En juillet 2020, Google et le Groupe sur l’observation de la Terre (GEO) ont annoncé le financement de 32 projets dans 22 pays pour relever les défis environnementaux et, en particulier, surveiller le changement climatique et anticiper les catastrophes naturelles.
Dans le contexte des sciences de l’environnement, l’analyse de vastes ensembles de données n’est pas nouvelle. Depuis les années 1980, les scientifiques s’y réfèrent pour mieux comprendre l’évolution du climat. Néanmoins, la complexité des données volumineuses récentes nécessite de nouveaux instruments et techniques pour être traitées et leur donner un sens.
L’intelligence artificielle (IA) répond à cette demande et contribue à trois grandes utilisations par les acteurs de la gouvernance environnementale mondiale.
Les usages de l’IA
Tout d’abord, les technologies de reconnaissance d’images basées sur les capacités d’analyse de l’IA permettent d’automatiser la reconnaissance d’espèces en voie de disparition, permettant ainsi aux organisations et experts d’identifier plus efficacement des espèces menacées dans les vidéos et images capturées dans les aires protégées, et donc de mieux les protéger.
De plus, la cartographie satellitaire et aérienne associée à la capacité d’analyse de l’IA, peut fournir une vue en temps réel des changements qui ont lieu au sein de grands écosystèmes et autres points chauds de la biodiversité.
Cela permet, par exemple, de générer des informations en grande quantité et très précises sur les émissions de carbone et la pollution atmosphérique, l’aménagement du territoire, l’évolution des niveaux d’eau ou encore la croissance de nouveaux arbres dans les zones en cours de restauration.
Enfin, les capacités computationnelles de l’IA permettent d’anticiper et modéliser plusieurs scénarios d’avenir, par exemple le changement climatique et son impact sur les économies, la propagation de parasites et virus, l’ampleur de catastrophes naturelles, et plus généralement mieux comprendre notre planète et notre interaction avec ses écosystèmes.
L’analyse de ces données volumineuses permet aussi d’informer les décideurs politiques et ainsi de contribuer au développement des politiques environnementales au niveau national et international plus en lien avec les dernières évolutions de la planète et de ses habitants.
Des défis environnementaux
Ces vastes quantités de données, et les technologies associées pour les collecter, gérer et analyser, dont l’IA, présentent toutefois de grands défis en matière de sobriété environnementale.
La consommation d’énergie par le numérique représente une part importante des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde (3,7 % en 2018) et de la consommation mondiale d’énergie primaire (4,2 % la même année).
La fabrication d’ordinateurs, serveurs, et autres objets connectés, nécessite l’extraction de matière première, et en particulier de métaux précieux (or, coltan, terres rares, etc.) qui détruisent l’environnement et accélèrent la déforestation et le réchauffement climatique, principalement en Afrique et Amérique latine. Face à ces défis, les « big 5 » d’Amérique du Nord rivalisent de projets pour améliorer la durabilité de leurs services et produits.
Le programme de Microsoft AI for Earth soutient un grand nombre d’organisations à but non lucratif qui œuvrent pour la protection de l’environnement, le changement climatique et le développement durable.
De même, Amazon a créé le Right Now Climate Fund, un fonds de 100 millions de dollars US destiné à restaurer et à conserver les forêts, les zones humides et les tourbières dans le monde entier.
Quel contrôle ?
Si cet engagement des grandes entreprises technologiques pour l’environnement est à la fois nécessaire et louable, il pose néanmoins la question du rôle de des grandes entreprises technologiques dans la définition du futur de la conservation.
Et ce d’autant plus que les « big 5 » d’Amérique du Nord combinent à la fois l’accès aux données volumineuses, la capacité d’innover et les dernières technologies, mais aussi une vaste capacité financière et d’influence.
En d’autres termes, leur investissement, encore récent, dans la protection pour de l’environnement, va peser fortement à la fois sur les priorités et sur les autres acteurs de la gouvernance environnementale.
Deux exemples permettent d’illustrer ce propos.
En 2020, Amazon a annoncé un partenariat avec l’ONG américaine The Nature Conservancy pour « conserver, restaurer et soutenir des solutions durables en matière de foresterie, de faune et de flore ». Le choix pourrait être de financer la protection d’un des hotspots de la biodiversité dans le monde, comme la forêt de Daintree en Australie, ou encore la Forêt de nuages en Équateur.
Mais Amazon a d’abord choisi de financer pour 10 millions de dollars la protection de la faune et flore des Appalaches (proches de Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Washington), et de verser 3,75 millions d’euros pour le verdissement des villes européennes afin de les rendre plus résistantes au changement climatique.
En priorisant des enjeux proches de préoccupations des habitants des grandes mégalopoles dans les pays développés, Amazon répond également à une réalité commerciale : améliorer son image auprès de ses principaux utilisateurs.
Apple a pour sa part annoncé soutenir financièrement l’organisation non gouvernementale (ONG) Alliance for Water Stewardship (AWS) pour sensibiliser la région Asie-Pacifique à la question de la gestion durable de l’eau. En 2020, cette initiative a permis à un grand nombre de fabricants de produits électroniques dans le bassin de Kunshan en Chine de certifier leurs sites de production selon les critères AWS de gestion durable de l’eau.
Cependant, le choix de cette ONG, et les critères choisis pour la sensibilisation et le processus de certification, manquent de transparence. Une approche qui inclurait d’autres acteurs environnementaux, permettrait de mieux représenter la diversité des enjeux et opinions nécessaires à une bonne gouvernance des ressources naturelles.
En limitant leur collaboration avec des acteurs choisis sans réelle transparence, les big tech risquent de renforcer des disparités existantes en matière de visibilité, de ressources et d’accès à la technologie.
Les organisations plus petites et moins connues, en particulier celles du Sud, ainsi que les espèces et écosystèmes moins visibles, peuvent être laissées de côté au profit d’autres, plus proches des intérêts et préoccupations de leurs utilisateurs.
Ceci reviendrait à transformer durablement la gouvernance environnementale mondiale en donnant, de fait, un rôle de plus en important à la stratégie commerciale des « big 5 » d’Amérique du Nord.
Bonnes questions. Les Big tech font du marketing – pour le reste, leurs besoins exorbitants en énergie nécessitent que tous les autres se serrent un peu la ceinture…
Raison pour laquelle, on peut douter de la sincérité de ces acteurs, qui ont remplacé les géants de l’énergie comme entreprises les plus puissantes du monde.
De fait, l’information est le carburant de la nouvelle société qu’ils proposent. De même que l’influence des géants du pétrole était délétère, ces géants du numériques sont des acteurs toxiques pour les droits humains, la démocratie, les enjeux de sociétés, la protection de l’environnement, etc.
Mais quand donc en prendra-t-on la mesure?
Telle est la question.
… en regardant les résultats des votations nationales de ce weekend passé il faut douter de la lucidité d’une majorité de la population Suisse ou peut-être mieux se méfier des campagnes et argumentaires des boîtes de Big Chem et Big Data 🙂
À quoi sert que « L’analyse de ces données volumineuses qui permet aussi d’informer les décideurs politiques » si ceux ci ne les prennent pas au sérieux ou même mettent en doute leurs analyses ? Comme on peut le voir avec les récents commentaires de Berset ou Parmelin !