que : “rester en Afghanistan n’aurait fait aucune différence quand l’armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays.” Alors l’intervention militaire américaine en Afghanistan a-t-elle été un échec total?

Il y a d’abord eu en 1975 la défaite américaine au Vietnam. Cette année-là, le Vietnam du Sud, allié des Américains, perdait face au Vietnam du Nord communiste. En 2011, le 44ème Président américain Barack Obama décide d’en finir avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Il le renverse. Certes, l’objectif est atteint, mais le pays plonge ensuite dans le chaos et l’anarchie avec dans tout le pays des groupes terroristes et milices armées qui se disputent le pouvoir. Les talibans vont prendre le contrôle du pays, il n’y a aucun doute là-dessus. Après sept mois passés à la Maison Blanche, Joe Biden vit en ce moment sa première crise internationale. En annonçant il y a quelques mois un retrait total de toute force étrangère dans le pays, il n’a fait qu’empirer le problème. Il aurait dû s’assurer par un accord écrit que les talibans ne prendraient jamais le contrôle de Kaboul. Après vingt ans de timide démocratie et de libertés pour les femmes, il vient de redonner ce pays aux terroristes. Le pays va sans aucun doute et malheureusement revivre sous le régime des talibans, comme à la fin des années 90. La situation va s’aggraver en premier lieu pour la population afghane, fatiguée des conflits à répétition, mais aussi pour les pays occidentaux. La non-présence de forces armées étrangères va créer un vide favorable pour des terroristes et comme en Libye et/ou en Syrie, cela va attirer des djihadistes du monde entier. Par ailleurs, Berne a annoncé suspendre les expulsions de réfugiés déboutés vers Kaboul à cause des combats actuels. On peut applaudir cette décision, car il serait contraire à nos valeurs de renvoyer ces personnes en Afghanistan, le risque d’être tué est trop grand. De plus, l’ombre de la crise migratoire de 2015 plane déjà. L’Union européenne et la Suisse doivent impérativement se coordonner pour éviter de revivre une crise migratoire qui menacerait la stabilité et la paix ici en Europe.

Des combattants talibans patrouillent dans les rues de Hérat, deuxième plus grande ville d’Afghanistan, le 14 août 2021. Photo : AFP

L’intervention militaire américaine en Afghanistan a été un échec sur toute la ligne. Washington a investi des milliards, entraîné des milliers de soldats afghans et fourni des équipements militaires. Et pourtant, l’armée afghane est en déroute complète face aux talibans. Trop c’est trop! Il est temps que la Chine, la Russie ou des puissances régionales (Turquie, Iran, etc.) prennent la relève et assurent la sécurité au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Comment Emmanuel Macron a retourné sa veste

Il y a une semaine tout juste, les Français découvraient les nouvelles contraintes sanitaires imposées par leur président. Emmanuel Macron qui s’exprimait à l’occasion d’un discours télévisé a annoncé rendre le vaccin obligatoire pour les soignants et étendre le pass sanitaire à des nouveaux lieux de loisirs. Pour résumer, toute personne qui refusera le vaccin se verra privé ou de salaire ou de sortie au restaurant. Mesures drastiques voire arbitraires vue de Suisse. Alors que le Président français était opposé à la vaccination obligatoire en décembre dernier, le voilà qu’il a retourné sa veste. Cette énième mesure déjà décriée par plusieurs partis politiques dont le Rassemblement national de Marine Le Pen pourrait-elle entraver la réélection d’Emmanuel Macron s’il se représentait lors de l’élection présidentielle de 2022?

“Je suis pour le communisme. Je suis pour le socialisme. Et pour le capitalisme. Parce que je suis opportuniste” chantait Jacques Dutronc dans “L’opportuniste”, sa célèbre chanson sortie à la fin des années 60. On pourrait appliquer ces paroles à l’actuel président français, vue sa manière de gouverner de manière opportuniste. Emmanuel Macron a donc finalement décidé de rendre le vaccin obligatoire pour les soignantes et soignants et dans le même temps d’étendre le pass sanitaire. Ces deux mesures doivent permettre de poursuivre la lutte contre le Covid-19. “Ils auront jusqu’au 19 septembre pour se faire vacciner”, a déclaré le Président français. Au-delà de cette date, des sanctions tomberont comme par exemple ne plus pouvoir travailler et ne plus être payé. Le ton est ferme et martial. Quant au pass sanitaire, il entrera en vigueur pour les lieux de culture et de loisirs qui rassemblent plus de 50 personnes. Les cafés et restaurants, les centres commerciaux ou encore les transports sont concernés. Dans nos démocraties occidentales, je doute qu’imposer des décisions comme celle de la vaccination obligatoire puisse fonctionner et plaire à tout le monde. A titre personnel, je ne suis pas opposé aux vaccins puisque j’ai reçu mes deux doses Moderna. Mais je respecte totalement l’avis des anti-vaccins quant à leurs doutes qui sont légitimes. Un vaccin développé en aussi peu de temps peut amener quelques questions sur l’efficacité. En Suisse, en France ou ailleurs en Europe, c’est un droit de ne pas se faire vacciner. Interdire les personnes n’ayant pas reçu de vaccin de fréquenter certains endroits est contraire à la liberté de mouvement. J’ai la conviction profonde que cela créerait une sorte d’apartheid entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas. Cela diviserait encore plus la société. Emmanuel Macron prend un gros risque à moins d’une année de la prochaine échéance électorale nationale. Ces deux mesures pourraient lui coûter sa place. A sa place, j’essaierais plutôt de sensibiliser ou de répondre aux craintes que suscitent les vaccins. Mais toujours en laissant la liberté de se faire vacciner ou non. Le Président français aime ainsi rappeler à ses homologues chinois et russe, respectivement Xi Jinping et Vladimir Poutine, l’importance de respecter les libertés individuelles et les droits de l’Homme. Obliger une personne travaillant dans le secteur de la santé à se faire vacciner en la menaçant de ne plus la payer est pour moi contraire au respect des choix individuels. Vladimir Poutine ou Xi Jinping seraient en droit de retourner la morale sur la démocratie à Emmanuel Macron.

La décision du chef de l’Etat français pose quelques questions quant aux libertés et au droit de ne pas faire comme les autres. Les mesures annoncées pourraient coûter cher à Emmanuel Macron et à son parti. Ses adversaires peuvent s’adonner à cœur joie de l’attaquer sur ces mesures décriées et si délicates. S’il veut faire un deuxième mandat, il doit impérativement revenir sur ses mesures et opter pour la sensibilisation, faute de quoi il devra rendre les clés de l’Elysée l’an prochain.

 

 

 

Les folles semaines du Conseil fédéral

Parmi les sept membres du Conseil fédéral, quatre d’entre eux auront mérité leurs vacances d’été. Le Président de la Confédération et chef du DEFR Guy Parmelin, le Vice-Président de la Confédération et chef du DFAE Ignazio Cassis, la cheffe du DETEC Simonetta Sommaruga et le chef du DFF Ueli Maurer ont vécu ces dernières semaines une séquence diplomatique d’une densité rare. Après la date du 26 mai 2021, synonyme de la rupture voulue par Berne des négociations de l’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne, les quatre ministres ont enchainé pas moins d’une vingtaine d’entretiens avec des chefs d’Etat et/ou de Gouvernement répartis entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Une manière peut-être d’atténuer les effets négatifs à venir de l’abandon de l’accord-cadre. Après l’échec de cet accord, doit-on voir dans ces différentes rencontres une offensive économico-diplomatique du Conseil fédéral pour rassurer et diversifier les partenaires commerciaux de la Suisse? Tour d’horizon pour chacun des Conseillers fédéraux de leurs différents voyages.

Guy Parmelin, un UDC à l’esprit européen

Les 8 et 9 juin, Guy Parmelin s’est rendu en Slovénie pour y rencontrer le Président Borut Pahor ainsi que le Président du Gouvernement Janez Janša. Cette rencontre a eu lieu dans la perspective de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. A chaque fois qu’un pays membre de l’UE accède à la présidence pour une période de six mois, il est de coutume pour un Président de la Confédération de se rendre dans ce pays-là et de faire le point sur la relation bilatérale, la collaboration Suisse-UE et les défis à venir pour le continent. La France succédera à la Slovénie le 1er janvier 2022 donc normalement Guy Parmelin devrait rencontrer à Paris son homologue français Emmanuel Macron. Le 14 juin, Guy Parmelin a effectué un déplacement en Suède dans le cadre d’une visite présidentielle. Reçu par le Roi Charles XVI Gustave et par le Premier ministre Stefan Löfven, ils ont célébré ensemble 100 ans de relations diplomatiques entre Berne et Stockholm. Les 15 et 16 juin, à l’occasion du sommet historique entre Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève, Guy Parmelin a obtenu une rencontre avec les deux chefs d’Etat. Remercier et parler avec le président du pays hôte était la moindre des choses. Enfin, les 28 et 29 juin, Guy Parmelin a pris part à la rencontre annuelle des chefs d’Etat des six nations germanophones, aux côtés du Président allemand Frank-Walter Steinmeier, du Grand-Duc Henri de Luxembourg, du Prince héritier Alois de Liechtenstein, de Philippe, Roi des Belges ainsi que du Président autrichien Alexander Van der Bellen.

Rencontre sexpartite annuelle des chefs d’Etat des pays germanophones fin juin à Potsdam en Allemagne. Photo : compte Twitter du Président suisse.

Ignazio Cassis décroche l’édition 2022 de la Conférence sur les réformes ukrainiennes

Les 11 et 12 juin, Ignazio Cassis était en Autriche pour y rencontrer son homologue et prendre part au Forum européen de la Wachau. Il a rencontré brièvement le Chancelier fédéral Sebastian Kurz. Ce dernier a plaidé encore une fois pour une bonne entente entre notre pays et l’UE. A l’occasion d’une tournée dans les trois Etats baltes pour une double célébration (100 de relations diplomatiques et 30 ans de reprise des relations suite à la chute de l’URSS) entre le 4 et le 8 juillet, Ignazio Cassis a pu s’entretenir avec le Président letton Egils Levits. Malheureusement et pour une raison inconnue de ma part, il n’a pas été en mesure de rencontrer les chefs d’Etat et/ou de Gouvernement de l’Estonie et de la Lituanie. Présent à Vilnius pour l’édition 2021 de la Conférence sur les réformes en Ukraine, il a échangé avec le Président Volodymyr Zelensky ainsi que le Premier ministre Denys Shmyhal. Coup de poker pour la diplomatie suisse puisque l’édition 2022 se déroula au Tessin.

Discussion entre le Président ukrainien Volodymyr Zelensky et le Vice-Président suisse Ignazio Cassis à Vilnius en Lituanie, en marge de l’édition 2021 de la Conférence sur les réformes en Ukraine. L’an prochain, l’édition 2022 se tiendra dans le Canton du Tessin. Photo : compte Twitter du Président ukrainien.

Simonetta Sommaruga et Nana Akufo-Addo, une amitié helvetico-ghanéenne

Entre le 5 et le 9 juillet, Simonetta Sommaruga s’est rendue sur le continent africain, plus particulièrement au Sénégal et au Ghana. A Accra, elle a pu s’entretenir avec le Président Nana Akufo-Addo. Pour la petite anecdote, en 2020 et juste avant la fermeture des frontières presque partout dans le monde, Simonetta Sommaruga, alors Présidente de la Confédération, avait reçu Nana Akufo-Addo pour une visite d’Etat historique en Suisse. Une manière sûrement de la part du Ghana de souligner les liens forts entre les deux pays.

Rencontre informelle dans la capitale ghanéenne Accra entre le Président Nana Akufo-Addo et la Ministre en charge de l’environnement et des transports Simonetta Sommaruga. Ils ont souhaité un approfondissement des relations économiques entre les deux pays. Photo : Business Ghana.

Ueli Maurer et son goût pour l’Orient

C’est Ueli Maurer qui a ouvert le bal des voyages officiels au printemps. Le 28 mai dernier, il s’est rendu en Slovénie pour une visite de travail au cours de laquelle il a rencontré son homologue ainsi que très brièvement le Président Borut Pahor. Au début de cette semaine, après une visite en Egypte, Ueli Maurer s’est arrêté quelques heures au Qatar où il a été reçu par l’Emir Tamim ben Hamad Al Thani. Ueli Maurer connaît bien cette région puisqu’à l’automne 2019, il s’était déjà rendu dans cette partie du monde et avait effectué une visite officielle aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite.

Rencontre informelle à Doha au Qatar entre le Ministre en charge des finances Ueli Maurer et l’Emir Tamim ben Hamad Al Thani . En 2023, la Suisse et le Qatar célébreront 50 ans de relations diplomatiques. Photo : Département fédéral des finances

Tous ces voyages qui interviennent après l’abandon des négociations sur un accord entre Berne et Bruxelles ne sont pas anodins. Je crois à une prise de conscience de la part du Conseil fédéral quant à une possible dégradation des relations avec un partenaire économique aussi important que l’Union européenne. Certes, nous devons aller au-delà du marché européen et assurer nos relations ou chercher des nouveaux acteurs économiques dans ce monde. Mais le Conseil fédéral ne doit pas oublier que la relation avec l’UE est primordiale pour notre économie. Maintenant que cet accord est enterré, il faut que le Conseil fédéral arrive après l’été avec un nouveau projet de stabilisation des relation bilatérales.

Vladimir, Guy et Joe

Le mercredi 16 juin 2021 restera comme l’une des journées les plus importantes de l’année pour la diplomatie suisse et mondiale. Les Présidents américain et russe Joe Biden et Vladimir Poutine se sont rencontrés face à face à l’occasion d’un sommet historique à Genève. Plusieurs sujets d’intérêts communs et de tensions comme par exemple le désarmement nucléaire, le climat ou la situation de l’opposant russe emprisonné Alexeï Navalny ont été passés en revue par les deux délégations. Plusieurs observateurs des relations russo-américaines entendus à la radio avaient redouté de grandes avancées. Et pourtant, à la fin de la rencontre, les deux hommes ont émis une volonté de restaurer le dialogue et de travailler ensemble. Un des points importants de ce sommet à retenir est le retour en fonction à Washington de l’ambassadeur russe et à Moscou de l’ambassadeur américain. D’ailleurs, Anatoli Antonov, ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, s’est envolé aujourd’hui pour Washington. Après les quatre années de haine déversée par Donald Trump contre les institutions internationales, Genève a-t-elle retrouvée sa place de plateforme de dialogue entre les grands de ce monde?

Un premier sommet Etats-Unis – Russie déjà en 1985

Il s’est passé 35 ans depuis la dernière rencontre Russie (URSS à l’époque) – Etats-Unis. C’était en novembre 1985 à Genève également, avec les leaders américain et soviétique Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Les Russes ont donc accepté l’offre des Américains de se rencontrer en présentiel en territoire neutre. Chapeau pour la diplomatie suisse car elle s’est activée en coulisse pour vanter les atouts de Genève. Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, injustement condamnée par les Occidentaux, Washington et Moscou ne se parlait quasiment plus. Outre ce dossier chaud, l’avenir de Bachar al-Assad en Syrie ou celui d’Alexandre Loukachenko en Biélorusse sont aussi des sujets où Poutine et Biden analysent la situation différemment. Ce n’est pas cela qu’on devrait retenir mais plutôt la volonté des deux hommes de rétablir un canal de communication respectueux. Si les Américains et les Russes ne se parlent plus, alors le monde ne pourra jamais aller mieux. Depuis 1985, le monde a bien changé. A l’époque, il y avait d’un côté le camp communiste (Etats liés à l’URSS) et de l’autre le camp occidental (Etats liés aux Etats-Unis). Aujourd’hui, il y a des puissances qui ont un poids considérable autour du globe soit par leur économie puissante soit par leur arsenal militaire (Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Etats-Unis). Mais il y aussi eu ces dernières années une émergence de puissances dites régionales qui ont une certaine importance mais relative (Brésil, Japon, Allemagne, Pologne, Turquie, Israël, Australie, Inde, Indonésie, Thaïlande, Nigeria, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Ethiopie ou encore l’Algérie). Les Etats-Unis et la Russie continueront à s’affronter idéologiquement mais davantage par le biais de leur alliés, les puissances régionales.

La Suisse, puissance ni économique ni militaire mais diplomatique

La Suisse en accueillant ce sommet a mis les petits plats dans les grands. Côté protocole, accueil des deux chefs d’Etat et sécurité, tout s’est bien passé. Joe Biden a eu un droit à un accueil à l’aéroport mais pas Vladimir Poutine. On dit qu’il n’aime pas trop ce côté protocolaire mais plutôt qu’il veut aller droit au but. Aucun incident n’est survenu pendant le sommet. On peut remercier ainsi toutes les personnes qui ont travaillé pour ce sommet et qui ont permis la tenue de cette rencontre. La Suisse a la particularité de parler à tout le monde, c’est-à-dire à des régimes démocratiques comme à des régimes semi-autoritaires. Notre Président Guy Parmelin a parfaitement endossé son costume de président, il a été au top. Il s’est entretenu le jour avant le sommet avec Joe Biden et le jour du sommet avec Vladimir Poutine. En ce qui concerne les relations Suisse – Etats-Unis et Suisse – Russie, il existe une volonté d’approfondir les relations bilatérales qui sont déjà très bonnes. Quand un Président de la Confédération rencontre un grand de ce monde, c’est toujours une marque d’estime. Enfin, je ne cache pas ma joie d’avoir vu Air Force One sur le tarmac de l’aéroport de Genève ou les cortèges de voitures américaines et russes circuler en ville de Genève. C’est toujours impressionnant de voir peut-être 30 ou 40 véhicules assurer la sécurité d’un chef d’Etat russe ou américain. En Suisse, on est tellement loin de ce “show”. Mais si j’étais Président suisse, probablement que je demanderais à Fedpol ou au SRC que le cortège présidentiel suisse soit plus imposant pour le public. Il faut montrer qui est le boss!

La Genève internationale, plateforme de dialogue indispensable

Genève est une ville connue dans le monde entier. Ce sommet a permis de remettre cette ville au cœur de la diplomatie mondiale. En gros, il y a un conflit ou une crise entre deux pays, les dirigeants devraient immédiatement penser à Genève. Un futur sommet Etats-Unis – Chine / Etats-Unis – Corée du Nord / Etats-Unis – Cuba / Etats-Unis – Iran, Genève est prête! Les années Trump et la crise du Covid-19 ont été un cauchemar pour la Genève internationale. Certes, Joe Biden reste un président américain qui défend d’abord ses intérêts mais quand un locataire de la Maison Blanche dit que le multilatéralisme a une importance, alors ses mots résonnent dans le monde entier. La Suisse doit continuer et elle le fera à soutenir la Genève internationale et le multilatéralisme. Face aux armes, le dialogue pour trouver des solutions sera toujours plus fort.

Pas d’accord-cadre entre la Suisse et l’UE

Retour à la case départ pour les relations entre Berne et Bruxelles. Après sept ans de négociations, le Conseil fédéral a annoncé mercredi 26 mai dernier la fin des discussions sur l’accord-cadre. Il n’y aura donc pas d’accord général encadrant les liens et fixant les règles du jeu dans l’importante relation qui lie la Suisse à l’UE. La Commission européenne par la voie de son porte-parole Eric Mamer en a pris acte à regret : “notre accord commercial avec la Suisse a presque cinquante ans d’âge. Nos paquets d’accord sectoriels ont plus de vingt ans d’âge et il est évident que la législation européenne continue à évoluer. Dès lors que nous n’avons pas d’accord-cadre, tous ces accord ne vont pas évoluer et il y aura un décalage de plus en plus grand. Et ce sont des opportunités perdues pour les opérateurs suisses qui opèrent dans l’UE”. La Suisse craignait pour la protection de ses salaires, plus élevés que dans l’UE. Elle redoutait aussi un accès sans restriction des ressortissants européens à ses prestations sociales. Les négociations n’en finissaient plus de piétiner. Parmi les quatre grands partis politiques du pays, l’UDC et le PS étaient contre cet accord institutionnel mais pour des raisons différentes. Quant au Centre et au PLR, ils le soutenaient bien qu’ils demandaient quelques clarifications techniques. L’accord-cadre Suisse-UE est mort. Alors après cet abandon, quelle suite notre pays voudrait-il donner à sa relation avec son principal partenaire commercial?

Le Conseil fédéral en stoppant les négociations a commis une erreur. Certes, cet accord-cadre devait encore être discuté et ajusté avant une signature définitive. La Suisse était en droit d’obtenir les clarifications souhaitées, c’est-à-dire sur la protection des salaires, la directive sur la libre circulation des citoyens de l’Union et les aides d’Etat. Mais venir devant la presse et annoncer que les négociations s’arrêtent là sans avoir discuté d’un plan B au préalable est dangereux pour notre pays. On sait que l’économie n’aime pas l’incertitude. Pourtant, le Conseil fédéral en ne souhaitant pas poursuivre la discussion avec l’UE plonge notre pays et son économie dans une grande incertitude. Pas de nouvelles dates de rencontres dans les prochaines semaines. Le Conseil fédéral a juste fait savoir qu’il souhaite néanmoins sauvegarder la voie bilatérale. Pauvre réponse! Avec cet accord-cadre, on aurait eu plus à gagner qu’à perdre (échanges économiques, recherche, électricité, observation spatiale, santé, échanges académiques, etc.), soit un large panel de domaines. L’Union européenne fait partie du top trois de nos partenaires commerciaux aux côtés des Etats-Unis et de la Chine. A l’inverse, la Suisse est le quatrième partenaire commercial de l’UE. Environ 52% de nos exportations vont vers l’UE alors qu’environ 70% de nos importations proviennent de l’UE. Tout est dit ou presque.

Que faire alors ces prochaines semaines pour assurer nos relations avec l’UE? J’ai beaucoup entendu ces derniers jours parler ou reparler d’une adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE), refusé à 50,3% en 1992. A titre personnel, je crois à cette solution et elle nous permettrait de garder un accès au marché intérieure européen comme le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande, trois pays riches et qui s’en sortent bien. Ces pays n’ont pas perdu leur souveraineté, on ne la perdrait pas non plus. Les socialistes proposent une adhésion de la Suisse à l’UE, cela ne marchera jamais. Les Verts libéraux proposent une adhésion de la Suisse à l’EEE comme “alternative valable”, cette idée me plaît et devrait être soutenue. Le PLR rejette et l’adhésion de la Suisse dans l’UE et l’adhésion dans l’EEE, privilégiant la voie bilatérale. Trop réfléchir tue parfois les bonnes idées.