Le Piton de la Fournaise, force et imprévisibilité de la nature

Photo: le Piton de la Fournaise, assoupi le 17 octobre, © Isolda Agazzi

Le volcan de La Réunion est entré en éruption le 25 octobre. Une semaine auparavant personne n’avait rien vu venir. Récit de l’ascension du géant assoupi et de celle du Piton des Neiges, endormi depuis 20’000 ans… mais qui sait ?

 J’ai raté l’éruption du Piton de la Fournaise pour une semaine ! J’y étais le 17 octobre et avais pourtant imploré le volcan, l’un des plus actifs au monde, de se réveiller. Rien à faire : le géant était resté silencieux et froid, malgré mes incantations. Finalement, totalement imprévisible, il aura explosé le 25 octobre, pour la 5ème fois de l’année. Personne ne l’avait vu venir.

Le 16 octobre au soir, nous étions montés en voiture au Gîte du volcan, en surmontant quelques aléas : un avion de tourisme s’était écrasé le matin même, faisant deux morts et deux blessés graves et la route avait été momentanément fermée. Le pilote était pourtant expérimenté, mais il avait dû être surpris par le brouillard arrivé à l’improviste, comme souvent sur les hauts de La Réunion.

Le cratère du Piton de la Fournaise, © Isolda Agazzi

Après une nuit de repos (plus ou moins bonne selon les aléas des dortoirs), départ au lever du jour pour atteindre le sommet avant que le ciel se couvre, habituellement vers la fin de la matinée. Aujourd’hui nous avons de la chance: l’air est pur et la vue complètement dégagée, grâce à un fort vent froid. A nos pieds, une mer de nuages – un spectacle récurrent. Après avoir atteint le bord de la caldera, nous descendons vers le fond et arpentons le tapis de lave solidifiée. Tout est noir. Impression de marcher sur la lune, où aucune vie ne résiste et la nature reprend le dessus, brutalement. Sentiment de vide et d’absurde, mêlé de plénitude pourtant, comme dans les grands espaces – cela me rappelle le désert. Nous contournons une récente coulée de lave et continuons à monter, le ciel toujours étonnamment dégagé. Après trois bonnes heures de marche, nous arrivons au bord du cratère, assoupi ce jour-là : une immense cuvette noire où mijote le repas de géants prêts à se réveiller à tout moment. Le soleil est haut dans le ciel, le silence absolu, le néant total.

Une semaine après il entrera en éruption. La lave rouge dévalera les pentes noires dans une danse endiablée de flamenco. Je me contenterai de voir les images à la télévision, avec regret.

Le lendemain, nous avons joué aux spéléologues dans un tube de lave. Une expérience un peu inquiétante, dans l’obscurité la plus totale, où l’on perd tous ses repères. C’est avec un plaisir accru que l’on en ressort après deux heures pour retrouver la lumière éclatante des tropiques, le soleil, le vent dans les palmiers et les bananiers et le mugissement des vagues qui s’écrasent contre la falaise.

Le Piton des Neiges, © Isolda Agazzi

Le Piton des Neiges, éteint depuis 20’000 ans

Quelques jours auparavant, nous avions grimpé au sommet du Piton des Neiges, l’autre volcan de La Réunion, éteint depuis 20’000 ans. De la ville de Cilaos, on monte au Gîte Dufour, où la plupart des randonneurs passent la nuit pour entamer l’ascension du volcan le lendemain à 4h, afin de voir le lever du soleil et essayer d’éviter ces foutus nuages. J’ai préféré monter l’après-midi même, dans le brouillard d’abord, sur une coulée de lave parsemée de lichens qui tracent des dessins ésotériques sur la roche noire, émaillée par ci par là d’arbustes gris – vert. Ambiance spectrale. La brume se déchire parfois pour laisser filtrer une lumière vive, qui éclaire quelques fleurs jaunes qui poussent on ne sait comment. Un peu sinistre, mais captivant, on s’attend à voir surgir à tout moment un fantôme derrière un rocher. La brume valse entre les roches sombres, on a l’impression d’errer dans l’enfer de Dante, telles des âmes hagardes.

Au sommet du volcan éteint, plus de trace de végétation, mais des roches énormes et, un peu plus bas, une vue imprenable sur l’habituelle mer de brouillard, avec en prime une ébauche d’arc-en-ciel. Le Piton des Neiges est éteint depuis des milliers d’années, mais qui sait ? La nature est puissante et imprévisible. Et c’est tant mieux comme cela.

 

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.