Les Verts tirent leur épingle du jeu de la coalition tripartite

Tout le monde s’en aperçoit : la coalition tripartite en place à Berlin depuis près de sept mois n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Malgré le succès des sociaux-démocrates en Sarre, où leur candidate a ravi fin mars la majorité à la CDU, elle a du mal à prendre le dessus sur l’actualité. Doublement sanctionnés dans deux Lands, le parti du chancelier et les Libéraux viennent de subir les contrecoups d’une politique mollassonne, aux contours flous et exposée à des difficultés intérieures et extérieures mal maîtrisées.

Plus que jamais coalition des contradictions, elle n’arrive pas à s’imposer. Ses déclarations à l’emporte-pièce sont le reflet de profonds désaccords internes qu’elle n’est pas en mesure de dissimuler. Sous le feu croisé des critiques, deux de ses formations ont enregistré de très mauvais scores à l’occasion des dernières élections régionales. Dans son bastion de la Rhénanie du Nord-Westphalie, le SPD est tombé pour la première fois de son histoire sous la barre des 30%, alors que le FDP y a perdu plus de la moitié des suffrages. Après avoir été humiliée lors du scrutin au Bundestag du 26 septembre 2021, et tel un phénix qui renaît de ses cendres, la CDU a par contre renoué avec la victoire et confirme, à celles et ceux qui l’avaient oublié, que la République fédérale d’Allemagne demeure un pays de centre-droit.

Les récents échecs de la coalition gouvernementale sont aussi dus à la personnalité du chancelier Olaf Scholz. Successeur d’Angela Merkel, il a non seulement du mal à faire entendre sa voix, mais aussi à dicter ses choix et ses idées. Paraissant indécis dans ses interventions et dans ses prises de position, homme de dossiers, mais également sorte de somnifère ambulant qui patauge dans les travers d’une politique encore quelque peu obscure, il est la principale victime des imbroglios idéologiques de son parti. Nonobstant l’attitude pro-Poutine de son prédécesseur Gerhard Schröder, il est pris au piège des conflits d’intérêts d’une social-démocratie longtemps soupçonnée d’avoir été trop bienveillante envers Moscou. Obligé dorénavant de changer les braquets militaire et énergétique d’une Allemagne imprévoyante et crédule, il supporte à lui seul un bilan assez médiocre d’une RFA qui, au moins pendant les seize dernières années, a préféré l’orthodoxie financière à la solidarité européenne et l’approvisionnement en gaz russe à la production autochtone d’énergies non fossiles. Co-responsable de déficits trop souvent tus sous le couvert de l’excellence du modèle allemand, Olaf Scholz est le coupable tout trouvé pour une Allemagne en quête d’un renouveau qu’elle a ignoré depuis près de deux décennies.

À la croisée des chemins entre ses réformes sociales, ses nécessaires restructurations industrielles, ses inégalités territoriales, ses politiques budgétaires et ses défis environnementaux, la coalition au pouvoir n’a pas encore trouvé le dénominateur commun d’une politique que l’on aimerait plus volontariste. Seuls les Verts semblent tirer leur épingle du jeu. Que ce soit au Schleswig-Holstein ou en Rhénanie du Nord-Westphalie, ils se félicitent de quelques scores électoraux auxquels leurs partisans les plus optimistes n’auraient même pas osé rêver après leur succès en demi-teinte obtenu lors du scrutin fédéral de septembre dernier. Plus que jamais, les écologistes allemands sont au diapason d’une société où le libéralisme écologique se conjugue avec une modernité plus économique que sociale.

Désormais au centre, voire pour quelques-uns de ses dirigeants au centre-droit de l’échiquier politique de la RFA, les Verts ont opéré un tournant idéologique sans précédent. Autrefois parti de la paix, ils sont devenus de parfaits va-t-en-guerre, les faire-valoir des livraisons d’armes en Ukraine, les défenseurs invétérés de l’Alliance atlantique, voire, en mal de matières premières, les clients dociles du régime qatari. Dépourvus de toute conscience de classe, affiliés à la pensée postmoderne, plus anglo-saxons que latins, les écologistes allemands ne se soucient plus guère du passé de leur pays. Le nazisme ne les intéresse plus et la division de l’Allemagne de même que l’existence de la RDA encore moins. Aujourd’hui au pouvoir, ils incarnent à la perfection l’image qu’Helmut Kohl souhaitait toujours donner de ses compatriotes, soit celle d’Allemands normaux.

Enfants de la normalité allemande du 21e siècle, les Verts sont les seuls à savoir profiter de cette coalition des contradictions. Tout laisse à penser qu’ils ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Forts de leur assise électorale et de leur légitimité, dotés d’un personnel politique de qualité et toujours plus proches des chrétiens-démocrates, tous les espoirs leur sont permis. Même celui de placer l’un des leurs à la chancellerie au sein d’une alliance parfaitement envisageable entre les Verts et la CDU/CSU.

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

9 réponses à “Les Verts tirent leur épingle du jeu de la coalition tripartite

  1. On oublie trop vite que la prospérité de l’Allemagne est due aux réformes drastiques mais bénéfiques que Schröder a faites et qui lui ont valu sa défaite lors des élections qui ont suivit.
    Merkel n’a fait que surfer durant tous ses mandats sur ces réformes car elle était bien incapable de prendre la moindre décision. Lors de la crise des subprimes, il a fallu que Sarkozy aille lui tenir la main pour éviter la faillite des banques tant elle était incapable de décider quoi que ce soit.
    La coalition actuelle n’est que le mariage d’une carpe et d’un lapin tant leurs idéologies sont opposées. Des écolos qui ne veulent pas de centrales nucléaires mais qui ferment les yeux sur les centrales à charbon les plus polluantes et la dépendance au gaz Russe… alliées à un successeur de Merkel tout aussi indécis et sans charisme.
    On peut faire tous les procès d’intention que l’on veut à Schröder, mais sans lui, l’Allemagne n’aurait pas aujourd’hui une économie aussi prospère.

    1. Vous donne raison sur votre état des lieux.
      Suis néanmoins plus critique à l’encontre de Schröder aujourd’hui.
      GC

      1. Entre nous soit dit, je me demande si la majorité des Allemands, anti-bellicistes et traumatisés par la guerre comme Schröder (qui avait sur son bureau la photo d’un soldat de la Wehrmacht: son père mort sur le front de l’Est), ne sont pas secrètement d’accord avec cet ex-chancelier trop décrié.

        Si les Allemands ne vivaient pas dans un pays occupé, et donc non libre de ses choix, je pense qu’ils plébisciteraient une politique d’amitié avec la Russie et de prospérité économique grâce au gaz russe bon marché. Une politique que Schröder pourrait incarner.

        Je ne comprends pas comment vous pouvez approuver une politique belliciste, qui consiste à armer jusqu’aux dents un régime fantoche dans lequel une minorité sans foi ni loi de nostalgiques des SS mène le bal.

        Est-ce que les Verts tirent leur épingle du jeu ? Oui, sans doute, par défaut. Mais est-ce que le peuple allemand est de leur côté, dans ses sentiments profonds ? Je réponds non.

        1. Je n’approuve ni une politique belliciste, ni une agression contre la souveraineté d’un pays européen.
          Les Allemands, non plus!
          GC

  2. Cher Monsieur,
    Je ne comprends pas.
    Les USA ont mis la Suisse sous surveillance pour souoçon de manipulations de sa monnaie.

    Et que fait la gauche?
    Elle lance une initiative pour qu’on manipule notre monnaie:
    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/une-initiative-est-lancee-la-gauche-veut-piocher-dans-les-caisses-de-la-bns-pour-financer-lavs-id17519294.html

    Voyez-vous un seul motif qui pourrait nous éviter d’être condamné pour manipulation de notre monnaie, si l’initiative passe ? Et si les USA nous sanctionne, les capitaux fuiraient la Suisse, et nous serions dans un cataclysme…

    La gauche ne pense pas aux conséquences? Elle compte sur un non du peuple? ou est-elle populiste au point de se moquer des conséquences de ses actes ?

    1. Votre commentaire n’est pas en adéquation avec le contenu de mon article.
      GC

  3. Sur l’influence de Schröder au début des années 2000 que dire du fossoyeurs allemand de la sociale démocratie, il vaut bien son pendant anglais et tout ceci ressort plus des forces sociales en jeu que des personnes qu’on les aime ou non.
    Quant au fond de l’article du Professeur Casasus je partage ses analyses et surtout son pronostic sur le devenir gouvernemental des Vert même si cette conclusion va à l’encontre d’une approche très et trop française ( dont je suis aussi souvent coupable) qui privilégie les personnalités aux tendances sociales et surtout demeure défiante vis à vis des coalitions et des transactions que nous marquons du fer de la compromission alors que c’est tout simplement le signe vrai de la démocratie et d’un réel régime parlementaire comme en Italie et encore en Allemagne.

    1. Analyse exacte…L’avenir gouvernmental des Verts est aussi le fruit de changements sociaux et surtout idéologiques, trop rarement pris en compte au-delà des frontières allemandes.
      Très cordialement.
      GG

    2. Le problème est qu’actuellement vert = rouge, voir rouge vif alors que l’écologie ne devrait pas être liée à une idéologie politique. Voyez les propos délirants de Sandrine Rousseau qui voulait se présenter à la présidentielle sous couleur EELV ! Elle n’a absolument plus rien d’écologique dans ses propos et propositions, mais un programme tout ce qu’il y a de plus marxiste extrémiste.

      Quand aux verts Allemands, on peut se demander comment ils en sont arrivé à fermer des centrales nucléaires pour ouvrir des centrales à charbon par dizaines sans jamais réaliser à quel point ils se contredisaient totalement et ils continuent vu qu’en février derniers ils ont encore fermé deux réacteurs nucléaires alors qu’il faut se passer du gaz Russe. On va encore ouvrir une nouvelle centrale à charbon et booster les antiquités existante brulant le lignite, un charbon de mauvaise qualité très polluant.

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