Dimanche soir, certains médias électroniques (dont L’Hebdo online) reprenaient une dépêche de l’ATS annonçant que L’expérience Blocher, le film consacré par Jean-Stéphane Bron au tribun zurichois, faisait un flop en Suisse alémanique – tout en soulignant qu’on ne savait encore rien de sa fréquentation en Suisse romande. C’est vrai, en effet, le film ne trouve pas vraiment son public au delà de la Sarine… En tout cas pas celui que l’on aurait pu espérer. Ce qui me fait réagir, dans la nouvelle, n’est pas tant son contenu. Mais sa propre existence. Car en annonçant ainsi le relatif échec du film pile au moment de sa sortie en salle en Romandie, on flingue, volontairement ou non, une partie de son public ici… Loin de moi l’idée de nier une vérité. Mais jusqu’à présent l’ATS n’avait pas pour habitude de faire des dépêches sur l’échec, ou le succès, d’un film suisse… Qui plus est un documentaire !
C’est qu’il y a un certain malaise qui règne autour de ce film, depuis le début, avant même sa présentation en première sur la Piazza Grande de Locarno, cet été. Et les médias ont grandement participé à amplifier ce malaise : celui de faire un film sur l’homme le plus détesté par une majorité d’Helvètes. Les députés qui ont tempêtés sur le soutien public au film ont amplifié le malaise. Et aujourd’hui, face au film, le malaise persiste. Mais il n’est plus là où l’on pense.
Une partie du public ne va pas voir le film car il refuse de payer pour regarder Blocher. Une autre, de l’autre bord politique, n’y ira pas non plus pour ne pas voir un cinéaste supposé «de gauche» ternir l’image du grand leader. Enfin, il y a ceux qui ont vu le film et en sont sortis troublés, mal à l’aise, et donc n’ont pas encouragé un bouche à oreille positif à l’égard du film. Car L’expérience Blocher dérange. Bien plus qu’un film sur Blocher, il nous confronte à nos propres choix, à nos votations, à notre attitude. On ne l’a pas vu venir, Blocher. Et pourtant en vingt ans il a radicalement changé son propre parti, l’attitude des autres partis, notre manière de faire de la politique et de nous penser à l’égard du monde. Châtelain maudit perché sur son éperon rocheux, il rêve d’une Suisse idyllique (celle de Anker) que nous n’avons peut-être pas renié, qui est au fond de nous, que nous avons peur de perdre.
Je l’ai déjà écrit ici et je le rappelle. Ce film est une œuvre à la fois sincère et remarquable, le fruit de l’intelligence et de la sensibilité d’un de nos meilleurs cinéastes. Comme Richard Dindo ou Niklaus Meienberg avant lui, il a mis la caméra là où ça fait mal, au plus profond de notre inconscient. Certes, voir L’expérience Blocher nous confronte à nos fantômes, ce qui n’est guère rassurant. Il faut avoir du courage pour les voir et pour les accepter. Il faut aimer les films d’horreur… et la vérité. Mais c’est aussi à cela que sert le cinéma.