Droits Humains et censure numérique

Lors de la semaine des Droits Humains, qui se tient du 13 au 17 novembre à Genève, une pléthore d’évènements, table-rondes et conférences auront lieu. Entre autres, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme Michelle Bachelet abordera les défis auxquels notre monde est confronté lors d’une conférence publique intitulée “Les Droits Humains dans une nouvelle ère”. Cette nouvelle édition fait la place belle aux technologies numériques, à la fois perçues comme instruments de promotion des droits humains, mais aussi comme défis.

À cette occasion, il est utile de s’intéresser à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui énonce que : “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.” Cela pourrait paraitre paradoxal de réfléchir à la liberté d’opinion et à l’accès à l’information aujourd’hui. En effet, nous croulons sous l’information : à travers le web et les réseaux sociaux, tout est disponible à chaque instant, à chaque heure, peu importe le lieu. Cependant, cette abondance d’information ne se traduit pas nécessairement par une pluralité des sources d’information ni ne favorise une pluralité d’opinions.

En effet, les informations auxquelles nous avons accès sont filtrées par des algorithmes. Comme tous nos faits et gestes en ligne sont enregistrés et analysés, ces filtres deviennent chaque jour plus précis et permettent à certaines entreprises technologiques de mieux cerner ce que nous souhaitons voir et ce qui peut nous inciter à rester en ligne. Si le besoin de faire un choix dans les informations est évident, du fait de leur abondance, les critères de ce choix devraient être transparents, et chaque citoyen devrait avoir la possibilité de les changer.

Ainsi l’abondance d’information n’est pas à traduire par un plus grand accès à l’information. Il s’agit en fait d’un plus grand accès à certaines informations choisies par des tiers. En d’autres termes, nous ne pouvons pas librement chercher, recevoir et répandre les informations de notre choixpour reprendre l’énoncé de l’article 19 précédemment cité, mais bien certaines informations choisies pour nous.

La définition du terme “censure” décrit l’ “Examen préalable fait par l’autorité compétente sur les publications, émissions et spectacles destinés au public et qui aboutit à autoriser ou interdire leur diffusion totale ou partielle.”[1] Alors que la notion de censure se réfère ici à une autorité politique, sa définition s’applique parfaitement aux algorithmes des GAFA et autres réseaux sociaux, qui définissent notre accès à l’information, et ainsi deviennent de facto l’autorité compétente sur les publications. Il ne s’agit donc plus d’un choix venant d’une entité publique, responsable devant les citoyens, mais bien d’un groupe d’entités privées, souvent basées à l’étranger. Cette situation sans précédent est particulièrement préoccupante dans un monde globalisé, complexe et en perpétuelle évolution, où les citoyens ont plus que jamais besoin de donner un sens à leur réalité. Par conséquent, la liberté de choisir ses sources d’information, et ainsi de se former une opinion sans ingérence, est aujourd’hui compromise.

D’autre part, les réseaux sociaux ont laissé la porte grande ouverte à la prolifération des fausses informations. Il s’agit d’une guerre de l’information basée sur une idée simple : augmenter les dissensions au sein d’une population autour de controverses comme l’avortement, le racisme, ou les migrations, et avec pour objectif d’affaiblir le pays concerné et d’orienter les décisions de ses citoyens. Les récentes mesures prises par Facebook et Twitter entre autres, pour bloquer des centaines de faux comptes et profils lors des dernières élections étasuniennes, montrent à quel point les réseaux sociaux sont perméables à l’ingérence de pays tiers dans les élections et les processus démocratiques. 

La difficulté croissante à distinguer entre les vraies et les fausses informations, entre les opinions et les faits, ne concerne pas uniquement les citoyens, mais bien tous les pans de la société. En effet, ce nouvel environnement entraîne une érosion progressive de la confiance de citoyens non seulement envers les sources d’information, mais également envers les institutions publiques, ce qui contribue à isoler les citoyens et à renforcer le rôle d’acteurs privés. Devant des institutions publiques de plus en plus affaiblies, les GAFA et autres réseaux sociaux deviennent “l’autorité compétente sur les publications (…) qui aboutit à autoriser ou interdire leur diffusion totale ou partielle” pour reprendre la définition précédemment citée.

Face à ces défis, deux voies sont à explorer.

D’une part, le citoyen détient un aspect de la solution, dans sa responsabilité à développer les connaissances nécessaires à une vie civique numérique, c’est-à-dire non seulement à mieux appréhender les enjeux et limitations liés à l’utilisation des outils numériques, mais aussi à développer une pensée critique face aux informations disponibles en ligne.

D’autre part, un nouveau cadre juridique pour les réseaux sociaux doit permettre d’appliquer les mêmes règles aux contenus publiés sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux, et ainsi éviter que les discours de haine, par exemple, ne puissent proliférer aussi facilement. L’intelligence artificielle peut également aider à rendre plus visible l’origine de l’information, et ainsi aider les citoyens à mieux cerner sa véracité et son contexte. Cependant il est essentiel de se rappeler que toute nouvelle régulation ne doit pas porter sur le contenu, mais bien sur la distribution de l’information. En effet, il ne s’agit pas de renforcer encore davantage la capacité des GAFA et autres réseaux sociaux à choisir quel contenu est vrai ou faux, mais bien plutôt d’encadrer la distribution de l’information en ligne, afin de préserver les principes de l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Réferences:

[1]https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/censure/14086

Les grandes promesses de l’Internet sont aussi ses pièges

Si les campagnes présidentielles américaines de 2008 et 2012 ont semblé confirmer la conviction que les outils numériques, dont internet et les réseaux sociaux, développaient l’autonomisation et l’engagement des citoyens, et donc renforçaient la démocratie, la campagne de 2016, tout comme celle en faveur du Brexit, ont mis en évidence les défis que posent les technologies numériques.

Internet et les technologies numériques ont été tout d’abord perçus comme forces de démocratisation. Cette perception reposait principalement sur les conceptions de Habermas de la sphère publique (1). Les premiers modes de communication facilitée par Internet – courriels, listes de diffusion et forums de discussion – semblaient en effet bien adaptés à la formulation d’un argument rationnel, à la prise en compte de la diversité des opinions, et à l’obtention d’un consensus fondé sur le meilleur argument plutôt que sur la force et la coercition (2).

Cependant, cette perception des technologies numériques comme instruments de démocratisation, a été rapidement battue en brèche, et en particulier lors des printemps puis hivers arabes.

En effet, le déterminisme technologique, qui reconnait aux technologies un pouvoir absolu de transformation des sociétés, aurait dû inévitablement amener une plus grande liberté d’expression et un mouvement de démocratisation au sein des pays touchés par le printemps arabe (3). Mais l’hiver arabe, comme d’autres exemples, a montré qu’un tel déterminisme est inexact. Deuxièmement, l’instrumentalisme technologique, qui prétend que les technologies sont neutres sur le plan des valeurs, est également réfuté par un grand nombre d’analyses empiriques et théoriques, qui mettent en avant les valeurs à la fois explicites et implicites que les technologies incorporent, puis reproduisent à travers leur utilisation et applications. Ainsi, attribuer le pouvoir de démocratisation aux technologies numériques reflète avant tout de leurs origines occidentales (1).

Souvent décrites comme plateformes, l’ensemble des communications numériques, y compris les sites de réseautage social, les moteurs de recherche et les smartphones (4), sont principalement conçues, mises en œuvre et contrôlées par quatre sociétés multinationales : Apple, Google, Facebook et Microsoft (GAFA). Au lieu de sphères ouvertes facilitant un discours libre et démocratisant, ces plateformes contribuent à renforcer les croyances et les convictions existantes, tout en réduisant la pluralité d’opinion et de sources d’information, notamment du fait des bulles de filtre et de la marchandisation des relations sur les réseaux sociaux (5).

De plus, les médias traditionnels ne jouent plus leur rôle de gardien d’une pluralité d’opinions et d’information. Les thématiques abordées et le rythme des campagnes électorales sont désormais dictés par les influenceurs sur les réseaux sociaux. Les partis politiques et leurs candidats tissent des réseaux diffus de groupes, consultants et sociétés spécialisées dans la collecte de fonds, la communication micro-segmentée et la mobilisation des électeurs (6).

Dans le même temps, ces plateformes et entreprises sont soutenues par la politique des États-Unis en tant que pays hôte, notamment par le biais de l’application de la loi sur le droit d’auteur (4). Renforçant les critiques antérieures de l’instrumentalisme technologique, ces formes contemporaines d’impérialisme de plateforme renforcent la sphère de l’entreprise (au lieu de la sphère publique) et incorporent des valeurs commerciales et idéologiques spécifiques, qui découlent de la domination des sociétés transnationales américaines et, par conséquent, des États-Unis (4).

Ainsi, pour la démocratie libérale, les grandes promesses de l’Internet sont aussi ses pièges. Son potentiel libérateur et « anti-establishment » peut être également exploité par des leaders peu scrupuleux qui font appel aux pires impulsions de la société. En remettant en cause les institutions traditionnelles, telles que les médias traditionnels, les technologies numériques ont laissé un vide qui peut alors être comblé par des fausses nouvelles et la propagande (6).

Face à ces défis, le citoyen détient une part de la solution, dans la responsabilité à développer non seulement les vertus nécessaires à une vie numérique réussie, telles que l’honnêteté ou la transparence (7), mais aussi la connaissance de ces outils et des stratégies utilisées par les GAFA, les partis politiques et les candidats, afin de mieux protéger la démocratie. Dans ce contexte, la devise des Lumières, sapere aude– avoir le courage de penser (et d’agir) pour soi-même, reste plus que jamais d’actualité (1).

 

Références pour aller plus loin

(1) Ess, Charles. 2018. Democracy and the Internet: A Retrospective, Javnost – The Public, 25:1-2, 93-101, DOI: 10.1080/13183222.2017.1418820

(2) Habermas, Jürgen. 1983. Morale et Communication : Conscience morale et activité communicationnelle. Paris : Flammarion.

(3) Ess, Charles. 1996. “The Political Computer: Democracy, CMC, and Habermas.” In Philosophical Perspectives on Computer-Mediated Communication, edited by C. Ess, 197–230. Albany: State University of New York Press.

(4) Jin, Dal Yong. 2015. Digital Platforms, Imperialism and Political Culture. New York: Routledge.

(5) Lindgren, Simon. 2017. Digital Media and Society: Theories, Topics and Tools. London: Sage.

(6) Persily, Nathaniel. 2017. The 2016 U.S. Election: Can Democracy Survive the Internet? Journal of Democracy, 28: 2, 63-76 DOI: https://doi.org/10.1353/jod.2017.0025

(7) Vallor, Shannon. 2016. Technology and the Virtues: Towards a Future Worth Wanting. Cambridge, MA: MIT Press.

 

 

 

 

 

Blockchain: une innovation pour la gestion collective ?

La blockchain est à la mode. Du secteur privé au secteur public, tout le monde en parle et la décrit comme cette innovation majeure qui transformera les organisations dans les années à venir. Cet article se propose de la définir en termes simples et de mettre en lumière une application spécifique: la gestion de biens communs.

 

La blockchain est une technologie qui permet d’enregistrer des transactions de valeurs, et de valider leur exactitude de manière sûre, transparente et immuable. Traditionnellement, lorsque deux individus souhaitent effectuer une transaction, ils passent par un intermédiaire qui va leur offrir la confiance qu’ils n’ont pas nécessairement entre eux : par exemple, le système bancaire assure que le même montant sera bien débité chez l’un et crédité chez l’autre. La blockchain offre une alternative à cette intermédiation. En effet, elle représente une vraie innovation en matière de prise de décision collective et distribuée, c’est-à-dire sans institution centrale qui contrôle et valide l’exactitude des décisions et des transactions.

 

La bitcoin blockchain est une immense base de données, qui enregistre les transactions de valeurs entre individus. Toutes les transactions de bitcoins qui ont lieu dans le monde à chaque seconde sont enregistrées à intervalles régulières dans des « blocs » de transactions, qui sont ensuite ajoutés aux blocs précédents. L’identité des individus n’est pas divulguée : chacun est représenté par un numéro (« public key »). Par contre, toutes les transactions sont transparentes, visibles de toutes et tous, et enregistrées de manière immuable. Il n’est plus possible d’altérer une transaction à partir du moment où elle est validée et ajoutée à la bitcoin blockchain.

 

Chaque transaction est horodatée et validée par des agents (appelés « miners ») qui ont pour rôle de vérifier l’exactitude de la transaction. Afin d’éviter toute collusion entre les individus qui échangent des bitcoins et les agents chargés de valider et d’enregistrer cette transaction dans un nouveau bloc, la blockchain organise ce qui pourrait ressembler à concours mathématique mondial : à chaque création d’un nouveau bloc, les « miners » du monde entier tentent de résoudre un problème mathématique complexe, qui ne peut être résolu qu’en utilisant une grande puissance de calculs à l’aide de puissants ordinateurs. Les premiers à trouver la solution gagent le droit de créer un nouveau bloc et sont rétribués : ils reçoivent un certain nombre de bitcoins.

 

Cette technologie offre donc une alternative innovante en termes de gestion distribuée et décentralisée des transactions de valeurs entre individus. Elle peut s’appliquer idéalement à la gestion de biens communs, qui représente un défi pour les institutions publiques et les organisations internationales. Le concept de la tragédie des biens communs, introduit il y a une cinquante d’année par l’écologue américain Garrett Hardin, permet de décrire ce défi. Il est souvent illustré par l’exemple suivant.

 

Des éleveurs partagent un pâturage et se mettent d’accord sur le nombre idéal de moutons que chacun peut y amener. Le nombre idéal permet à l’herbe de se renouveler suffisamment ce qui assure à tous les moutons de paître sur le long-terme. Collectivement il s’agit de la solution idéale. Cependant, individuellement, chacun va être tenté de maximiser son profit et donc d’ajouter un, voire plusieurs moutons, ce qui va progressivement conduire à une telle dégradation du pâturage, que plus aucun mouton ne pourra paître. Une décision, qui peut faire sens au niveau individuel et à court terme, ne fait plus du tout sens au niveau collectif et à long-terme.

 

La tragédie des biens commun est une parfaite illustration de notre difficulté à gérer collectivement les biens publics, tels l’environnement et les ressources naturelles. Joshua Weitz et ses collègues du Georgia Institute of Technology (USA) ont développé plusieurs scénarios afin de comprendre comment éviter la tragédie des biens communs. Ils ont découvert que seule une incitation forte extérieure pouvait motiver les agents individuels à s’aligner sur le choix idéal collectif et du long terme, même si le bien commun était déjà épuisé ou si d’autres agents continuaient à dégrader les ressources communes.[1]

 

C’est précisément ce que cette technologie propose : inciter les participants à œuvrer pour maintenir le bien collectif en alignant intérêts individuel et collectif. En effet, la bitcoin blockchain (ici le bien commun) ne peut fonctionner que si les « miners » participent activement et correctement à son bon fonctionnement, c’est à dire continuent à valider les transactions et créer de nouveaux blocs. Pour éviter l’écueil de la tragédie des biens communs, la blockchain s’appuie sur deux principes qui permettent d’aligner leurs intérêt individuel et collectif.

 

Tout d’abord, la bitcoin blockchain récompense les « miners » qui créent de nouveaux blocs et valident les transactions. Deuxièmement, en étant rétribués en bitcoins, ils ne gagnent de la valeur que si la bitcoin blockchain continue d’inciter la confiance pour de nouvelles transactions. Ils sont donc rétribués pour leur contribution (intérêt individuel) avec des bitcoins qui n’ont de valeur que s’ils assurent la pérennité de la bitcoin blockchain (intérêt commun).

 

Cette technologie, et ses deux principes d’incitation distribuée pouvant être appliqués à un grand nombre de situations, promettent donc de grands changements en termes de gestion des biens communs et de gouvernance dans les années à venir. De multiples entreprises, organisations internationales et institutions publiques développent à ce titre des projets basés sur la blockchain afin d’augmenter la transparence et l’efficacité des processus de gestion des transactions et des biens communs.

 

Une précision finale. Ici, les principes de base de la bitcoin blockchain ont été considérés en guise d’illustration. Mais il est à noter qu’il existe une blockchain pour chaque crypto-monnaie ou chaque valeur. Ainsi, la bitcoin blockchain est la chaine de blocs qui enregistre toutes les transactions pour la seule crypto-monnaie bitcoin. De surcroît, le terme « blockchain » est utilisé pour désigner un nombre important de variantes avec des processus de validation des transactions (appelé « consensus mechanisms ») distincts.

 

[1]http://www.rh.gatech.edu/news/583719/game-theory-shows-how-tragedies-commons-might-be-averted

Quel avenir pour la pluralité d’opinions et la démocratie à l’ère numérique?

Les technologies numériques sont omniprésentes. Du lever au coucher, nous sommes immergés dans un monde, où virtuel et réel se s’entremêlent en permanence. Les décisions que nous prenons chaque jours sont dorénavant largement influencées par les technologies.

 

Nous avons gagné de nouvelles compétences en termes d’accès à l’information. Le monde est à la portée d’un clic. Tout est disponible en permanence, de l’achat d’un livre à la consultation des dernières nouvelles. L’information est devenue gratuite et abondante. Le concept de surcharge informationnelle ou « infobésité[1] » décrit bien ce déluge d’information, où la question n’est plus comment accéder à l’information, mais plutôt comment la sélectionner.

 

Le numérique facilite la communication et la collaboration entre individus, effaçant les distances spatio-temporelles. Les messages sont diffusés à la vitesse du wifi, et les hashtags sont les éléments constitutifs des mouvements politiques. À titre d’exemple récent, un post sur Facebook a conduit 2,6 millions de personnes à manifester dans les rues de la capitale étasunienne pour marquer leur soutien au respect des femmes. De même, il aura fallu peu de temps après la diffusion du nouveau code vestimentaire de la Maison Blanche, pour qu’une opposition s’organise et que le hashtag #DressLikeAWoman devienne viral[2].

 

Si elles représentent une vraie aide dans bien des cas, les technologies numériques présentent aussi de nombreux défis, et en particulier à deux titres : accès à l’information et pluralité d’opinions. L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme[3]énonce les principes de « liberté d’opinion et d’expression », ainsi que le « droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Ces principes sont remis en causes par des technologies numériques qui, autrefois louées pour élargir l’accès à l’information et renforcer la liberté d’expression, sont progressivement devenues des filtres, et des instruments de surveillance et de collecte de données.

 

Une grande partie d’entre nous accèdent principalement aux nouvelles à travers les réseaux sociaux, ce qui permet aux géants du numérique, tel que Facebook, de devenir les nouveaux rédacteurs en chef d’un journal en ligne qui serait devenu mondialisé. Le principe de la bulle de filtrage[4](filter bubble) décrit cet espace informationnel en ligne, dans lequel nous sommes en permanence confinés, et qui est régit selon les critères d’un algorithme, celui-ci choisissant à quel article, quelle vidéo ou quel site internet nous aurons accès, selon nos préférences et ce que les moteurs de recherche et les réseaux sociaux savent de nous. Même si une sélection d’information est nécessaire et bienvenue afin de faciliter nos recherches et notre navigation, les critères de sélection ne nous sont pas accessibles. De surcroît, nous ne sommes plus confrontés à des avis divergents, le but étant de nous garder le plus longtemps en ligne, et donc de nous donner accès à des informations qui vont dans notre sens. À titre d’exemple, Facebook montre en priorité les publications de notre entourage qui ont le même point de vue politique.

 

Le scandale de Cambridge Analytica[5]a montré à quel point les campagnes politiques contemporaines utilisent des technologies avancées pour influencer le vote des citoyens : extraction de données, bots, réseaux sociaux, et bien entendu messages personnalisés. Cette nouvelle génération de communications politiques permet en effet d’adapter le message selon le profil psychologique de chacun-e, et ce à une échelle nationale voire mondiale. Mais l’influence du numérique sur le paysage politique s’étend bien au-delà du jour du vote. Nous sommes entrés dans un monde en campagne perpétuelle.

 

Ce déluge d’information continu a laissé la porte ouverte à la désinformation, qui s’est progressivement infiltrée en masse dans la sphère publique.  Si les réseaux sociaux sont reconnus pour favoriser la superficialité des discussions et les points de vue extrémistes, une récente étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT)[6]a démontré que les fausses informations ou « fake news » étaient 70% plus partagées que les vraies informations sur Twitter. Et la raison n’est pas à chercher auprès des logiciels (bots) qui disséminent les informations automatiquement, mais bien auprès des utilisateurs. En effet, beaucoup d’entre nous ne lisons pas en détail les publications sur les réseaux sociaux. Le titre, une image ou le résumé suffisent pour aimer et partager la publication. À l’heure où Twitter a remplacé le journal télévisé, la désinformation semble être partout, ce qui isole encore davantage le citoyen face aux défis mondiaux et fragilise la démocratie.

 

Que ce soit au niveau local, national, régional ou mondial, les technologies numériques ont une influence certaine et de plus en plus visible sur la politique. Alors que la démocratie est basée sur le principe d’un citoyen bien informé, les technologies numériques remettent en causes les principes de base d’accès à l’information et de pluralité d’opinions sur lesquels sont fondées nos sociétés et processus politiques. Il devient donc urgent de réfléchir au rôle que nous souhaitons leur donner afin de définir quelle société nous souhaitons pour l’avenir.

 

[1]https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/infobesite-comment-sinformer

[2]http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1656428-dresslikeawoman-medecin-legiste-je-travaille-en-blouse-n-en-deplaise-a-donald-trump.html

[3]http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html

[4]https://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles?language=fr

[5]https://www.letemps.ch/monde/cambridge-analytica-big-data-laltright

[6]http://news.mit.edu/2018/study-twitter-false-news-travels-faster-true-stories-0308