Jusqu’à dimanche, à Lyon, le Festival Lumière illumine la ville des frères du même nom, festival voulu par le directeur de l’Institut Lumière (et accessoirement patron du Festival de Cannes), Thierry Frémaux, dévolu entièrement au cinéma de patrimoine. En quelques éditions, ce festival est devenu incontournable, que ce soit pour le public qui goûte les délices d’une ville envahie par les films d’hier et d’avant-hier, et pour les professionnels qui profite d’un lieu de rencontre idéal et, depuis cette année, d’un Marché du film de patrimoine, où l’on montre, vend et achète des films restaurés, numérisés, sauvés, ressortis de l’oubli.
Mais laissons Lyon dérouler ses fastes et ses (nombreuses) stars (Quentin Tarantino sera cette fois l’invité d’honneur, entouré par Harvey Keitel, Tim Roth, Uma Thurman, Michael Cimino, Alain Cavalier, Fatih Akin, Luc Dardenne et plein d’autres) pour nous attarder un instant sur les festivals plus proches de nous. Car il faut bien l’avouer, depuis le retour de Locarno (où le festival s’est achevé le 17 août) j’ai l’impression que la Suisse toute entière – et la Romande en particulier – passe son temps au cinéma. Entre le Festival du film français d’Helvétie de Bienne, le festival d’animation Fantoche à Baden et le Zürich Film Festival qui vient de s’achever, il y en avait déjà pour tous les goûts en Suisse alémanique. Mais passée la Sarine, il y en a… Tout le temps. Déjà passés, le Festival du Film Africain à Lausanne, Animatou à Genève… et le dernier né, à Genève et Lausanne, le Festival Kino consacré aux films venus de Russie et environs. A suivre cette semaine le Lausanne Underground Film Festival, et puis demain le Festival Tous écrans à Genève (du 31 octobre au 7 novembre), le Ciné Festival à Prilly et Lausanne (du 6 au 10 novembre), Filmar in America Latina à Genève (du 15 novembre au 1er décembre), sans compter la Fête du Cinéma à Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds (du 1er au 3 novembre), la Nuit du court à Lausanne (le 22 novembre). Suivront Soleure pour les films suisses, Genève pour les droits humains, Fribourg pour le cinéma d’ailleurs, Winterthour pour les courts, Nyon pour les documentaires, Genève pour les films orientaux, Neuchâtel pour le fantastique… Bref : le cinéphile moyen pourrait y passer sa vie, sans jamais s’arrêter.
Malgré le nombre, ces festivals ne désemplissent pas. Et pourtant, la fréquentation au cinéma tend à baisser en Suisse. Pourquoi ? Dans le bourdonnement continu d’informations que nous recevons, le rythme classique des sorties hebdomadaires du mercredi tient de la routine. Parfois, quelques sorties exceptionnelles font le buzz, comme La vie d’Adèle aujourd’hui, le nouvel opus du Hobbit demain. Ce qu’un Festival propose, c’est un événement. Une condensation de sensations. Un moment unique, thématisé, une atmosphère, un sentiment de groupe. La promesse qu’on y verra des œuvres exceptionnelles, qu’on aurait pas pu voir ailleurs.
Pour revenir à Lyon, justement, le problème majeur du festival était de trouver un moyen d’intéresser le public à ce «vieux» cinéma. Le Festival a évidemment inventé son prix Lumière décerné à un cinéaste en activité, comme Clint Eastwood, Stanley Donen ou cette année Tarantino. Le Festival a évidemment fait venir les auteurs et acteurs des films présentés lorsqu’ils étaient encore vivants. Mais pour les autres ? Les Ford, Dreyer ou Griffith qui n’ont plus personne pour les représenter ? Thierry Frémaux a eu une excellente idée à cet égard : inviter des acteurs et cinéastes d’aujourd’hui pour présenter leurs films de chevet, ces films anciens qui les ont marqué, qui les ont poussé vers le cinéma. Et ça marche. Les salles sont bondées du matin au soir.
Alors ? Va-t-on vers un cinéma qui n’existerait que pour les Festivals ? Faudrait-il que l’on repense la manière de présenter des films dans les salles ? Y a-t-il une autre manière d’attirer le public ? Ou est-ce que les écrans multiples dont nous disposons tout le temps représentent la réponse à la diffusion du cinéma de demain ? Ces questions sont évidemment présentes à l’esprit de tous les programmateurs et responsables de salle, qui n’ont pour l’instant pas encore trouvé les réponses à ces questions. Le débat est ouvert. On y reviendra.