Elle entre sur scène, seule. Se dirige vers le piano, conquiert le micro. Sa voix se met à résonner dans toute la salle qu’elle enveloppe de chaleur, tandis qu’il pleut dehors. Assise à côté d’Imma qui a fait le trajet depuis Fribourg, je me laisse traverser par cette voix ; d’une amplitude magnétique, elle vibre de tout son être et raconte des histoires que ses paroles ne disent pas encore. Car oui, il y a les paroles, la mélodie, les notes, le rythme, certes, mais il y a aussi le coffre et tout ce qu’il porte en lui de secrets et de trésors.
Elle est entrée sur scène, seule. Mais maintenant, elle est sur scène, entourée de mille et une voix, mille et une histoires, mille et une identités, mille et une vies. Avec, en supplément, ses dix doigts qui domptent chaque note du piano, je perçois chez elle l’influence d’une discipline et d’un parcours musical classique à l’école du Conservatoire. Au milieu du concert, elle joue et chante « Requiem », un doigt suspendu à quelques centimètres du clavier qui sait exactement le poids et la portée de sa chute sur une note qui résonne avec conscience.
La voix comme engagement
Comment résumer le concert d’Afra Kane ? Chanteuse soul, lauréate du Montreux Jazz festival en 2019, il y a tellement de choses à dire. Mais pendant la pause, Imma, qui se trouve à côté de moi, et dont le nom complet – Immaculée Mosoba – cache une activité sociale et professionnelle, ainsi qu’un engagement politique exemplaires, me regarde et résume : « elle est magnifique ! ». Ayant eu le temps de réfléchir pendant le concert, je lui propose : « Imma, vous êtes toutes les deux magnifiques, ça te dit que j’écrive un texte vous concernant les deux, en tant que femmes engagées, sur mon blog ? ». Imma me répond interpellée avec deux yeux comme deux points d’interrogation : « Ah bon ? tu as un blog ? ».
En 2017, Immaculée Mosoba devient membre du Conseil général de la Ville de Fribourg. Depuis plusieurs années, elle exerce sa fonction de conseillère générale membre du parti socialiste, mais porte aussi la casquette de Vice-présidente du comité de l’Espace culturel le Nouveau Monde et du Café culturel de l’Ancienne Gare. Professionnellement, elle a, entre autres, un parcours engagé dans la migration, en ayant travaillé comme conseillère dans les centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA) de Boudry et de Giffers. Master de droit en poche et en attendant de commencer son stage d’avocate, c’est maintenant en tant que juriste qu’elle travaille dans les CFA de Boudry et de Giffers.
Alors que dire de la voix comme engagement ? Celle d’Imma est une voix portée par écrit et à l’oral dans un engagement à plus d’un titre. Lors de ses discours et dans ses recours devant des instances judiciaires, elle défend les plus démunis. Quant à la voix d’Afra Kane, elle est aussi un engagement à part entière. Sa personnalité, sa voix, sa présence sur scène m’inspirent plein d’histoires. Je peux les laisser se répercuter sur moi et me raconter des contes de mille et une nuits d’histoires ancestrales et à venir. J’entends l’Afrique et l’Occident, je vois les chocs et les accidents. J’écoute l’histoire des corps et ma corde sensible qui me réveillent en faisant défiler devant moi un monde à venir, jeune et prometteur.
Qu’est-ce qui change le monde, la chimie ou l’alchimie ?
Alors que la deuxième semaine d’octobre 2022 est aussi celle des prix Nobel, notamment celui de la chimie, que dire de l’alchimie ? Si je devais décerner le prix Nobel de l’alchimie, je le donnerais à une personnalité dont l’engagement est celui d’inspirer les autres, de les éveiller à leur âme dans ce qu’ils ou elles ont de plus beau en eux, en elles. Dans cette perspective, Afra Kane ferait partie des lauréates et lauréats. En préambule à une chanson où elle évoque l’hypersensibilité qui est en rapport avec le titre de son dernier album « Hypersensitive », elle lance au public : « (…) aimez-vous comme vous êtes ! ». Elle chante aussi « Start again » qui incite à surmonter tous les obstacles de la vie. Debout, sur scène avec sa voix puissante, Afra Kane est entièrement engagée dans la vie, engagée pour faire reconnaître son existence de femme noire, mais pas seulement, car elle est plus qu’une apparence. D’ailleurs, si Shakespeare résumait une grande part du mystère de la vie par « être ou ne pas être ? », chez Afra Kane, il y a justement cette puissance d’être…
En coulisses, deux femmes se rencontrent
À la fin du concert d’Afra Kane, Imma et moi allons dans les coulisses du Festival12 à Neuchâtel. C’est alors un échange entre Afra Kane et Imma qui ont pas mal de choses en commun, à commencer par leur âge dont je tairai le chiffre. Elles parlent de leurs engagements, du fait de se sentir seules parfois dans des causes qu’elles portent en elles. Elles évoquent aussi le nouveau Festival Black Helvetia dont l’objectif est – comme énoncé par Sylvie Makela au forum des 100 – de « proposer une réflexion sur l’identité, la diversité et la représentation des femmes noires en Suisse. ».
Il y a dans cette rencontre entre Afra Kane et Immaculée Mosoba, entre ces deux femmes aux identités multiples, la promesse d’échanges fructueux et créatifs. Parfois, il suffit d’une rencontre pour changer de monde, changer un monde, changer des mondes…et par la voix, ouvrir des voies.
Copyright – Photo de mise en avant prise par Damien Monnier au Festival12
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Merci pour cet article. Vos paroles laissent entendre aussi une voix.