Ne discriminez pas les assemblages

La semaine dernière, nous avons fait une petite virée en Toscane, pour certes, profiter de la météo et de l’air iodé du bord de mer mais surtout pour travailler ! Avec mon compagnon et ma vigneronne préférée et mentor Marina, nous préparons deux cuvées confidentielles pour cette première année. Nous étions déjà allés en Toscane en septembre pour vendanger et en janvier pour déguster les jus, une fois la fermentation terminée. Cette fois, nous avons enfin pu faire notre premier assemblage, celui de notre Rosso. Une micro-cuvée de 300 bouteilles à base de Syrah et Merlot, 50% de chaque. Une des questions qu’on m’a le plus posé est : « mais pourquoi faire un assemblage, toi qui adores montrer les caractéristiques de chaque cépage ? ». Oui ! J’adore les mono-cépages et les révéler. En l’occurrence, à Bolgheri, les appellations DOC Bolgheri Rosso et Superiore ont un cahier des charges qui invitent aux assemblages.

En discutant avec des clients, je suis souvent étonnée de cette nouvelle tendance à « discriminer » les assemblages. En en entendant certains, on dirait parfois, que c’est tricher d’utiliser plusieurs cépages pour faire un vin. L’idée est uniquement d’avoir un résultat qui soit équilibré, sphérique, où rien ne dérange (pas de tanins trop astringents, une acidité qui soit fondue, un alcool qui apporte de la rondeur et de la texture mais pas d’effet « chaud » en bouche, etc.). Pour certains, on dirait que faire un assemblage, c’est lisser, maquiller le vin alors que ce n’est pas le cas. L’idée est d’utiliser en complémentarité les caractéristiques de chaque cépage tout en les respectant dans le résultat final. L’idée est surtout de faire qu’1+1=3 – que la somme des éléments assemblés soient encore bien supérieurs à chaque vin solo.

Pour illustrer mes propos, je vous propose de me suivre dans une série d’exemples justifiant pourquoi les assemblages sont plutôt nos amis. 😊

 

L’assemblage, un élément culturel historique dans de nombreuses régions

L’assemblage permet historiquement de pallier des problématiques climatiques lors des vendanges, comme en Champagne où le gel peut facilement emporter toute une récolte. Ainsi, avoir des vins « de réserve » permettait de s’assurer à avoir des vins à mettre sur le marché en gardant du stock des années précédentes sans les avoir mis en bouteille pour faire leur deuxième fermentation.

Aujourd’hui ces vins de réserve existent toujours et permettent de faire des assemblages avec « le style de la maison » en faisant vieillir plus ou moins longtemps ces vins et en variant également sur les contenants. Certaines maisons font des élevages en barrique pour leurs vins de réserve, d’autres en œuf en grès, en amphore, en cuve béton, inox. Mais il y a encore bien d’autres options, ne serait-ce que varier les types de bois (acacia, chêne français, etc.). Il est donc possible et intéressant de faire un assemblage des vins vieillis dans différents contenants en Champagne ou partout ailleurs. Dans la région de Rioja en Espagne, les vins sont fréquemment vieillis dans des fûts faits en chêne américain. À la Bodega LAN, ils ont même développé des barriques en chêne « hybride » avec une partie en chêne français qui amène des arômes de vanille et une partie en chêne américain qui apporte des notes intenses de noix de coco. Cela apportera à nouveau, davantage de complexité dans le vin final.

Peut-être que cette notion de complexité vous paraît abstraite ? Prenons donc un exemple plus simple. Admettons que vous fassiez un gâteau au chocolat avec un de vos amis. Vous prenez les mêmes ingrédients de base : farine, œufs, sucre, chocolat, beurre. Vous cuisez tous les deux votre gâteau et lorsqu’il sort du four, vous décidez de rajouter du caramel dessus et quelques noisettes torréfiées. Vous dégustez ensuite vos deux gâteaux. Les deux sont probablement délicieux mais le gâteau de votre ami est plus simple alors que le vôtre est plus complexe. Il a plus de « couches » d’arômes différentes. La complexité est un élément essentiel pour évaluer la qualité d’un vin. En gagner grâce aux assemblages est une technique fascinante car il y a des multiples façons de faire des assemblages et d’ainsi, rendre votre futur vin, meilleur.

 

L’assemblage, une des solutions pour pallier aux problèmes découlant du dérèglement climatique ?

Aujourd’hui, les assemblages en Champagne se diversifient car ils peuvent aider à pallier au changement climatique. Par exemple, on replante des vieilles variétés locales qui mûrissent plus tard ou préservent davantage d’acidité ou simplement, qui ne mûrissaient pas bien avant et qui aujourd’hui permettent d’éviter des surmaturités dans les vins clairs (vin de base avant la seconde fermentation en bouteille). Chez Drappier, l’Arbane et le Petit Meslier ont retrouvé leurs lettres de noblesse. La maison familiale Tarlant a elle aussi une cuvée dédiée à ces cépages qui s’appellent BAM (délicieuse d’ailleurs, comme toutes leurs cuvées) et qui est un acronyme de Blanc (Pinot Blanc), Arbane, Meslier. Une façon originale de valoriser ces assemblages.

 

Assemblage de cépages

Ces assemblages, on les voit partout. À Bordeaux, ils permettent de marier à merveille Cabernet Sauvignon et Merlot. Si on observe ces deux cépages, le Cabernet Sauvignon est généralement très acide, très tannique, parfois un peu austère et a un profil aromatique autour des fruits noirs principalement le cassis. De l’autre côté, le Merlot est souple, rond, avec des tanins plus abordables, moins élevés. L’acidité, elle aussi, est plus faible et le profil aromatique jongle sur les notes de fruits rouges et noirs comme la prune. Ils sont donc faits pour être ensemble. L’un assouplit la dureté de l’autre. Le Cabernet apporte de la tonicité au Merlot et le rend plus structuré, lui apporte du volume. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une histoire de cépage, d’arômes ou de quantité de tanins. C’est aussi une histoire de terroir. Si on observe les sols bordelais, sur la Rive Gauche, on y trouve des graves, des sortes cailloux. Cela donne des sols qui sèchent assez rapidement et qui sont surtout très drainants. C’est l’idéal pour le Cabernet Sauvignon qui aime des sols pauvres et qui a besoin d’un certain stress hydrique pour s’exprimer pleinement et produire des futurs grands vins. Sur la Rive Droite, le sol est constitué de beaucoup d’argiles. Ce type de sol agit comme une éponge. Il absorbe l’eau et la retient très bien grâce à ses feuillets. C’est donc le sol parfait pour sa Majesté la Princesse Merlot qui a besoin d’avoir de l’eau à disposition. Cette adéquation cépage terroir se retrouve dans les vins. Les vins issus de la Rive Gauche contiennent principalement du Cabernet Sauvignon, puisque c’est ce qui y pousse le mieux, quant à la Rive Droite, elle fait des vins avec des grandes proportions de Merlot. Et pour avoir toujours plus de diversité, vous pouvez complémenter le tout avec une touche de Petit Verdot, de Cabernet Franc ou encore des autres cépages historiques bordelais comme le Carménère ou le Malbec.

 

Assemblage, le cas des vins fortifiés de Porto

Dans le cas des vins du Douro au Portugal, les cépages locaux utilisés pour les assemblages sont légèrement masqués par les caractéristiques de la vinification (l’extraction rapide de couleurs et tanins puis la fortification par l’ajout d’alcool pour stopper la fermentation et maintenir environ 100g/l de sucre résiduel) et l’élevage (oxydatif ou non). Ces deux étapes vont primer sur l’importance de considérer le pourcentage de chaque cépage. Ils apportent pourtant tous des arômes intéressants mais, comme mentionné précédemment, c’est finalement, la somme de tous ces cépages qui priment.

 

Assemblage d’année, le cas de la solera

Les vins de Jerez en Espagne sont par définition assemblés dans un système nommé la solera. C’est une façon unique d’élever les vins en mélangeant les plus vieux vins avec des vins plus jeunes. Cela se reflète dans les vins qui vont avoir des notes issues de l’oxydation délibérées comme le rancio, la noix ou le caramel dans les jerez de type Oloroso. Les jerez de type Fino ont besoin d’avoir cet apport de vin jeune du dernier millésime pour avoir suffisamment de nutriment pour constituer et nourrir un voile de levures nommé la « flor » qui va manger le glycérol du vin et lui apporter des notes d’amandes amères et d’acétaldéhyde, signature de son style.

 

Assemblage de clones, l’exemple australien

En Australie, les clones sont valorisés. Les producteurs vont chercher à avoir différents clones de Pinot Noir tel que le Dijon ou le 777 ou Chardonnay afin d’avoir un maximum de diversité dans les raisins qui en résultent.

 

Assemblage dans l’huile d’olive

Marina, c’est ma mentor toscane et elle m’apprend toujours tellement de choses. Cette fois, on s’est plongé dans le monde des assemblages d’huile d’olive. Chez nous, on a plus de 300 oliviers. On va faire notre première production maison cette année, c’est un gros chantier mais on progresse. Toutefois, on n’a qu’une variété, la « Moraiolo ». Elle est réputée pour faire des huiles très élégantes et toute en finesse. Marina fait aussi de l’huile, qui, comme le vin, a ses caractéristiques selon la variété d’olive et la période de récolte qui est cruciale pour l’aromatique de la future huile ainsi que son contenu en composés phénoliques et vitamine E. Elle a des oliviers de plusieurs variétés et nous nous sommes amusés à déguster chaque sorte avec différentes périodes de récolte. Nous avons ensuite essayé de faire notre propre assemblage. C’était impressionnant de voir les similitudes avec le monde du vin, tous les arômes présents, l’amertume, la texture des différentes huiles. C’est un monde tout aussi vaste et complexe que celui du vin.

 

Conclusion

Ces exemples ont pu montrer que les assemblages font partie intégrante de la culture du vin. Il est vrai qu’il est fantastique de déguster des vins issus d’un seul cépage et de comprendre ses caractéristiques, mais les « blend » ont toujours eu leur place dans l’univers du jus de raisin fermenté et de bien d’autres produits comme l’huile d’olive, le café, la bière, le chocolat. Apprécions donc chaque vin pour ce qu’il est et essayons de comprendre la volonté du vigneron derrière le flacon que nous dégustons.

 

Johanna Dayer

Johanna Dayer est une des quatre associés du Clos de Tsampéhro, domaine viticole valaisan en culture biologique. En parallèle, elle enseigne les fameuses formations du WSET et d'autres cours dans différents cursus, principalement aux élèves de Master. Cette hédoniste, passionnée de vin essaie de terminer "Master of Wine", le titre plus difficile et reconnu dans le monde du vin obtenu par seulement 419 personnes dans le monde.

2 réponses à “Ne discriminez pas les assemblages

  1. Bien d’accord avec vous sur l’assemblage. Mais par cotre je ne vois jamais votre position sur la qualité des sols, les produits utilisés qui sont un véritable désastre pour la bio diversité et la santé humaine etc… etc…

    1. Bonjour! En tant que membre du comité de Bio Valais, ma position est très claire par rapport à ce sujet. Néanmoins, le but de ce blog n’est pas de critiquer mais plutôt de donner des sources d’inspiration pour faire une viticulture plus propre, plus durable et avec moins de conséquences néfastes sur la biodiversité, la planète, etc. Je suis en train de préparer une petite série d’articles avec des vignerons qui ont implémenté des solutions vertes pour limiter leur impact sur l’environnement. Personne n’a une approche parfaite vis-à-vis de l’environnement, mais il ne faut pas que tout le monde agisse de manière parfaite mais que chacun d’entre nous s’implique et fasse des changements positifs qui s’inscrivent dans la durée. J’espère qu’avec la petite série de vidéos et articles que je vais prochainement publier, cela donnerait des bonnes idées à beaucoup de vignerons et qu’ils auront envie de mettre en place certaines de ces techniques. Chaque action est un pas vers le mieux et doit être encouragé 🙂 Belle journée!

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