Le temps des réfugiés

Pour MSF le monde est sourd à la souffrance des migrants en Libye

© MSF, Soins à Tripoli, Avril 2017

“Deux mois, trois semaines, un jour et 12 heures en enfer”.

C’est le témoignage d’un migrant épuisé et traumatisé qui s’est échappé d’une prison clandestine en Libye. Ses propos ont été recueillis par l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) dans un centre d’accueil à Bani Walid, une ville située à 200 kilomètres au sud-est de Tripoli où l’organisation fournit, avec une ONG libyenne, des soins médicaux aux personnes survivantes des centres de détention clandestins.

Depuis la Libye, difficile de parler de “retour volontaires”

Dans une interview publié sur le site internet de MSF, Christophe Biteau, chef de mission en Libye, dresse un tableau sombre de la situation des migrants dans ce pays où les réseaux de trafiquants continuent de s’enrichir.

Si l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) se sont démenés pour vider les centres de détention officiels, MSF doute  non seulement de l’aspect “volontaire” des retours mais constate que les trafics de migrants augmentent et font encore plus de victimes.

En effet, depuis novembre 2017, les prisons officielles se sont vidées grâce à l’intervention de  l’OIM et du HCR. La mesure principale de l’OIM a été de faciliter et d’organiser les retours des personnes détenues dans les centres de détentions officiels vers les pays d’origine. Les chiffres sont impressionnants. En sept mois, l’évacuation d’urgence a permis de sortir 15’000 personnes sur les 17’000 comptabilisés au début de l’opération.

Ces retours qualifiés de “volontaires” par l’OIM ne le sont pas selon MSF car ils sont la seule alternative proposée pour échapper aux sévices subis en détention. Actuellement il resterait en tout 4’000 à 5’000 détenus dans les prisons officielles.

De son côté, le HCR a évacué près de 1’000 réfugiés vulnérables vers le Niger d’où ils attendent leur réinstallation dans un autre pays d’accueil.  Sur les 50’000 réfugiés enregistrés par le HCR en Libye, la majorité d’entre eux sont syriens.

Une partie des migrants interceptés en mer sont remis aux trafiquants

Désespérant de constater, selon Christophe Biteau, que rien n’est fait pour empêcher les horreurs commises à l’encontre des migrants victimes des réseaux criminels alors même que l’Europe avalise et soutient les interceptions des gardes-côte libyens.

Normalement, toutes les personnes interceptées en mer devraient être retournées dans des centres officiels de détention. Mais ce n’est pas le cas. Dans 12 embarcadères libyens, l’OIM et le HCR sont présents pour effectuer des contrôles médicaux sur les personnes qui débarquent avant d’être emmenées vers des centres de détention. Mais beaucoup terminent à nouveau dans les filets des trafiquants. Christophe Biteau s’explique:

Pour beaucoup de migrants, retourner au pays n’est pas une option et les trafiquants restent leur seule chance d’accéder à l’Europe. Ces réseaux de trafiquants, que l’Europe prétend démanteler, ont un monopole dans l’organisation des mouvements des personnes vulnérables, qui n’ont pas d’autre alternative (…) Nous (MSF) ne sommes pas en mesure d’estimer le nombre de personnes détenues dans des prisons clandestines, mais l’enlèvement de migrants et de réfugiés, l’utilisation de la torture pour l’obtention de rançons sont des pratiques généralisées qui augmentent. Ils remplacent les revenus des économies locales frappées par le manque de liquidités dans les banques libyennes.”

MSF n’a évidemment pas accès aux prisons clandestines mais à Bani Walid, où l’organisation fournit des soins aux migrants rescapés souvent gravement blessés, le nombre de personnes assistées n’a pas baissé et le nombre de morts a augmenté. Dans cette région MSF est très inquiet de constater plus de décès qu’en 2017.

Une décision de justice qui vient confirmer la position de MSF et de beaucoup d’autres ONG

“La Libye n’est pas un port sûr tel que défini par le droit international” ont déclaré hier les juges de la Cour de Raguse qui ont rejeté l’appel du Procureur contre la libération du navire de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms.

Au centre de l’affaire la mise sous séquestre le 20 mars 2018 du navire utilisé pour les opérations de recherche et de sauvetage des migrants dont l’équipage fût accusé à tort d’association criminelle présumée à des fins d’immigration clandestine. Les procureurs de Catane avait saisi en mars dernier le navire, alors que l’équipage avait refusé de remettre 218 migrants aux autorités libyennes. Les juges ont rappelé, dans leur décision, les conditions inhumaines dans les centres de détentions en Libye, la situation conflictuelle dans le pays et les traitements inhumains et dégradants dont sont victimes les migrants. Elle a donc ordonné la levée de saisie du navire.  

Photo © MSF, Tripoli avril 2017.

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