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Invasion de l’Ukraine par la Russie: neutralité de la Suisse à géométrie variable

C’est un cauchemar éveillé. Les chars russes sont aux portes de Kiev et la centrale nucléaire de Tchernobyl est occupée par les forces armées. Selon le Haut commissariat aux réfugiés, plus de 150 000 ukrainiens ont déjà quitté leur pays. Les premiers chiffres font déjà état de plusieurs centaines de mort au sein de la population civile ukrainienne.

Cette attaque unilatérale est condamnée par la quasi-totalité de la communauté internationale à l’exception notable de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Inde. Plusieurs des sanctions économiques nécessaires pour éviter à la Russie de financer sa guerre sont pourtant écartées par le Conseil fédéral. Cette position n’est pas acceptable. Selon les Ukrainiens, 1/3 des fonds des oligarques russes proches de Poutine se trouvent dans des banques suisses. Ces avoirs doivent être gelés sans délai pour éviter de financer l’invasion russe en Ukraine.

Confiscation de la neutralité

Il y a un malentendu dans la définition de la neutralité que cherchent à imposer les milieux conservateurs. La neutralité ne réduit pas dans chaque conflit qu’elles qu’en soient les circonstances et les disparités à se tenir à équidistance des belligérants pour se mettre à disposition en cas de pourparlers devenus de toute évidence impossibles. Ce discours révèle d’ailleurs de profondes incohérences. Les partisans les plus affirmés de cette passivité, bien représentés dans les rangs de l’Union démocratique du centre (UDC) ou de l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), expriment même leur sympathie à Vladimir Poutine (éditorial du 24.02.2022 « Poutine l’incompris » de l’influent conseiller national UDC zurichois Roger Köppel dans son propre hebdomadaire la Weltwoche). Les défenseurs de cette neutralité absolue ne s’émeuvent pas davantage de l’impossibilité d’établir la traçabilité d’armes livrées par la Suisse à l’Ukraine se retrouvant aujourd’hui dans le camp des séparatistes.

La neutralité doit devenir une politique active de promotion de la paix

Quand un Etat viole ouvertement le droit international en décidant d’envahir un Etat voisin, en s’en prenant à sa souveraineté territoriale (art. 2 § 4 de la Chartes des Nations Unies), la Suisse doit en tirer les conséquences. L’invasion russe ne repose ni sur une action de sécurité de sécurité collective des Nations Unies, ni sur la légitime défense de la Russie (art. 42 et 51 de la Charte des Nations Unies). Elle viole l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine. Or, la Suisse s’engage à respecter le droit international (art. 5 al. 4 Cst).

Quant aux axes de notre politique étrangère, ils sont définis dans notre Constitution. La promotion de la coexistence pacifique entre les peuples et le soulagement des populations dans le besoin en font partie intégrante (art. 54 al. 2 Cst). Ces priorités ont été acceptées à près de 60% par le peuple et les cantons en votation populaire en 1999. Le respect du droit international, la promotion de la paix et l’aide aux populations dans le besoin sont étroitement liées à notre neutralité. Ces fondements justifient que le Conseil fédéral fasse usage de tout ce qui en son pouvoir pour priver la Russie du financement d’une invasion sur le dos des populations civiles violant le droit international et fragilisant la sécurité internationale.

Débattre de la neutralité que nous voulons

Il manque à cette neutralité active incarnée par le Conseiller fédéral radical Max Petitpierre dans les années 1950 et reprise à son compte par la socialiste Micheline Calmy-Rey comme ministre des affaires étrangères au début des années 2000, une assise populaire ou/et associative qui fasse contrepoids au discours isolationniste de l’ASIN. Cette neutralité incarnée peut faire de la Suisse un Etat assumant pleinement ses responsabilités internationales en accord avec son rôle humanitaire de premier plan, contre une attitude d’égoïsme et d’indifférence. Cette neutralité gagnerait également en cohérence en s’évitant des livraisons d’armes dont nous nous sommes ni en mesure de contrôler les reventes, ni de garantir qu’elles soient utilisées lors de conflits armés. Et la Suisse n’en serait pas moins indépendante.

Multinationales responsables: soyons précurseurs

L’automne sera orange. L’orange vif de l’initiative populaire pour des multinationales responsables qui égaie nos balcons et atterrira bientôt dans vos boîtes aux lettres grâce à l’opération des 500 000 cartes postales. Le 29.11 prochain, nous avons l’occasion d’inscrire les multinationales parmi les nouveaux sujets du droit international.

De la responsabilité collective à la responsabilité individuelle

Longtemps, les seuls sujets du droit international ont été les Etats. S’y sont ajoutés dans le courant du XXe siècle, les organisation internationales (Société des nations remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, Union européenne, etc. ). En 1998, le Statut de Rome a mis sur pied à La Haye une Cour pénale internationale faisant des individus en cas de génocide, crime de guerre ou crime contre l’humanité, eux aussi des sujets de droit international, quand les Etats n’étaient pas en mesure de traduire les responsables devant leur justice interne. À ce jour, l’essentiel des affaires de la Cour pénale internationale ont mis en cause des dirigeants africains. Dans le même temps, plusieurs grandes puissances parmi lesquelles la Chine, les Etats-Unis et la Russie n’ont pas ratifié le Statut de Rome. Plusieurs voix en Afrique se sont élevées pour prétendre que la Cour pénale internationale reflétait les velléités des Etats occidentaux d’imposer leur justice aux pays en voie de développements.

Tentatives de compétences universelles  

Certains pays ont tenté de s’en prendre à des chefs d’Etat ou de gouvernement en exercice en contestant leur immunité sitôt le pied posé dans leur pays. Au début des années 2000 à la suite de plaintes déposées devant ses tribunaux, la Belgique cherche à s’en prendre à Ariel Sharon, alors premier ministre israélien, qui n’était pas le bienvenu à Bruxelles. À la même période, le juge d’instruction espagnol Batasar Garzon a aussi beaucoup fait parler de lui pour ses enquêtes sur les crimes commis au Chili par le général Pinochet à la suite des nombreuses victimes espagnoles tuées ou exécutées, allant jusqu’à tenter d’auditionner l’ancien Secrétaire d’Etat Henry Kissinger sur les relations des Etats-Unis avec les régimes autoritaires des années 1970 en Amérique latine. Enfin, les Etats-Unis et sa Drug Enforcement Administration (DEA) sont parvenus à extrader, incarcérer et juger plusieurs barrons de la drogue mexicaine notamment (on pense à la condamnation en 2019 de Joaquin Guzman alias El Chapo par un Tribunal de New York).

Faire des multinationales des sujets du droit international

Les multinationales en revanche sont jusqu’ici pour l’essentiel toujours restées en dehors du droit international. Elles ne sont en tous cas pas des sujets du droit international. Leur rôle dans la captation et l’exploitation des ressources naturelles en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie rend pourtant cette question légitime. Glencore est une de ces multinationales active dans le négoce, le courtage et d’extraction de matières premières. Elle contrôle l’essentiel du marché international du zinc, du cuivre ou du plomb. Dans le bassin du fleuve Congo, au Katanga, deux entreprises rattachées à Glenore ont été mises en cause en raison du travail d’enfants et d’adolescents dans des mines artisanales de cuivre rejettent de l’acide sulfurique empoisonnant les populations locales. Glencore comme d’autres multinationales sont devenues des acteurs extrêmement influents, souvent dénoncé dans des affaires d’évasions fiscales et de corruption auprès de pays en voie de développement. Plusieurs de ces multinationales, à l’image de Glencore, ont la particularité d’avoir leur siège en Suisse.

Nous pouvons être précurseurs

L’initiative populaire sur laquelle nous voterons le 29.11 prochain pose la question de la responsabilité environnementale et en matière de respect de droits humains devant nos tribunaux de ces entreprises suisses pour leur agissement à l’étranger. La captation et l’exploitation de ressources naturelles doivent impérativement être encadrées pour éviter qu’elles se fassent au détriment des populations locales et de notre environnement. Ces multinationales doivent rendre des comptes. Sans colonie bien que sa trajectoire historique s’inscrive dans la colonisation, la Suisse ne peut rester passive face à une exploitation sans précédent, susceptible de créer des dommages irréversibles à notre planète. Les regards se tourneront vers la Suisse au soir du 29 novembre. Comme Henry Dunant, précurseur du droit international humanitaire et des Conventions de Genève de 1949, nous avons l’occasion d’inspirer d’autres pays en votant Oui à l’initiative pour des multinationales responsables pour créer les fondements d’un ordre juridique plus respectueux des droits humains et de notre environnement.