“Respect pour les acquis de la Révolution cubaine, malgré l’hostilité des USA”

Photo: ambassade des USA à La Havane, © Isolda Agazzi

Michael Parmly a représenté les intérêts américains à La Havane sous la présidence de George W. Bush. Aujourd’hui retraité à Genève, il appelle Washington à rendre la base militaire de Guantanamo et à normaliser les relations commerciales entre les deux pays. Dès lors, il n’y aurait plus de raison de garder l’embargo.

“Guantanamo ? Il y a la plus belle plage de Cuba! » S’exclame le chauffeur de vélo taxi, pédalant vigoureusement sous un soleil de plomb. La plage, ce n’est pas la première chose qui vient à l’esprit du visiteur étranger qui s’enquiert sur Guantanamo… « La base américaine ? Ah oui Fidel [Castro] voulait la fermer, mais il n’est jamais monté au créneau avec les Américains », précise cet ancien enseignant, qui a préféré troquer son salaire de 21 CUC (21 CHF) par mois pour promener les touristes et gagner cette somme en une heure. Une analyse confirmée par Michael Parmly, en charge des intérêts américains à Cuba de 2005 à 2008: « La présence des Etats-Unis à Guantanamo est illégitime ! Nous devons rendre cette base navale à Cuba sans rien demander en échange, même si l’accord de 1934 nous donne le droit d’y rester jusqu’à ce que les deux parties en décident autrement. Quand Fidel Castro a pris le pouvoir, il a clamé haut et fort qu’il était contre la présence américaine, mais c’était de la propagande, il n’est jamais allé plus loin. A nous de le faire donc! » A noter que Barack Obama voulait fermer la prison qui se trouve sur la base, mais pas la base elle-même.

Se coordonner avec la Suisse, représentante des intérêts américains

Qu’était donc allé faire à Cuba cet ancien diplomate américain, qui coule aujourd’hui une retraite paisible à Genève ? « Mettre en œuvre la politique de George W. Bush. Condoleeza Rice [alors secrétaire d’Etat] m’avait dit : « Je veux que vous fassiez de notre politique à Cuba une politique étrangère et non une politique intérieure : que se passe-t-il là-bas ? Comment le pays est-il en train d’évoluer ? » Elle m’a donné carte blanche. Je suis même arrivé à convaincre le président Bush de « venir » virtuellement à Cuba. Nous avons eu des conversations par DVC [l’équivalent du skype de l’époque] cinq fois. » Tout cela en coordination étroite avec la Suisse, qui a représenté les intérêts américains sur l’île jusqu’en 2015, date du rétablissement des relations diplomatiques par Barack Obama.

Convaincu que la connaissance que Washington avait de Cuba s’était arrêtée en 1958, avant la Révolution, Michael Parmly sort de l’ambassade, va à la rencontre des Cubains, les écoute et il encourage son staff (51 personnes tout de même) à faire pareil. Il rencontre régulièrement et publiquement des dissidents, notamment les 75 personnes arrêtées en mars 2004, dont le Cardinal Ortega. « L’une des conversations que George W. Bush a eues était avec les dissidents. Washington aimait penser qu’il y avait 11 millions de dissidents potentiels à Cuba [toute la population], mais ce n’était pas vrai. La plupart des membres du parti communiste cubain, des centaines de milliers de personnes, croyaient sincèrement à la Révolution »

Lever l’embargo va servir aussi les intérêts américains

Pour lui, c’est une évidence : « Nous devons normaliser nos relations commerciales avec Cuba. Dès lors, il n’y aura plus de raison de garder l’embargo. » Celui-ci interdit à tout bateau de charger et décharger aux Etats-Unis s’il a fait du commerce avec Cuba pendant les six derniers mois. Il interdit les voyages des Américains et la plupart des importations et exportations entre les Etats-Unis et Cuba. Pas toutes donc. L’aide humanitaire, les produits agricoles et pharmaceutiques en sont exclus. Cuba achète beaucoup de produits agricoles aux Etats-Unis et les entreprises pharmaceutiques américaines font sur l’île des recherches et des tests qu’elles ne pourraient pas faire chez elles.

“Lorsque j’étais à Cuba, les principaux intérêts que je devais défendre étaient ceux des exportateurs agricoles américains – et cela continue sous Donald Trump. En vertu de notre législation, Cuba doit payer cash les produits agricoles et pharmaceutiques qu’elle nous achète, c’est donc très intéressant pour nos exportateurs. »  D’où une chance, selon lui, que l’embargo américain soit levé tôt ou tard, malgré la rhétorique de Donald Trump.

La Guarida, La Havane © Isolda Agazzi

Michael Parmly en est convaincu : les entrepreneurs sont l’avenir du pays. En 2011, une loi a autorisé les privés à exécuter 127 activités, allant des chauffeurs aux coiffeurs, en passant par les restaurants et les « casas particulares » (maisons privées louées aux touristes). 500’000 personnes se sont enregistrées, ce qui représente 10% de la population active. Depuis quelques mois le gouvernement n’autorise plus de nouveaux commerces, mais les anciens peuvent continuer à exercer. L’ancien diplomate donne l’exemple de La Guarida, le restaurant le plus célèbre du pays, installé dans un ancien palais de Centro Habana où a été tourné Fresa y Chocolate, un film de 1993 qui raconte une rencontre improbable entre un homosexuel qui ne croit pas à la Révolution et un étudiant communiste.

Hôpitaux en piteux état, mais les médecins font des miracles

“Je respecte profondément la Révolution cubaine pour ce qu’elle a été capable de réaliser, malgré l’hostilité des Etats-Unis. Les Cubains ne sont que 11 millions, mais ils ont su garder leur identité bien que les Américains leur mettent les bâtons dans les roues depuis soixante ans », affirme-t-il. Malheureusement les principaux acquis de la Révolution, à commencer par la santé et l’éducation, s’effondrent. Les hôpitaux sont en piteux état, malgré l’excellent niveau de formation des médecins et des infirmières, qui ont tendance à s’expatrier dès qu’ils le peuvent – les services sont le principal produit d’exportation de Cuba, à commencer par le personnel médical.

“J’apprenais à nager à des enfants cubains atteints du cancer, dans ma piscine, nous raconte l’ancien diplomate. Une fois on m’a appelé en pleine nuit : Jacqueline, âgée de 13 ans, était en train de mourir. J’ai filé à l’hôpital. Le médecin savait qui j’étais et d’abord il n’a pas voulu me laisser entrer. Mais quand il a compris que c’était important pour Jacqueline, il m’a ouvert la porte. C’est cela la valeur du système médical cubain : les médecins sont des êtres humains, pas des bureaucrates. Une fois j’ai demandé à un dissident en très mauvaise santé s’il avait accès aux soins. Il m’a répondu : « Mon statut d’opposant affecte ma capacité à appeler une ambulance, car malheureusement les bureaucrates ne sont pas aussi inspirés que les médecins. Mais une fois que j’arrive à l’hôpital, je sais que je suis entre de bonnes mains. »

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.