Où est la Suisse ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Suisse n’est pas cette parcelle de terrain située au milieu de l’Europe : elle surfe sur presque tous les continents ! Et si vous me demandiez de définir qui se cache derrière ce pronom « on » si imprécis et indéfini, je me risquerais à confirmer qu’il est « neutre » comme la Suisse, et donc indéfinissable…comme la Suisse.

Au Costa Rica

Au Costa Rica, lorsqu’une “Tica” ou un “Tico” me demandait d’où je venais et que je répondais : « de la Suisse », elle ou il s’exclamait fièrement : « Ah, mais le Costa Rica est la Suisse de l’Amérique centrale ! ». Perplexe, je me disais en mon for intérieur : « Mince alors, je pensais avoir quitté la Suisse. Est-ce que je tourne en rond ? Je devrais peut-être lire les guides du routard pour préparer mes voyages ». Le Costa Rica est réputé pour ses nombreux spots de surf et sa nature incroyable abritant une biodiversité des plus riches et abondantes du monde. Mais il est aussi connu pour sa démocratie, sa stabilité politique et sa neutralité face aux politiques de ses voisins. Bref, après avoir surfé, le temps passe et il faut que je retourne voir la Suisse (celle de l’Europe).

Au Liban  

Le jour de mon retour du Costa Rica et alors que je me dirige vers le tram pour rentrer chez moi, je croise un couple main dans la main. L’écho de leurs voix se jette à moi comme un coup de vent qui me souffle une bribe de leur discussion : « tu savais que le Liban était la Suisse du Moyen-Orient ? ». Décidément, je refais un petit cours d’histoire de la Suisse et de l’exportation (ou exploitation ?) de son image. Dans son ouvrage « Liban. Identités, pouvoirs et conflits. Idées reçues sur un État dans la tourmente », l’auteur Daniel Meier intitule l’un de ses chapitres « Le Liban était la Suisse du Moyen-Orient » où il est notamment expliqué que l’expression vient de la France coloniale.

Au Togo

Quelques semaines après mon expérience costaricaine, les Alpes grisonnes susurrent à ma conscience que la jeunesse est avant-gardiste. Preuve en est quand je demande à mon filleul de 8 ans : « quelle est la capitale du Togo ? » et qu’il s’écrie à la vitesse de l’éclair : « L’Afrique ! ». Erreur ou anticipation ? Car l’association que le cerveau a faite entre le Togo et l’Afrique est tout à fait juste d’un point de vue géographique. Une inversion logique pourrait également établir (de façon anticipée) que le Togo sera un jour la capitale de l’Afrique ! Tout cela paraît tiré par les cheveux, mais une voix intérieure m’a rappelé que le Togo était autrefois surnommé « la Suisse de l’Afrique ».

Alors, où est la Suisse ? Etrangement, voyager hors d’un pays permet également de le visiter. Observer son reflet depuis l’extérieur questionne les visions préconstruites et redimensionne les distances qui rapprochent ou éloignent. Quelles sont les interdépendances étatiques et les migrations qui façonnent nos imaginaires ? Lesquelles bâtissent nos réalités historiques, sécuritaires, économiques, politiques et sociales ?

 

Infos et références :

Relations diplomatiques entre la Suisse et Costa Rica

«Liban. Identités, pouvoirs et conflits. Idées reçues sur un État dans la tourmente », ouvrage de Daniel Meier, publié en 2016

« TOGO. Le naufrage de la Suisse de l’Afrique », article paru dans le Courrier international le 9 février 2005

Hélène Agbémégnah

Juriste de formation, ses expériences professionnelles et personnelles lui ont permis, entre autres, de côtoyer des problématiques liées à la migration et à la diversité. Elle a été membre de la Commission fédérale des migrations (CFM) pendant quatre ans et s’intéresse, dans ce blog, à partager ses vues et réflexions multiples.

5 réponses à “Où est la Suisse ?

  1. En fait, ce nom vient de l’ancienne “colonie” de la Suisse dans ce pays.

    https://es.wikipedia.org/wiki/La_Suiza_de_Turrialba

    Très pauvres, des paysans suisses avaient en effet fui la famine en Suisse pour s’établir au Costa Rica.
    Il en est resté des liens très forts.

    Nous oublions, régulièrement, que la Suisse était le pays le plus pauvre d’Europe occidentale à la fin du XIXe siècle et que ses forces vives ont émigré un peu partout pour survivre.

    Ce que vous trouvez amusant, comme touriste suisse à l’étranger, est en réalité un vif et douloureux rappel des souffrances de nos ancêtres. Souvent, le fils aîné avait le droit d’avoir des enfants, tandis que ses frères devaient soit renoncer à enfanter (pour ne pas diviser le domaine agricole) soit émigrer à l’étranger. Ces sacrifices ne doivent pas tomber dans l’oubli de l’opulence d’aujourd’hui.

    1. Mon dernier paragraphe est mal formulé, je désire rectifier en donnant une illustration de votre intervention :
      Si l’on me sert une choucroute allemande en me révélant les origines de sa recette durant le repas, je ne vais pas demander à mes voisins de table et au maître cuisinier d’observer une minute de silence en mémoire des souffrances de la Dernière Guerre.

      1. J’ignore d’où vous tirez cette “minute de silence”. Et encore plus votre interprétation intolérante de mon intervention.

        Est-ce mal de rappeler à présent qu’il y a 3 types de pays qui sont “liés” avec la Suisse ?

        1) l’Helvetistan
        https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-2678.html

        2) Des pays qui revendiquent une certaine “suissitude”

        https://www.cairn.info/liban-identites-pouvoirs-et-conflits–9791031800981-page-37.html

        https://www.geo.fr/geopolitique/lexception-omanaise-suisse-du-moyen-orient-208241

        https://www.lepoint.fr/economie/bienvenue-a-singapour-la-suisse-de-l-asie-28-07-2022-2484703_28.php

        https://www.bilan.ch/entreprises/le-botswana-la-suisse-de-l-afrique

        etc.

        3) Des pays, comme le Costa Rica, qui ont reconnu le sacrifice de Suisses poussés par la famine pour y travailler la terre et y développer des institutions.

        Dire que tout ne se vaut pas et que les liens entre la Suisse et le Costa Rica ravivent une blessure dans certaines familles suisses… n’est en rien hors sujet ! Votre exemple de la choucroute est d’ailleurs un profond mépris à l’égard des sacrifices de ma famille, de mon arrière-grand père qui est resté ici, tandis que ses deux frères sont partis là-bas pour y travaller la terre très durement jusqu’à en mourir.

        Vous venez visiblement d’une famille épargnée par ces souffrances, rappelées de génération en génération. Votre mépris, cher Dominic, je ne vous le pardonne pas. La douleur mémorielle de nos familles existe et a droit au respect !

        Pour reprendre un ton plus en lien avec le blog. Saviez-vous que les immigrés allemands et suisses ont failli obtenir – à 1 voix près – que les lois américaines soient traduites en allemand? Hollywood a retenu l’immigration irlandaise et italienne, mais la famine qui y sévissait a été terrifiante en Suisse aussi et séparé de très nombreuses familles. C’est pour cela que vous trouverez aux USA plus de 5000 villes, villages qui portent des noms suisses. Plus de 1 million d’Américains revendiquent des ancêtres suisses. Ce qui est énorme pour un pays de notre taille. Et je précise que les Suisses sont très majoritairement partis après 1880, soit après la suppression des lois sur l’esclavage.

        1. @ M. Miséricorde / 04.08.2022 à 09:10.

          Je ne nie pas les tristes réalités historiques dont vous faites part. Ce qui me gêne beaucoup est que vous fournissiez ces informations afin de donner le « juste éclairage » et l’état d’esprit à adopter quand nous, les ignorants, rencontrons des personnes contentes d’évoquer les qualités de la Suisse qu’elles pensent trouver dans leur pays. Ces échanges sont des fois un message de bienvenue qui peut se traduire par : « Chez nous c’est un peu aussi la Suisse, parce que… »

          Tolérer, c’est laisser vivre, en particulier les bons sentiments sans qu’il soit nécessaire d’en faire l’analyse pour les déclarer appropriés ou non dans l’instant vécu. Les rencontres de Madame Agbémégnah ne sont ni des faits historiques, ni un échange de sourires entre une touriste et le réceptionniste de l’hôtel qui lui tend les clés de sa chambre : « Je vous souhaite un séjour plaisant et beaucoup d’amusement dans les activités que nous proposons à la plage… ». Il est cependant possible de faire aussi (ou en priorité) connaissance des habitants… Le touriste que j’ai été au Club Med m’en a donné l’occasion, un jour où j’ai été emporté par le courant sur mon pédalo jusqu’à une côte inconnue. Trois femmes en grandes robes et une ribambelle d’enfants sont arrivés en courant pour m’emporter jusqu’à leur maison de paille où j’ai mangé une Moussaka de poissons en serrant les dents. Nous avions ri, parlé avec des gestes, je n’avais pas baissé la tête en observant une minute de silence pour compatir à la pauvreté de la famille… Trois jours après, j’étais revenu en car et en taxi pour apporter des jouets en plastique aux enfants. Des cadeaux avaient pourtant déjà été échangés le premier jour de mon échouage : « Heureux de vous rencontrer ! Venez ! » Ce souvenir « historique » est resté ancré dans ma mémoire cinquante ans après, moi qui ne connais rien de l’histoire « réelle et sérieuse » de la Turquie ! J’observe donc une minute de silence pour tout ce que je ne sais pas.

  2. La « Minute de silence » de M. Miséricorde

    Je n’ai pas du tout le sentiment que la rédaction d’Hélène Abgémégnah est le journal d’une touriste qui s’amuse légèrement de ses découvertes, j’apprécie au contraire son regard neuf et sa sensibilité. Je la remercie donc pour les témoignages donnés de ce qu’elle vit, les questions qu’elle pose, son désir de partager dans un monde qu’elle souhaite meilleur…

    Vous apportez un éclairage intéressant sur l’histoire de la Suisse, je déplore cependant que cet appel à la miséricorde ne soit qu’en lointain rapport avec votre minute de silence qui s’abat sur l’article.

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