Et si…malheureusement !

Imaginez si les terroristes avaient ouvert le feu au Bataclan en hurlant « vive la musique classique ! ». Presque 100 personnes amatrices de métal massacrées pour la cause de la Grande Musique. Un règlement de compte sanglant. Réactions des milieux hip-hop à venir sous peu, soupirs outrés du côté des musiques du monde.

Le président de la République aurait immédiatement fait arrêter les compositeurs et les interprètes. Les magasins de disques auraient été fermés et les sites internet offrant l’accès au répertoire classique mis sur listes rouges. De l’ordre, vite et bien !  Le public aurait maugrée sur le ton du « on le savait bien ! » – à force d’écouter ces grandes envolées, les gens finissent par perdre la tête et tuer tout le monde. Vivement que le classique soit interdit. Le problème sera réglé.

Malheureusement, les terroristes ont parlé de Dieu. Celui auprès duquel certains de nos compatriotes se sentent bien, mais pas celui de la majorité. Si les terroristes avaient parlé du Vieux barbu, le nôtre, on aurait alors pris nos distances. Chacun aurait dit à son voisin : ils ont perdu les pédales ces fadas, la religion chrétienne n’a rien à voir avec cette folie. Ce sont des terroristes.

Malheureusement, ce n’est pas Dieu qui est barbu, mais les fous qui s’en réclament. Ils parlent de l’autre Dieu, celui qui veut tuer tous ses ennemis. Alors, on se demande pourquoi la religion les rend fous. Car aucun doute, c’est bel et bien la religion: le lien est fait, l'explication posée. Cette religion qui vient d’ailleurs et qui fait des gens des « croyants », et pas des terroristes. Ou seulement après. Heureusement que cette religion n’est pas d’ici. On va pouvoir fermer la frontière et séparer le grain de l’ivraie. Message donné aux douaniers en matinée encore: les amateurs de musique classique et les Musulmans par là – comprenez : retour ! – les autres par ici.

Malheureusement, tout sera plus compliqué. Les âmes de bonne volonté, nombreuses en ces temps de crises, crieront qu’il faut renforcer l’intégration, rassurer les gens, prendre leurs peurs au sérieux, comprendre que les minarets "c'est pas naturel". Ils tomberont dans le piège tendu par d’autres, ces stratèges qui n’attendent que ce lien entre migration, intégration et violence religieuse. Il est servi sur un plateau par ceux qui devraient le refuser en bloc. Les stratèges feront une minute de silence, par respect et puis parce qu'ils ne sont pas sans coeur, puis ils sabreront le champagne : leur prochaine victoire est assurée par leurs adversaires. Les fous et les bonnes âmes.

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)