Renaissance saisonnière et auto-adaptation, Part.01 : Hiver

Durant mes premières semaines à Milan, les oiseaux qui s’apprêtaient à migrer vers des contrées plus chaudes se rassemblaient en nombre aux alentours de la gare centrale. Tous les soirs, ils arrivaient par volées pour prendre possession des quelques arbres proches de Milano Centrale et se reposer au-dessus de nos têtes. Au bout de quelques semaines, même les hommes d’affaires les plus occupés ne pouvaient rester insensibles au moment d’extase qui nous attendait quotidiennement à la tombée du jour : des nuées d’oiseaux se lançaient dans un vol synchronisé au-dessus du quartier, passant d’un bâtiment à l’autre comme une marée noire en perpétuel mouvement. Je me suis souvent demandé quand viendrait le jour où ils finiraient par s’en aller et disparaître jusqu’au printemps prochain, tels des travailleurs saisonniers, que nous ne reverrions plus jusqu’à ce que les conditions atmosphériques et les températures permettent leur retour. Je m’étais promis de suivre leur rythme et, à leur départ, d’écrire un texte pour le blog. Les êtres humains ont-ils eux aussi des rituels collectifs et saisonniers? Ces dernières semaines, tout semble me rappeler l’idée de renaissance cyclique et le début de cette nouvelle aventure : l’inscription « Le jardin où renaissent les hommes » sur un mur de Palerme, une interview sous forme de questionnaire de Proust titrée « Renaissance cyclique », un autre article en ligne intitulé « L’art de la résurrection » et ce poème qui s’affiche depuis quelques jours sur l’écran mon iPhone :

Recommencer
Si à tout
Il y a une fin
Sois le début
De toi-même

Murales Base Scout Volpe Astuta, Palermo, Rafael Kouto, Septembre 2021
Proust questionnaire, Magazine 360, Septembre 2021
The Art of Resurrection, Containerlove, Octobre 2021
Capture d’écran aléatoire de l’iPhone, Octobre 2021

 

J’aime penser, peut-être naïvement, que ces arbres seront encore là quand les oiseaux reviendront. Mais je n’ai aucune idée des politiques de développement et des projets envisagés pour cette partie de la ville de Milan. Et s’ils devaient disparaître, je me demande si nous spéculerions encore sur leur capacité d’adaptation autonome. Le terme d’adaptation autonome, ou adaptation spontanée, désigne l’ajustement des écosystèmes, composantes humaines incluses, en réponse à l’évolution de l’environnement. La capacité d’adaptation fait partie de la résilience mais n’en est pas le synonyme exact. Tous les systèmes sociaux et écologiques ont une certaine capacité d’adaptation autonome.

Vous êtes partis. Comme promis, j’ai pris le temps d’écrire ce texte pour le blog.


Rafael Kouto (1990) – Fashion, design tessile

Rafael Kouto vit et travaille entre Losone et Zurich. Il a étudié à la FHNW de Bâle et est titulaire d’une maîtrise en questions de mode du Sandberg Institut d’Amsterdam. Il est designer de mode et de textile et chercheur en méthodes d’upcycling. Il a travaillé pour Alexander McQueen, Maison Margiela et l’Ethical Fashion Initiative. Il a reçu de nombreux prix et a fondé la marque de mode éponyme, dont il est le directeur créatif. À Milan, il se concentrera sur le développement de projets participatifs liés à la durabilité dans la production textile.

Photo by Rebecca Bowring

Le Grand Dé-Tour

Je quitte Genève avec en mémoire la leçon d’adieu du professeur Dario Gamboni. Son propos était de dire que la trajectoire du savoir n’est point une ligne droite mais comporte de nombreux détours. Entendre dire tout haut un éminent professeur ce que l’on pressent tout bas en tant que doctorante a un effet salutaire indéniable.

Il est vrai que l’on questionne fréquemment les chercheurs quant au sujet de leur recherche : « Mais dans le fond, qu’est-ce que tu cherches ? » Ma réponse reste invariablement la même : « Si je savais ce que je cherchais, je ne serais certainement pas en train de le chercher. » On connaît toujours notre point de départ, mais la destination nous est bien souvent inconnue.

Cet aspect en fait assurément aussi bien le charme que le défaut du métier. On n’est jamais à l’abri d’une grande intuition au tournant d’une rue – je tiens pour exemple la découverte de la pénicilline -, alors que l’on côtoyait plus tôt dans la même journée dépression et crise de nerfs.

© Mathilde Jaccard

La traversée des Alpes

À mon arrivée à Rome, je me sentais à l’image de Stendhal ou de Goethe, la traversée des Alpes en calèche en moins. Je rêvais de venir me noyer dans cette source sans fin d’enrichissement. En d’autres termes, j’aspirais à faire ce que l’on appelle communément le Grand Tour.

Cette échappée temporelle et géographique comprend un avant et un après. Longtemps vu comme passage obligatoire, le Grand Tour est un privilège que peu ont pu s’offrir. Partir plusieurs mois, seul ou en compagnie d’un tuteur particulier, devait fournir aux jeunes hommes de la haute société l’occasion d’engranger quantités de connaissances, et j’allais bientôt faire de cette expérience mienne.

L’entreprise, en plusieurs siècles, a certes perdu de son prestige et les conditions ont considérablement changé. Le cœur du projet reste néanmoins le même : aller expérimenter in situ. Les musées n’y changeront rien, la confrontation au terrain est souvent un catalyseur de sensations et de réflexions.

La première étape n’a toutefois pas été celle attendue. En effet, l’épreuve initiatique a été de découvrir les aléas de la bureaucratie, où, rien que pour un abonnement de métro, il s’est avéré nécessaire de fournir le troisième prénom de ma tantième aïeul, mais passons.

Place du Capitole, Rome. © Mathilde Jaccard

À la recherche du temps perdu

Je suis donc arrivée à Rome avec un secret espoir, celui de retrouver la ville que j’ai pu côtoyer au fil de mes lectures et autres recherches. Je songe en particulier à la cité du pape Léon X (1475-1521), né Jean de Médicis, et à son théâtre provisoire construit sur la place du Capitole.

Sur l’arc-de-triomphe qui constituait le décor se jouait un étonnant duo. Des scènes de l’Énéide, récit de la fondation de Rome, s’opposent aux Étrusques, prétendus ancêtres de Florence. Mon objectif durant ce séjour de dix mois est, entre autres, de comprendre les motivations derrière ce choix.

C’est ainsi en toute naïveté que mes premiers pas m’ont conduite au sommet de cordonata capitolina, escalade qui mène à ladite place. Bien imprudente a été cette entreprise puisqu’elle a abouti à une crise personnelle. Rien ne reste évidemment de l’évènement, voire pire : la Rome renaissance que j’espérais tant retrouver n’existe simplement plus, elle a été complètement remodelée par le passage du temps.

Monument à Victor-Emmanuel II, Rome © Mathilde Jaccard.

Je tiens notamment pour coupable le monument à la mémoire de Victor-Emmanuel II (1820-1878), premier roi d’Italie. Construit dans la continuité des forums impériaux, cette protubérance de marbre blanc s’impose par son envergure comme le point culminant de la Rome actuelle.

La piazza del Campidoglio a perdu de sa grandeur en raison de sa proximité avec le Vittoriano et de la disproportion entre eux. Par la présence de ce qu’on surnomme communément la machine à écrire, la place qu’a occupé le pouvoir durant des siècles se retrouve dans l’ombre, et paraît décentrée et sans plus la moindre importance.

 

Une naine sur les épaules d’une géante

En fin de compte, je ne suis qu’une naine sur les épaules d’une géante, pour reprendre les termes attribués à Bernard de Chartres. La géante en question est faite de pierre, j’ai nommé la cité du Tibre. Elle se meut en silence, prête à vous emporter par-delà votre propre horizon. 

Ses pavés ne sont certes pas planes et ne facilitent point la marche, mais ce sont eux qui vous baladent à travers temps. Ils m’ont fait voir ses basiliques antiques hors de ses murs, ses obélisques extradés, ses nécropoles souterraines, ses galeries et jardins cachés, comme ils m’ont fait connaître ses pins majestueux, ses bains impériaux, son baroque le plus extravagant, son architecture fasciste, ou encore ses clairs-obscurs caravagesques.

On la dit éternelle, cette ville qui n’a connu que deux sacs, et pourtant elle a failli connaître la poussière après avoir été capitale d’un empire et avant d’accueillir les papes. Rome est une géante aux pieds d’argile. Je ne sais où elle me mènera. Peu m’importe, le détour en vaut bien la peine.


Mathilde Jaccard (1995) – Histoire de l’art

Mathilde Jaccard est titulaire d’une licence en histoire de l’art et anthropologie culturelle de l’Université de Bâle et d’un master en histoire de l’art de Fribourg. Sa thèse de doctorat à l’Université de Genève fait partie du projet FNS De la restauration comme fabrique des origines, Une histoire matérielle et politique de l’art à la Renaissance italienne. À Rome, elle poursuivra ses recherches, qui portent sur la gestion du patrimoine étrusque en Italie aux XVe et XVIe siècles.

Photo by Rebecca Bowring

Mollino à Milan

Histoire d’un sauvetage

La Triennale de Milan expose actuellement les meubles créés par l’architecte Carlo Mollino pour la Casa Albonico à Turin (1944 – 1946), édités par Apelli, Varesio & C. L’exposition fait suite à l’acquisition récente de ces pièces par l’Etat italien, qui en avait préalablement annulé la vente sur le marché international, empêchant ainsi que ces œuvres de design ne sortent du pays. Intitulée «Carlo Mollino Allusioni Iperformali» (en français, Carlo Mollino Allusions hyperformelles), l’exposition célèbre ce «sauvetage» d’une partie de l’héritage du design italien.

Carlo Mollino est une des grandes figures du design italien du vingtième siècle. Ses créations sont très prisées des collectionneurs internationaux. La Suisse compte d’ailleurs elle aussi un important collectionneur en la personne de Bruno Bischofberger. Modèles uniques pour la plupart, les pièces de Mollino atteignent des prix records sur le marché international du design. En accueillant les meubles créés pour la Casa Albonico, la Triennale de Milan donne au public l’occasion rare de voir des réalisations originales de Mollino.

Carlo Mollino Hyperformal Allusions’ currently at Triennale Milano. © Gianluca Di Ioia

Sons, miroirs, ombres et lumières

Une table, six chaises, un meuble de séparation, un buffet, deux fauteuils et un sofa composent la suite de meubles exposés. Ces pièces, créés par Mollino en 1945 pour l’ingénieur Paolo Albonico et sa fiancée Giuseppina Regalia sont présentées sur des miroirs, éclairées par en dessus et disposées librement dans un espace d’exposition noir. Les miroirs reflètent la lumière vers le haut, orientant le regard vers le jeu d’ombres et de lumières, aux contours fragmentés et erratiques, qui se dessine au plafond, mais aussi vers le bas, où se reflète un élément caractéristique: les piètements sculptés en bois laqué, aux formes organiques, qui forment les élégants supports de tous les éléments présentés, des buffets rectangulaires au plateau en verre enchâssé de la table, en passant par les fauteuils et les sofas rembourrés.

Carlo Mollino Hyperformal Allusions’ currently at Triennale Milano. © Gianluca Di Ioia

En regardant à travers le plateau de la table (et dans le miroir sur lequel elle est exposée), on peut pleinement apprécier la qualité du piètement en bois sculpté et des très beaux joints en laiton.

Carlo Mollino Hyperformal Allusions’ currently at Triennale Milano. © Gianluca Di Ioia

Sur le meuble de séparation, l’élément qui attire l’attention est une petite sculpture en bronze d’Umberto Mastroianni. La figurine féminine est posée sur la partie inférieure du buffet et soutient la partie supérieure, telle une cariatide. Le buffet, conçu pour servir de séparation, est double face. Les deux côtés sont composés de surfaces de bois plaqué laqué, qui contrastent avec une série de tiroirs de finition rustiquée en forme de diamants (finition que l’on retrouve dans les projets architecturaux de Mollino, tels que le club hippique de Turin et le Teatro Reggio).

Carlo Mollino Hyperformal Allusions’ currently at Triennale Milano. © Gianluca Di Ioia

Sur le mur opposé aux meubles sont exposés des dessins de Mollino ainsi que deux lettres manuscrites adressées par l’artiste à la Triennale. Les dessins permettent au visiteur de comparer les ébauches aux meubles auxquelles elles se réfèrent, de rechercher les similitudes et les différences entre les croquis et leur réalisation. Parfois, les différences sont importantes: les dessins montrent diverses ébauches de versions précoces et de pièces jamais réalisées. Les croquis au crayon montrent le trait reconnaissable de Mollino et ses talents de dessinateur. Ils sont toutefois un peu moins détaillés que ses dessins habituels, ce qui conduit certains spécialistes à penser qu’ils n’ont peut-être pas servi de base d’exécution exacte, mais plutôt de supports de discussion avec les artisans de l’atelier de menuiserie de Francesco Apelli et Lorenzo Varesio. Les lettres, pour leur part, confirment la désaffection de Mollino pour le design industriel encouragé par la Triennale Milano et sa détermination à travailler sur des commandes privées avec de petits artisans, convaincu de leur «compréhension et de leur sens inné du goût».

En fond sonore, une boucle répétitive crée une atmosphère mystérieuse au sein de l’espace d’exposition obscur et entraîne le visiteur vers la pièce suivante: Ritratti ambientati di Carlo Mollino, un volume rare de la série de livres de photographies Occhio Magico, publiée en 1945. La petite publication, de la taille d’un livre de poche et regroupant des portraits de femmes, est délicatement exposée dans une vitrine éclairée dans le noir. Au-dessus, un diaporama en feuillette le contenu, avec pour accompagnement des sons futuristes, auxquels se mêle une voix féminine hâchée lisant des passages de la préface signée Ermanno Scopinich. L’auteur s’interroge sur la façon dont la femme photographiée est entrée dans le «monde fantastique de Mollino». Faisant écho à ces mots, l’environnement sonore évoque le monde intérieur «magique» de l’artiste turinois. Cette partie de l’exposition donne une vision étrangement anachronique du travail photographique de Mollino, qui laisse peu de doute quant à sa propension à transformer les femmes en objets.

Re-lire Mollino?

Le catalogue éponyme de l’exposition, Carlo Mollino Allusioni Iperformali, édité par Marco Sammicheli, cherche toutefois à dresser un portrait plus complexe de Carlo Mollino au travers des contributions de différents spécialistes. A partir d’objets de design, éléments de l’œuvre de l’artiste bien connus du-grand public, il s’efforce d’aller au-delà des lectures réductrices antérieures qui regardent Mollino par le prisme de l’érotisme, de l’ésotérisme et du surréalisme, en apportant d’autres perspectives, comme le rôle du futurisme, l’influence de ses collaborations avec des artistes et des artisans et sa correspondance avec des figures importantes de la culture italienne, telles que Gio Ponti. Le catalogue comprend également des témoignages, des interprétations artistiques et des hommages émanant de contemporains masculins et d’admirateurs plus tardifs de Mollino. Si ces derniers reflètent l’influence durable de Mollino sur de nombreux créateurs, ils comportent le risque de contribuer à la mythification même que la publication cherche à combattre. Dans l’ensemble, néanmoins, le catalogue parvient à donner une impulsion salutaire à une relecture nécessaire du travail et de la personnalité de Carlo Mollino et ouvre des voies prometteuses à de nouvelles explorations.


Gerlinde Verhaeghe (1986) – Histoire et théorie de l’architecture

Gerlinde Verhaeghe (1986) est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’architecture de la Bartlett School of Architecture (UCL) et d’une maîtrise en architecture de la faculté d’architecture de la KU Leuven, où elle a également été assistante de recherche. En tant qu’architecte, elle a travaillé dans plusieurs studios en Europe et a écrit des articles pour le magazine d’architecture belge A+. Depuis 2018, elle mène des recherches doctorales à l’Institut d’histoire et de théorie de l’architecture de l’ETH Zurich. À Milan, elle poursuivra ses recherches sur l’architecte turinois Carlo Mollino.

Photo by Rebecca Bowring

L’AUTRE ROME. La Terza Roma, capitale d’un empire colonial au XXe siècle

Pour moi aussi, entendre parler de l’Italie comme d’une nation colonisatrice, ça résonnait faux au début. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’architecture des régimes totalitaires du XXe siècle, il m’a vite semblé que l’histoire italienne de l’entre-deux-guerres avait toujours eu droit à un certain traitement de faveur. Oui le fascisme est né en Italie, certes Mussolini s’est allié à Hitler et, bien sûr, le Duce est en grande partie responsable des désastres de la Seconde Guerre mondiale. Mais les Italiens ont toujours été présentés, eux, comme un peuple pacifique : la brava gente.
On ne niera pas ce point, simplement l’historiographie récente nous montre qu’eux aussi ont eu leurs ambitions expansionnistes et que comme presque toutes les nations européennes (y compris la Suisse, ne l’oublions pas), l’Italie a voulu pouvoir profiter de ce réseau eurocentrique d’influences et d’exploitation que l’on appelle le colonialisme. Après tout, c’est ici que gisaient les ruines d’un empire à l’origine de notre civilisation occidentale, pas ailleurs.

Cartes de l’empire romain à son apogée (à gauche) et de l’Impero Fascista (à droite) sur les murs extérieurs de la Basilique de Maxence en 1938 © Archivio Fotographico, Monumenti Antichi e Scavi.

L’Érythrée et la Somalie, puis les îles grecques du Dodécanèse et la Libye, ont d’abord constitué les possessions territoriales italiennes que Mussolini a finalement transformées en un empire colonial avec la conquête de l’Éthiopie en 1936 et l’annexion de l’Albanie en 1939. L’Impero fascista se voulait aussi vaste et digne que de celui d’Auguste et plus civilisateur encore que les empires britanniques et français (trop capitalistes au goût des fascistes).
Dans les faits, on se rappellera surtout que cet empire de courte durée a été responsable d’exterminations organisées et quotidiennes en Afrique de l’Est, d’un génocide prolongé en Libye et d’une sédentarisation forcée des tribus nomades, ainsi que de massacres de masses dans les Balkans. Au nom de la nouvelle Pax Romana et au nom de l’empire romain ressuscité, les troupes italiennes ont commis une infinité d’actes inhumains contre les populations locales, dont des bombardements aériens, des guerres chimiques et la systématisation de camps de concentration. Mais tout ça, on l’a oublié.
Dans l’imaginaire populaire, cette part d’ombre de l’histoire italienne reste grandement méconnue et malgré son étendue, l’entreprise coloniale italienne a connu une damnatio memoriae. Une fois le fascisme éradiqué, les colonies perdues et la République italienne instaurée, il s’agissait de faire taire l’implication des Italiens dans les atrocités commises au cours des guerres coloniales. Les crimes de milliers d’hommes sont devenus ceux d’un seul : Benito Mussolini.

Détail du théâtre de Marcellus et ses trois fasci (symboles du fascisme) encore visibles. Monument entièrement dégagé et isolé en 1932 © Ilyas Azouzi, 2021.

Pourtant, à Rome, ce passé est encore visible, palpable, inscrit dans les murs, et il dessine même certains des contours de la ville éternelle. Mussolini a voulu faire de la capitale italienne le centre d’une nouvelle civilisation impériale. Les architectes et les urbanistes du dictateur ont joué un rôle crucial pour la propagande en créant un lien tangible entre les ruines de la Rome antique et les revendications coloniales du nouveau régime fasciste. En faisant disparaître bon nombres de quartiers dits « médiévaux » de la ville et en procédant à des sventramenti (littéralement des éventrements), le Duce a fait mettre en valeur le mausolée d’Auguste et l’Ara Pacis, dégagé le colisée, les arcs de triomphe de la ville, la zone des fora impériaux et le théâtre de Marcellus afin de dessiner des axes qu’on a baptisé Via del Impero, Via Imperiale, ou encore Via dell’Africa. Le but était simple : montrer au reste du monde que la civilisation romaine, la grande « civiltà romana », était prête à renaître, à réclamer son dût une fois de plus.

Via di San Gregorio (Ancienne Via dei Trionfi), avenue monumentale destinée à relier le Colisée au Ministère de l’Afrique Orientale (au centre). De nombreux fasci y sont encore visibles © Ilyas Azouzi, 2021.

C’est dans cette Rome-là que l’on se promène aujourd’hui, résultat de fouilles entreprises par des archéologues au services de l’État fasciste, « isolant » les monuments antiques autrefois dissimulés sous les baraques de quartiers populaires. Il s’agit donc d’un passé trié, arrangeant et au service de la propagande impériale fasciste, que les touristes découvrent en se promenant aux abords du colisée, de la colonne Trajane, autour du Largo Argentina, ou encore sur la Piazza Augusto Imperatore. Certains noms ont évidemment été changés (la Via Imperiale est devenue Via Cristofo Colombo, la Via del Mare, qui célébrait l’expansion outremer, a été renommée Via del Teatro di Marcello et la Via del Impero a pris le titre plus humble de Via dei Fori Imperiali). Les monuments spoliés, tels l’obélisque d’Axum en Ethiopie, ont été en grande partie restitués, les bâtiments de l’immense Ministère de l’Afrique Orientale Italienne transformés pour les besoins de l’ONU, etc., etc. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, l’urbanisme romain demeure lui une trace tangible de ce passé dont on ne veut pas parler.

Via della Civiltà del Lavoro à l’EUR (Esposizione Universale di Roma), © Ilyas Azouzi, 2019.

De nos jours, c’est le quartier de l’EUR, au sud de Rome, pensé comme une prolongation de la ville vers la mer (et donc vers les colonies), qui reste l’expression la plus emblématique des aspirations impériales de Mussolini. Avec ses monuments spectaculaires conçus comme l’expression de la « suprématie civilisationnelle » de l’Italie pour une Exposition universelle avortée, l’EUR se voulait créer un pont entre la modernité fasciste et les ruines de la Rome augustéenne dont elle s’inspire et qu’elle visait à porter jusqu’aux rives de la mer Tyrrhénienne ; jusqu’aux confins de l’empire.

“La Troisième Rome s’étendra sur d’autres collines le long des rives du fleuve sacré jusqu’aux plages de la mer Tyrrhénienne”, extrait d’un discours de Mussolini sur le palazzo degli Uffici à l’EUR© Ilyas Azouzi, 2019.

Car le fascisme italien en somme c’est ça : une myriade de mythes fondateurs, de revendications idéologiques nationalistes et d’aspirations à retrouver un passé fantasmé. Ça oui, on le sait. Mais ce dont on parle moins c’est comment Rome s’est faite la capitale d’un empire principalement africain, aux ambitions agressives et visant à faire briller une civilisation fasciste « digne » héritière de l’empire d’autrefois. Aujourd’hui, c’est cette Rome là que je suis venu explorer, et c’est cet aspect-là du fascisme que je souhaite déterrer.


Ilyas Azouzi (1990) – Histoire et théorie de l’architecture

Ilyas Azouzi (1990) a obtenu un MA en histoire de l’art à l’Université de Lausanne et un MA en histoire et théorie de l’architecture à la Bartlett School of Architecture (UCL). Depuis 2018, il prépare son doctorat à l’University College London, où il enseigne la géographie et l’histoire urbaines. Sa thèse porte sur le rôle de la théorie architecturale dans la politique coloniale fasciste et la manipulation de l’urbanisme pendant l’expansion impériale italienne (1936-1943). À Rome, il poursuivra son travail de recherche postcoloniale interdisciplinaire qui reflète son intérêt pour l’architecture, l’urbanisme et l’histoire politique et intellectuelle.

Photo by Rebecca Bowring

Réfléchis, bégonia, réfléchis!

Dans leur chute, les poids ont cassé une branche du bégonia. Nous l’offrons à Gennaro en espérant qu’il pourra en faire une bouture. Nous repartons après l’avoir convaincu que nous n’avons pas faim et que c’est juste une mauvaise journée.

Il est sept heures et demi du matin quand nous partons de Lugano. Nous avons prévu une étape au camping Santapomata en Toscane pour une baignade en mer et comptons rejoindre Rome le lendemain. Nous chargeons dans la vieille Mercedes métallisée tout ce dont nous aurons besoin pour vivre 10 mois à l’Institut. En vrac: des livres, des manteaux et des chaussures, des paquets de craie, une télévision, un ordinateur, cinquante kilos de poids de musculation, une machine à coudre, quelques bibelots et objets hétéroclites, un bégonia et d’autres plantes. Sans oublier, deux caisses contenant des œuvres d’art d’une artiste de renom, d’une valeur inestimable. Nous n’avons roulé que quelques minutes quand survient un premier imprévu anodin: nous prenons la mauvaise route. Nous ne trouvons pas le bureau des douanes suisses et, prisonnières du réseau routier, traversons la frontière par erreur.

Papiers et carte grise! Où allez-vous? Pourquoi emmenez-vous un bégonia? Vous partez en vacances avec votre machine à coudre? Est-ce que vous déménagez ou non? Où allez-vous avec toutes ces affaires personnelles?


Ils vérifient nos passeports et, assez miraculeusement, ne nous demandent pas de vider la voiture pour procéder à un contrôle. Demi-tour en deux temps à la frontière. Après avoir rejoint les poids lourds dans la file de sortie, nous entrons dans la douane commerciale Suisse-Italie. Nous sommes les seules conductrices garées parmi les camions. Alors que nous préparons les papiers, une bagarre éclate entre les chauffeurs routiers. Il est neuf heures et demi du matin. Nous déposons les formulaires, traversons la douane et à peine entrées sur le territoire italien, celle de nous deux qui conduit sursaute:

Chérie, la Mercedes ne freine plus.

Refusant de céder à nos fréquents élans alarmistes, nous essayons de nous convaincre que tout va bien. Restons calmes! En attendant, un indicateur rouge triangulaire clignote au milieu du tableau de bord. Le véhicule est indomptable et nous décidons de nous arrêter au garage le plus proche, au bas d’une ruelle très raide. Pédale de frein au plancher et souffle retenu, nous survivons à la descente. Et dès le compartiment moteur ouvert, le mécanicien rend son implacable verdict:

Vous n’irez pas jusqu’à Rome avec cette voiture. L’ABS est cassé et il faut compter plusieurs jours, voire une semaine, pour se procurer la pièce de rechange adaptée à ce modèle.

Parties il y a trois heures, nous avons couvert à peine vingt kilomètres et nous voilà à l’arrêt, avec un bégonia de plus en plus éprouvé. Nous passons des heures au téléphone, multiplions les appels interminables et luttons pour ne pas nous laisser aller au désespoir. D’ailleurs, nous sommes bien décidées à poursuivre notre route. Rebrousser chemin est tout simplement hors de question. Ne trouvant pas de véhicule de location à Come, nous en réservons un à Milano Centrale, à cinquante kilomètres de là.

Gabriel, comment ça va? Ici, c’est la catastrophe. La voiture est en rade. Aurais-tu le temps de nous conduire à Milan?

Notre ami vient nous sauver la mise. Nous transférons notre chargement dans son véhicule, en prenant soin de laisser les clés sur le pneu de la Benz, abandonnée à son triste sort en attendant l’arrivée de la dépanneuse. Nous lui disons au revoir par la fenêtre. Sept heures après notre départ, nous sommes toujours à Come, le ventre vide. Arrivées à Milan, nous allons acheter des sandwichs dans un bar miteux de la gare centrale, avant de nous rendre au bureau de location de véhicules. Là, l’opérateur nous explique que nous ne pouvons pas louer de voiture parce que notre carte n’est pas reconnue. Nous lui jetons des regards noirs de rage mêlée de désespoir, en retenant nos larmes. 

Vous n’avez pas idée de tout ce qui nous est arrivé aujourd’hui. Nous avons absolument besoin d’une voiture.

Nous découvrons alors que, mystérieusement, notre carte de débit nous permet de louer une BMW X2. Nous vidons le véhicule de secours, transférons nos affaires dans le SUV immaculé et prenons congé de notre ami, en lui promettant monts et merveilles en remerciement. On est sur la bonne voie. L’air conditionné libéré par les petites grilles d’aération redonne vie à notre bégonia, qui ignore tout de l’impact du R134a sur l’environnement. Maintenant, il ne nous reste qu’à restituer les œuvres d’art à leur propriétaire légitime et à mettre le cap sur la mer tyrrhénienne. Il est cinq heures de l’après-midi quand nous déchargeons les caisses dans le quartier de Taliedo, à l’est de la ville. Nous nous engageons sur l’autoroute, sortons de Milan et, l’esprit un peu plus léger, nous dirigeons vers le sud. Trois quarts d’heure plus tard, le téléphone sonne. 

C’est Stefano, du bureau des douanes. J’ai la police sur le dos. Vous devez revenir ici avec les œuvres d’art parce que vous n’avez pas terminé les formalités de dédouanement, il manque un tampon.

Le bégonia sursaute. Nous apprécions très moyennement cette mauvaise blague de la police, mais n’avons d’autre choix que de retourner à Chiasso avec les œuvres. Les jurons fusent dans le trafic.

Sortons ici. Revenons en arrière et réfléchissons à un plan d’action.

Alors que nous roulons en direction de Milan, un accident sur l’autoroute nous immobilise une heure de plus. Ça nous laisse du temps pour réfléchir à la meilleure façon de procéder. Réfléchis, bégonia, réfléchis. Le bureau des douanes ferme dans une heure. Nous n’arriverons jamais à temps. Il faudra dormir à Milan et repartir le lendemain matin. Rentrer à la maison? Exclu. Ce n’est même pas une option. Autre ami. Autre coup de main.

Salut David, tu es dispo? Ah, tu travailles. Ça te dirait de gagner un peu d’argent? Il faudrait apporter des œuvres d’art à la douane demain matin. Non, trésor, ne t’inquiète pas. Nous allons les chercher nous-mêmes chez ton père de l’autre côté de la ville. C’est la moindre des choses.

Nous récupérons les œuvres dans le quartier est de Milan et traversons la ville à l’heure de pointe en direction du nord. Gennaro nous attend au milieu de la route et nous offre deux pêches et des taralli. En sortant les caisses du coffre, l’une de nous se prend 50 kg de poids de musculation sur un pied. Voyant que l’autre, assise à même l’asphalte, est sur le point de craquer, elle fait comme si de rien n’était. Dans leur chute, les poids ont arraché une branche du bégonia. Nous l’offrons à Gennaro en espérant qu’il pourra en faire une bouture. Nous repartons après l’avoir convaincu que nous n’avons pas faim et que c’est juste une mauvaise journée. L’autoroute est sombre et vide. Nous traversons les Apennins sur l’A1 VAR en un temps record. Nous réussissons à atteindre Santapomata sans encombre, en chantant à gorges déployées toutes les chansons de l’unique album des Lunapop. A deux heures du matin, le veilleur de nuit du camping nous attend aux abords de la pinède toscane, avec en bruit de fond le chant des cigales et le ronflement des touristes endormis dans leurs tentes Decathlon. Souriant dans l’obscurité, il nous aide à décharger le bégonia bien amoché par le voyage, en nous parlant de son merveilleux jardin de plantes grasses et du dérèglement climatique. Il nous accompagne jusqu’à notre tente. 

Et voici, Mesdames. Les clés du paradis.

Nous posons délicatement le bégonia sous le portique, fumons une dernière cigarette et nous engouffrons dans la tente. Nous allumons la lumière et regardons autour de nous. Nous sommes à court de mots, et le camping à court de draps. Nous enfilons tous les vêtements que nous avons emmenés et nous enroulons dans nos serviettes de bain. Blotties l’une contre l’autre, nous nous souhaitons bonne nuit, tandis que le bégonia se réveille, ému de voir la mer pour la première fois. Nous nous réveillons nous aussi. Nous prenons un café et nous accordons un plongeon dans l’eau salée. Dans l’après-midi, après trois heures de route, nous arrivons sans imprévu devant le portail, au bas de la colline de la Villa Maraini.

Nous y sommes. Regarde, il y a un romarin!


Marta Margnetti & Giada Olivotto – Arts visuels, curatrices
Marta Margnetti
(1989) est une artiste qui s’attache à créer des géographies domestiques et des lieux imaginaires qui défient notre perception. Giada Olivotto (1990) est commissaire d’exposition, codirectrice du collectif Sonnenstube, membre de PlattformPlattform et fondatrice de Residenza La Fornace. Toutes deux inspirées par les thèmes du réalisme magique et des pratiques féministes, elles travailleront à Rome sur le projet Fattucchiere : en collaborant avec des artistes féminines, elles mettront en scène des formes quotidiennes de résistance.

Photo by Rebecca Bowring

Fontaines publiques

La fontaine est une fleur ou un champignon émergeant d’un grand système sous-terrain prosaïque et mystérieux composé d’histoires, d’argent, de plomb, de salive et de pressions
Fontaine via Paolina © Lou Masduraud, Rome, 2021

J’aime bien les fontaines. Je les aime pour leurs formes, leurs histoires et les flux généreux qui rafraîchissent nos bouches asséchées par la ville.
Je m’intéresse aux fontaines en tant qu’objet politique – symbole de la profusion du bien commun, de sa spectacularisation et donc de son contrôle.
Une fontaine c’est aussi la fleur d’un système, l’histoire de son acheminement depuis la source captée jusqu’à la bouche du mascaron me fascine. Son chemin par les terres, les pierres, les citernes, les valves, les pompes, les tuyaux d’argile cuite, de plomb, d’acier et de béton jusqu’à notre langue.

A qui appartient la terre sur laquelle se trouve la source ? Qui paie l’ouvrier qui nettoie ces conduits?
Est-ce qu’il y a des femmes dans le service d’eau et de maintenance des infrastructures souterraines de Rome ? Est-ce qu’on abreuve les fontaines de jardin de ces villas avant de desservir la place publique ?
Combien de particules de terre, de plomb, d’acier et de béton se trouvent suspendues dans les eaux de fontaine en fonction du chemin parcouru ?
Combien de pièces ont-elles eu le temps de rouiller dans le fond de ce bassin avant d’être récupérées par les services de la ville ?
Combien de vœux ont-ils été exaucés ?

 

Nasone © Lou Masduraud, Rome 2021

Là où on a trouvé la première source, la toute première fois, c’était aux flanc d’une colline, sous les orangers et les bergamotiers. Le verger diffusait des senteurs d’agrumes dans la vallée, et, de façon plus discrète mais tout aussi vraisemblable, infusait abondamment la nappe souterraine de son arôme. Le réseau racinaire des arbres fruitiers instillent les eaux par les sèves et les sucs acides des agrumes dans un échange chimique des plus secret. Et puis il y a la pluie qui ruisselle sur les fruits puis le long des troncs, entraînant avec elle quelques huiles. Chaque goutte d’eau se fraie un chemin pour rejoindre ses sœurs sous la terre. Bain collectif, nappe phréatique et tout le monde dans le même tuyaux. Vas-y qu’on se serre, qu’on se glisse enrichi de parfums, qu’on se bouscule, dévale la pente et serpente sous la ville pour l’abreuver de ces acides fruitées. Extase citoyenne. Miracle.

Fontaine du Pantheon, © Lou Masduraud, Rome 2021

La fontaine est une fleur ou un champignon. C’est la partie visible d’un grand système souterrain, relativement comparable au mycélium courant dans les sous-bois. Le bitume recouvre un large réseau prosaïque et mystérieux, rhizome de circulations fluides, de forces contraires, de pressions, de tourbillons, de frottement liquides, d’air enfermé dans des bulles le long de kilomètre de tuyaux qui fleurissent, jaïssent en fontaine de surface et s’épanouissent à l’air libre. Là, ce sont des bouches ouvertes en forme de O qui déversent le liquide en continu, chuchotant les secrets mouillés de chaque place publique. L’eau passe directement du petit tuyau de bronze à la commissure des lèvres dures et pulpeuses, caressant aux passage ces dents de marbre et transformant cette bouche en terrain légèrement moussu vert noir, carriant ainsi le sourire de la nayade.
Une eau claire et vive sans gaz ni plomb se jette enfin dans le vide. Un vide de quelques centimètre – pas le grand saut, pas de grande chute – mais simplement ce petit vide à traverser librement, relaxée de toute contrainte, libre de forme, se délaissant même de quelques gouttes le temps de savourer l’air ambiant, d’entrevoir le soleil ou la lune et sentir l’air contre son corps d’eau avant de rejoindre le bassin avec permanence.

Une bouche s’approche, différemment cariée, différemment mouillée, un terrain plus acide encore que les agrumes vient interrompre le flux de la fontaine. Bouche de chair contre bouche de pierre. L’eau s’engouffre dans un second système.

Citoyen à la fontaine, © Lou Masduraud, Rome 2021

Lou Masduraud (1990) – Arts visuels

Lou Masduraud (1990) vit et travaille à Genève, où elle développe un travail artistique, critique et féministe. Elle a obtenu un MA en arts plastiques à la HEAD Genève et a participé au programme de recherche postgrade de l’ENSBA Lyon de 2017 à 2019. Sa pratique artistique analyse les mécanismes du pouvoir, du désir et de l’émancipation. À Rome, elle réalisera un projet sur les fontaines publiques en tant que symbole de la vie politique.

Photo by Rebecca Bowring

Les médiévistes sont-ils des travailleurs essentiels ? Réflexions sur l’histoire et la beauté

Les bibliothèques fermées, le médiéviste se retrouve seul, assis à son bureau de travail, face à son ordinateur. Il ne lui reste alors que de fouiller dans la bibliothèque numérique de ses dossiers pour se procurer ce qu’il lui est interdit de voir en public : les manuscrits médiévaux.

Le énième report de ses prochaines conférences à Paris, à Prague, à Munich, le laisse dans la solitude et le déconfort intellectuel, ce qui l’amène à se poser des questions incommodes.  Pourquoi fait-il ce qu’il fait ? pourquoi n’a-t-il pas choisi de travailler dans une banque ou de dans un bureau d’assurances ? pourquoi ne quitte-il pas ses papiers pour aller jouer dans un piano bar ? pourquoi ne part-il à Copacabana ?

Il n’est pas ambitieux, il ne vise pas un grand salaire : il ne lui tient que de résoudre quelques casse-têtes absolument indifférents pour le reste du monde, mais – qui sait pourquoi – devenus désormais primordiaux pour lui.

Le principe d’économie (au sens propre et figuré) qui gouverne une situation d’urgence semble pourtant mettre en discussion le privilège sur lequel se fonde son existence sociale : le privilège de se consacrer à une occupation inutile.

 

Oxford, Bodleian Library, ms. Liturg. 198, f. 91v

Inutile ?

À l’école on lui a maintes fois répété – et lui-même a maintes fois répété – que l’étude de l’histoire est importante pour comprendre le présent et faire des hypothèses sur l’avenir, pour savoir d’où nous venons et où nous allons, pour tirer des leçons des erreurs d’autrui afin d’essayer de ne pas les répéter. À tous ces arguments, le médiéviste peut en ajouter d’autres, propres à sa discipline et tirés de la valeur documentaire et doctrinale de ses sources.

Le médiéviste a donc son bon répertoire d’arguments-en-faveur-de-l’utilité-de-l’histoire-et-plus-particulièrement-de-la-philologie-(médiolatine). Mais il n’y croit pas. Ce n’est pas qu’il a progressivement cessé d’y croire : plutôt, il a progressivement réalisé de n’y avoir jamais cru. Même Aristote, pour lequel seule une activité qui contient sa fin en elle-même peut être considérée comme digne d’un homme libre, ne lui est plus de secours : le virus de la rhétorique, injecté par les modernes dans les mots des Anciens, a désormais infecté tous les arguments, les bons comme les mauvais.

À quoi bon d’ailleurs recourir à des arguments formulés par autrui, si les raisons profondes d’une activité ne doivent être recherchées ailleurs qu’en nous-mêmes ? Dans notre propre histoire (plus ou moins oubliée), dans nos propres inclinations (plus ou moins inconscientes), dans nos propres préférences (plus ou moins avouées). On touche alors aux raisons individuelles, qui sont les seules véritables raisons capables de pousser un individu à agir – ou ne pas agir – d’une certaine manière. Si le médiéviste essaie de pratiquer cet exercice psychanalytique et de se libérer de toute rhétorique, il se trouve face à ce fait incompréhensible : l’étude des sources manuscrites médiévales est pour lui un exercice de beauté, où la beauté est indissociable de la discipline – en ce sens, on pourrait donc le définir comme un exercice d’ascèse laïque.

En se livrant à cet exercice, le médiéviste n’est pas mû par la volonté de servir la science, mais seulement sa propre curiosité. C’est cette curiosité, aussi bien injustifiée qu’inépuisable, qui le mène à déranger des gens.

Pour quoi faire ? Pour ouvrir des armoires.

Tout le plaisir du médiéviste ne se réduit parfois qu’à cela : ouvrir une armoire, ou demander à quelqu’un de le faire.

Pour quoi faire ? Pour y sortir des objets vieux de sept siècles.

Parfois, c’est vrai, l’armoire n’est pas à portée de la main. Lorsqu’on demande aux bibliothécaires de Vodňany, en Bohème, s’ils possèdent des manuscrits médiévaux, leur réponse est négative. Le médiéviste doit insister pour qu’ils se résolvent à contacter un collègue désormais à la retraite, le seul à connaître l’accès à une chambre oubliée dans laquelle il se trouve une armoire contenant « des vieilles choses ». Le vieux monsieur n’a pas la clé de cette armoire, mais il vous assure qu’elle était en possession de son prédécesseur, retraité lui aussi, parti quelque part dans la campagne morave.

La quête d’un objet – qui n’est d’ailleurs rien d’autre que la quête de la personne qui se cache derrière – se transforme alors en quête d’une nouvelle personne. Métamorphose troublante, qui n’est pourtant pas faite pour décourager le médiéviste, habitué à se perdre dans ces mises en abîme.

Cologny, Fondation Martin Bodmer / Cod. Bodmer 131 – Petrarca e Dante, Rime / f. 8r

Avant qu’il arrive à se demander si ces réflexions ne pendent elles aussi de l’arbre de la rhétorique, le regard du médiéviste tombe sur les enluminures du manuscrit qu’il est en train de déchiffrer et en reste captivé. Un dragon rouge sur un fond doré est blessé au cœur par une flèche : avant de trépasser, il demande miséricorde. L’image n’a presque aucun rapport avec le texte, ce qui amène le médiéviste à s’émerveiller de la souveraine liberté de la page médiévale.

Le manuscrit médiéval est pour lui le lieu de la différence – et de la tolérance. Tolérance entre les mots, car les graphies les plus diverses coexistent au sein du même texte – et parfois de la même page. Tolérance entre le centre et le marge, non pas en opposition, comme dans les livres imprimés, mais en dialogue, car ils sont, les deux, le fruit de la main de l’homme.

Le manuscrit médiéval est donc pour le médiéviste un lieu de beauté : une beauté qui ne se donne pas sans effort et qui ne se donne jamais complètement ; une beauté qui s’échappe en même temps qu’elle semble se dévoiler et qui se nourrit de son mystère. Le médiéviste ne se sent pas capable de percer ce mystère, mais il se plait à le contempler.  Le manuscrit médiéval est surtout le fils d’un temps qu’il ne comprend pas, l’ailleurs où il lui est accordé de s’oublier. Par ce curieux qui pro quo : que ce en quoi les autres voient un lieu de mémoire, est pour lui le passeport de l’oubli. Aussi, par le même geste avec lequel on l’a investi de la tâche, grave et respectée, de la recherche, on l’a soustrait au devoir fastidieux de s’adonner à une occupation utile. Dans cet écart que les circonstances ont creusé entre les attentes sociales et ses inclinations individuelles, le médiéviste trouve un moyen – inattendu – de salut.

En attendant que le malentendu soit dissipé, que l’ordre soit rétabli et lui-même renvoyé, le médiéviste jouit du privilège de s’adonner à une occupation inutile – qui n’est rien d’autre que le privilège de se consacrer à un exercice de beauté, la seule valeur qui s’impose en dehors de toute explication, de toute théorie et de toute rhétorique.

Angers, Bibliothèque Municipale, ms. 242, f. 1

Aurora Panzica (1991, Trapani) – Philosophie Médiévale

Elle a obtenu un BA en Philosophie (2013) à l’Université de Trento, où elle a été membre du Collegio di Merito Bernardo Clesio. Elle a ensuite obtenu un MA en Philosophie Médiévale à l’Université de Fribourg en Suisse (2015), où elle a été bénéficiaire d’une bourse d’excellence. Son projet doctoral à l’Université de Fribourg et à l’EPHE (Paris), financé par le Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique, a exploré la réception médiévale des Météorologiquesd’Aristote. Le travail sur les sources manuscrites médiévales l’a amenée à entreprendre de nombreux séjours de recherche en France, en Allemagne, en Italie, en Pologne et en République Tchèque. En 2020, elle a bénéficié d’une bourse de l’Académie Tchèque des Science pour mener des recherches sur les sources manuscrites philosophiques médiévales conservées dans les bibliothèques de Prague. Son projet post-doctoral FNS, se propose de poursuivre l’analyse des sources manuscrites concernant l’histoire des sciences au Moyen Âge. La première étape de ce projet est Rome.

Les têtes de Testaccio

L’écrivain Mathias Howald a été invité à participer à un film sur le quartier populaire de Testaccio. Les paragraphes qui suivent sont des extraits de son journal de bord.

 

J’arrive à pied à la Piazza Orazio Giustiniani par la Via Beniamino Franklin. Au centre de la place, des bancs ont été installés comme un petit salon de béton. Sur l’un de ces bancs, un homme, béret à l’envers, est occupé à régler un appareil photographique. Une femme est assise en face de lui, il ne se parlent pas. Elle tient à l’épaule un sac Walksinsiderome. Une jeune femme arrive, nous présente, nous distribue des badges à porter autour du cou et s’en va. Sur le badge, un portrait d’homme composé à l’ordinateur pour sa partie supérieure et ajusté sur le bas de visage d’une sculpture antique. Le menton est frappé du mot DISTOPIA écrit en majuscules ombrées de rose. Un homme s’approche de nous, ses verres photochromiques ont noirci sous le soleil romain, je ne vois pas ses yeux. Il dit son nom, reçoit son badge. Puis il ouvre la poche de son petit sac en bandoulière qui contient du matériel à fumer. D’un paquet jaune, il extrait une cigarette dont il arrache le filtre et la porte à sa bouche. Il fume en nous regardant, lève ses yeux vers la sculpture d’Hercule prenant le taureau par les cornes sur le frontispice du Mattatoio et se tourne vers le Frigorifero désaffecté qu’il photographie avec son téléphone. Le téléphone se met à sonner : c’est la Villa Médicis. Il s’excuse, répond et s’éloigne. Mon Institut ne m’appelle jamais. On me laisse tranquille, meno male. Nous sommes habillés dans les mêmes tons, le fumeur et moi : nous portons tous deux une chemise bleue, au col bien propre. L’homme à l’appareil photographique se met à nous filmer.

 

« Testaccio est un quartier ouvrier où s’exprime comme nulle part ailleurs l’âme de la romanità » C’est en substance ce que nous dit notre guide qui a prévu de nous y faire goûter, à l’âme de la romanité. Je suis celiaco, je ne mange presque rien. Des pizze, piadine, pâtes fraîches et du prosecco, je n’ingère que le dernier p, attendri en « prosechino » par la guide. Je fais semblant de manger de la pizza pour la caméra. Entre les plats, le fumeur tire sur une vapoteuse trouvée dans sa pochette et la guide nous parle du quartier, de la vie du quartier, de sa vie à elle. Elle est fille de restaurateurs et dans les locaux de son agence touristique, on peut s’initier à la cuisine romaine. Je regarde les bras musclés du caméraman. À l’intérieur de son avant-bras gauche, un tatouage : deux silhouettes stylisées sont enlacées sur ce qui semble être une planche de surf. Je le vois rider la caméra au poing. Il déferle sur des artichauts, des fleurs de courgette, des supplì, trippe sur des tripes, flotte sur des mers de mozzarella di buffala, prend la crête d’agretti, avant de terminer sa manœuvre sur le rostre d’un espadon. Point break.

La guide : « Ici, c’est le ventre de Rome. Le vin et l’huile étaient acheminés par le Tibre dans des amphores » Les tessons (du latin testae) des amphores constituent à la fois la matière et le nom du Mont Testaccio. Nom de pays : le nom. « Je vais écrire sur Pline l’Ancien » me glisse le fumeur. Très vagues souvenirs de mes cours de latin. Je regarde son menton, il me semble être de pierre. Moi je pourrais écrire sur Pline le Jeune qui a décrit l’éruption du Mont Vésuve (me rappelle wikipédia), imaginer l’éruption du Mont Testaccio, qui nous noierait sous une lave d’huile et de vin. Une louve ressemblant à un rat peinte sur la façade d’un immeuble nous regarde sortir du marché couvert. La guide nous quitte. Le fumeur s’en rallume une sur la terrasse d’un restaurant. J’ai arrêté de fumer il y a 15 ans mais quand j’écris, j’ai envie de recommencer et de voir se former un beau panache, « un nuage qui s’élève à une grande hauteur et qui ressemble à un arbre et plus précisément à un pin parasol », comme le dit Pline le Jeune dans sa lettre à Tacite. Carciofi alla romana, cacio e pepe, le fumeur disparaît après le café. Je rentre à l’Institut avec le bus 83.

 

 

Metro ligne B, Garbatella. Traversée périlleuse de la Via Ostiense qui trace vers la mer. Squelette d’un gazomètre et ruines industrielles. La fumée ne s’échappe plus de la Centrale Montemartini hors service depuis les années 1960 ; c’est devenu un musée archéologique qui contient des tombeaux, des mosaïques, des bustes, des bras et des têtes mais aussi des moteurs, des chaudières et des turbines. Nouveau guide, double visite : vie et mort de la Centrale, mort et vie des sculptures. Le caméraman n’ayant pas le droit de filmer à l’intérieur, on ne verra pas les visages se tordant dans le tufo local et les profils plus élégants des statues inspirées des modèles grecs, pas plus qu’on ne pourra admirer les sarcophages gravés de strigiles, produits en masse et personnalisables, le futur défunt pouvant faire sculpter son visage au centre du caisson. Et film ou pas film, on ne sentira pas l’odeur de graisse de moteur qui traîne encore dans les salles immenses de la centrale. Au détour d’une galerie, dans le ventre de l’usine, une sculpture d’homme en pied : il porte dans chaque main le masque mortuaire de ses ancêtres, son père d’un côté, son grand-père de l’autre. Il se trouve que sa tête à lui n’est pas sa tête originale, escamotage cruel de la destinée.

On m’envoie l’adresse de mon prochain rendez-vous. Via Amerigo Vespucci 45. Le fumeur est de retour. Nous descendons dans un sous-sol qui sent l’humidité : nous sommes à quelques mètres du Tibre et à quelques décennies de l’éradication de la malaria. Un homme savant à la tête rieuse nous parle de périphérie, de borgate, de sottoproletariato. Il fait un peu froid dans cette cave, je remonte le col de ma chemise et me laisse emporter par ses paroles alors qu’au-dessus de nous, à travers les fenêtres en soupirail, je vois des jambes emmener des corps inconnus vers d’autres mondes.


Mathias Howald (1979, Lausanne) – Ecriture

Il a obtenu un MA en Lettres à l’Université de Lausanne en 2004. Son premier roman, Hériter du silence (éditions d’autre part, 2018) a reçu le Prix du public RTS 2019. Il a résidé à la Cité internationale des arts de Paris en 2019 et a été lauréat du prix Studer/Ganz 2014. Il a donné des lectures à la Maison de Rousseau et de la littérature (Genève), à la Nuit des Images du Musée de l’Elysée (Lausanne) et au Salon du livre de Genève. Il est membre fondateur du collectif Caractères mobiles avec lequel il a publié Au village (éditions d’autre part, 2019), recueil de textes écrits lors d’une résidence à la Fondation Jan-Michalski à Montricher en été 2017.

© Simon Habegger

Kaputt Mundus

Février 21, nous sommes trois dans ce bureau lumineux de l’Istituto svizzero: sa directrice Joëlle Comé, son collaborateur scientifique Adrian Brändli et moi-même. Je suis venu dans la capitale italienne afin de préparer mes Adieux, plus précisément les lectures, prévues pour le mois d’octobre, de trois de mes textes qu’unit la thématique, comme l’émotion sous-jacente, de l’adieu. Trois de ces textes écrits ces dernières années pour la scène seront lus en italien, l’un – intitulé « Au revoir » (un adieu dès lors peut-être pas tout à fait définitif.. !) le sera également en français, porté par le comédien (et cinéaste !) Mathieu Amalric, pour lequel ce monologue d’un père venant de prendre congé de ses fils partis pour Mars avait été conçu. La Villa Medici, cousine française de l’Institut, l’accueillera dans son prestigieux décor. J’ai exprimé le désir d’accompagner ces lectures-spectacles de débats.

 

J’aimerais qu’on parle, ici, à Rome, de cette rhétorique de l’Apocalypse

S’ils trouvent leur forme, et leur énergie, dans la forme d’un adieu, mes textes reflètent surtout les soucis de mes contemporains, qu’il s’agisse de notre rapport de plus en plus complexe avec l’Animal, ou la menace de notre propre extinction. J’aimerais qu’on parle, ici, à Rome, de cette rhétorique de l’Apocalypse partout présente dans nos riches et anxieuses nations, et des effets de celle-ci sur notre moral comme sur nos créations.  Je voudrais en d’autres termes, et le jeu de mot advient ici à l’instant même où j’écris ces lignes, sans préméditation aucune, que l’on évoque le Kaputt Mundus dans la Caput Mundi….Ouf, c’est fait.

Nous en sommes donc là, silencieux, en cet après-midi que nimbe une lumière déjà printanière, à réfléchir à la forme à donner à ces prolongements à donner aux spectacles. Au loin, dans l’espace ménagé par la grande fenêtre du bureau directorial, la ville s’étend, avec au fond, à midi comme on dit dans l’armée, la Basilique Saint-Pierre.

 

Albert Goodwin, Apocalypse, 1903.

Comment la théologie s’accommode des prévisions du GIEC et des injonctions à tout changer ?

C’est alors qu’Adrian, le collaborateur scientifique, lâche un mot, juste un: Vatican… Ai-je bien entendu ? Le Vatican ? Oui, le Vatican, poursuit le jeune homme, invitons des chercheurs (des chercheuses ?) des facultés liées à l’Autorité Papale à discuter de la fin du monde, du collapse, de l’Apocalypse… voyons, pour faire simple, comment la théologie s’accommode des prévisions du GIEC et des injonctions à tout changer de nos mœurs et de nos pratiques.  Je souris, jette un œil sur la Basilique qui me paraît sourire aussi, je suis, littéralement, aux anges. Les collapsologues aux longs cheveux christiques, les Prix Nobel aux sandales également christiques, tous se sont exprimé dans les media, les réseaux sociaux ou les manifestations de rue. Mais l’Eglise, le Clergé et ses professeurs, tous ceux qui détiennent – je cite Bourdieu – le monopole des biens de salut ? Où sont-ils ? Qu’ont-ils à nous annoncer aujourd’hui que la Science s’accorde à révéler et prévoir des fins plutôt que des commencements, des agonies plutôt que des épiphanies ? C’est ce que nous découvrirons, peut-être, si Covid 19, 20 et 21 ne conspirent pas contre nous, à Rome, cet automne. Grande est ma hâte.


Antoine Jaccoud – Scénariste

Il écrit pour le cinéma, le théâtre et tout ce qui peut donner un support à l’expression orale. Il a coécrit et dialogué les films d’Ursula Meier (L’enfant d’en hautJournal de ma tête, Home), de Bruno Deville (Bouboule) ou de Bettina Oberli (Le vent tourne). À la scène, il fait entendre Le mari de Lolo (Ferrari), le dernier paysan du monde dans On liquide ou dit adieu aux bêtes dans son « monologue du zoophile », créé au Théâtre de Vidy-Lausanne en 2017 avec Jean-Yves Ruf. Antoine Jaccoud tourne également sur les scènes de Suisse et d’ailleurs avec les auteurs et musiciens du groupe de spoken word « Bern ist überall » ou en duo avec les musiciens Christian Brantschen ou Sara Oswald.  Au revoir, créé à Genève en 2017 avec et pour Mathieu Amalric est son plus récent monologue.