Prise d’otages au Parlement

Et si le Parlement était victime d’une prise d’otages ? En ce début de nouvelle législature, j’ai une pensée émue pour l’ancien conseiller national Jacques Neyrinck. Dans le roman « L’attaque du palais fédéral » paru en 2004, il avait astucieusement décrit cette intrusion de la violence au cœur de la politique fédérale. Son récit résonne comme le souvenir d’une époque où on rentrait plus facilement au Palais fédéral que dans une boite branchée. Les mesures de sécurité ont été renforcées et il faut montrer patte blanche pour entrer au Parlement. Un danger plus grand que celui d’une attaque terroriste pèse sur le Parlement : une prise d’otages politique et collective. Ce ne sont pas ses membres qui sont pris au piège, mais bel et bien l’institution et ses prérogatives.

Premier exemple la semaine prochaine, avec une élection au Conseil fédéral qu’un parti tente de cadenasser. Fort de sa victoire électorale et d’une expérience traumatisante en 2007, le dit-parti veut être certain que seuls les candidats officiels – ou plutôt « le » – auront la gentillesse d’accepter leur élection. Il a donc prévu une clause d’exclusion. Si l’Assemblée fédérale se permet d’élire un autre représentant au Conseil fédéral, celui-ci sera automatiquement exclu du parti et, dans quatre ans, nous recommencerons le stérile débat sur la responsabilité et la bonne représentation du parti. Si les candidats proposés sont de valeur, il n’y a certes pas de raison d’aller chercher ailleurs. Mais la manière gène profondément : qui d’entre nous aime prendre une décision sous la menace de conséquences fâcheuses ?

Le deuxième exemple est autrement plus grave car il touche directement à la fonction essentielle du Parlement, celle d’édicter les lois. En février, les citoyens sont appelés à voter sur l’initiative de mise en œuvre. Celle-ci reprend en mode « copier/coller » l’une des propositions de mise en œuvre du texte de l’initiative sur l’expulsion des criminels étrangers. Un projet de loi détaillé serait ainsi directement introduit dans la Constitution. La prise d’otages est ici plus grave car c’est l’entier du processus démocratique qui est visé. En 2010, les citoyens ont accepté l’initiative sur le renvoi en ayant été suffisamment informés sur les difficultés que sa mise en œuvre provoquerait. En effet, l’initiative remettait frontalement en question l’un des principes fondamentaux de la Constitution, le principe de proportionnalité. Sans surprise donc, le Parlement et le Conseil fédéral ont eu des difficultés à mettre en œuvre ce texte volontairement écrit pour créer des problèmes. Sans attendre les résultats de cet arbitrage politique aussi normal que nécessaire, l’UDC a lancé une nouvelle initiative pour forcer la main du Parlement. Cette deuxième initiative prise d’otages a d’ores et déjà laissé des traces. D’une part, le Parlement travaille dès maintenant sous la menace lorsqu’il met en œuvre une initiative. Si le résultat ne convient pas, on ne le combattra pas en referendum comme c’est la tradition, mais simplement en mettant dans la Constitution un texte détaillé. D’autre part, tous les comités d’initiative du pays vont maintenant se poser la même question : pourquoi prendre le risque de laisser le Parlement faire son travail ? Proposons directement une initiative réglant tous les détails.

Dans les deux cas de prise d’otages, on aimerait voir le Parlement se rebeller, résister, parler d’une voix forte. On veut lui faire une clef de bras, à lui de montrer les dents et défendre ses prérogatives si essentielles à la bonne marche du pays. Pour organiser cette affirmation parlementaire, il faut neutraliser l’absolutisation du vote populaire. L’initiative populaire modifie la Constitution, mais un nouveau texte doit, d’une part, être interprété à la lumière de l’entier de la Constitution et des engagements internationaux du pays et, d’autre part, être mis en œuvre dans une loi. Ce travail législatif, ce n’est pas le peuple qui le fait, mais bien le Parlement et le Conseil fédéral. Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.

 

 

 

 

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)