Venise 70: Une histoire à trou

Depuis mercredi dernier se déroule au Lido de Venise la 70ème édition du plus ancien festival de cinéma du monde. Fondé par le régime fasciste, tout comme Cinecittà, ce fleuron de l’Italie cinématographique a traversé toutes les époque pour atteindre aujourd’hui toujours aussi formidable et formidablement chaotique, à l’image de ses infrastructures qui datent, elles aussi, du temps du Duce.

A l’occasion du 70ème anniversaire de la «Mostra internazionale d’Arte cinematografica della Biennale di Venezia» (car tel est son vrai nom), le festival a collaboré avec l’Istituto Luce pour présenter, tous les jours, des fragments du Ciné-journal italien qui racontent la belle histoire de cette manifestation, ses stars, ses films, ses lieux. La plage, l’Hôtel Excelsior et son débarcadère où arrivent encore aujourd’hui les bateaux rapides chargés de vedettes, le mythique Hôtel des Bains (aujourd’hui en rénovation), et enfin le Palais du festival. Ce Palais, toujours le même depuis les débuts de la manifestation, se trouve à côté du Casino, bâtiment massif et lourdement décoré qui abrite maintenant 3 salles (dont 2 petites toutes nouvelles) et de nombreux services. Entouré par un parc, ce complexe festivalier voulu par l’Italie fasciste s’est encore étendu au fil des ans, avec une arène à ciel ouvert derrière le palais, transformée ensuite en salle de cinéma de plusieurs milliers de place. Le parc a été peu a peu occupé par des constructions provisoires, afin d’élargir les espaces de la manifestation.

Le Palais du Festival, dont la façade a été relookée pour mieux cacher son âge, est le symbole de ces liftings successifs que le directeur actuel, Alberto Barbera, peine à transformer en une vraie transformation. Car avant même son arrivée, du temps de Marco Müller, les édiles de la manifestation avaient annoncé à grands cris la création d’un nouveau palais du cinéma (après une première tentative avortée quelques années auparavant). On a fait un concours d’architecture, on a posé la première pierre le 28 août 2008 et démarré le chantier, en arrachant les 132 arbres du parc devant le casino et en creusant un grand, un très grand trou. Mais au fond du trou, on a trouvé à la fois les ruines d’un fortin autrichien et des tonnes d’amiante. Ce lieu avait été longtemps une décharge de produits toxiques, recouverte un jour pour y créer un parc. Il paraît que les produits toxiques ainsi recouverts s’infiltraient dans le sol pour rejoindre la plage, plage où se baignent, encore aujourd’hui, des milliers de plaisanciers. Mais ceci est une autre histoire.

Plusieurs édiles liés à cette construction ont fini en prison pour malversations diverses. Le chantier s’est arrêté. Les italiens parlent aujourd’hui de Palabuco (Palatrou) pour décrire cet espace hallucinant qui assassine littéralement l’espace vital du festival.

Car aujourd’hui, 5 ans plus tard, le trou est recouvert de plastique et fait comme un trou (blanc ? noir ?) ceinturé de palissades au milieu des infrastructures du festival, celui-ci devant s’adapter à le contourner et le cacher de mille manières pour survivre quand même, alors que tous les professionnels de la professions s’en vont très vite à Toronto – ou ne passent parfois même plus par la case Italie avant de se rendre au très grand, très professionnel, très industriel et un peu froid festival canadien.

Avec les films de Philip Gröning, Xavier Dolan, Amos Gitai, Philippe Garrel, Hayao Myazaki ou Terry Gilliam, Venise 70 démontre avoir – en terme de programme – une extraordinaire vitalité. Mais les films doivent s’affirmer sur les écrans en fermant un œil sur ce paysage tristement révélateur du peu de cas que l’Italie a fait de la culture ces dernières années.

PS: Quel autre festival international de cinéma a des problèmes chroniques d'infrastructure depuis plus de 30 ans, alors qu'on lui promet depuis autant de temps un palais du cinéma toujours plus beau, toujours plus grand? Cherchez du côté du Tessin et vous trouverez.

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.