Les feux du 1er août

Les feux du 1er août (1)

Comme j’allais, enfant, toujours en vacances en Italie pendant les congés scolaire, je n’ai que très rarement vécu la fête nationale de l’intérieur. Ce qui est arrivé, quelques fois, c’est que je suis revenu d’Italie justement le 1er août, en train, en passant le Simplon. Et au moment de déboucher du tunnel, à la tombée de la nuit, je voyais partout ces feux allumés sur les collines, sur les versants du Valais, comme si le pays était devenu fou… C’était à la fois magique et inquiétant ; j’avais l’impression que la Suisse s’était embrasée, et que j’allais y rester. Car j’étais resté traumatisé à la fois par l’incendie d’un chalet proche de celui de ma tante, aux Diablerets, et par les feux de forêt sur la côte ligure qui étaient descendus très près de nous. J’ai mis du temps à comprendre ce que signifiaient ces feux, et encore aujourd’hui, quand le bûcher s’embrase pour célébrer la fête nationale, je nourris encore une certaine appréhension…

Les feux du 1er août (2)

J’ai deux amis qui sont nés le 1er août. L’un, Argentin, n’est venu en Suisse qu’à l’âge adulte, et a découvert avec surprise que le pays tout entier s’embrasait le jour de son anniversaire. L’autre, Suisse, est née ici. Et pendant sa prime enfance, elle était convaincue que tous ces feux, tous ce fracas n’était là que pour elle, pour son propre anniversaire. Le principe de réalité auquel elle a du se confronter par la suite a sans doute été douloureux. Mais grâce à cela, je n’oublie jamais leurs anniversaires. Et à chaque feux d’artifice qui se déclenche le 1er août, je ne pense pas à la Suisse. Je pense à eux.

Les feux du 1er août (3)

Par la suite, lors de mon passage à Locarno, j’ai eu l’occasion d’y vivre quelques fêtes nationales et même – c’est un comble – d’y prononcer le discours officiel sur la Piazza Grande (devant des drapeaux, mais au fond de la place, face à un public nettement plus clairsemé que durant le Festival). Et là, j’étais triste. Parce que les feux et feux d’artifices étaient interdits pour cause de sécheresse. La fête perdait de cette dimension païenne qui la rend si populaire, à la fois simple et directe. Je crois que j’aime bien le 1er août. Parce que cette fête a un je ne sais quoi de modeste et de chaotique qui nous ressemble bien, à nous les Suisse. Elle est tellement fédérale (il y a des feux partout, des pétards partout) et tellement retenue : Allez du côté de Valence (en Espagne) pour voir ce que sont vraiment feux d’artifices et pétards ; de quoi y laisser une main et y perdre ses tympans. C’est bien nous, ça. On fait des beaux feux. Mais il y a toujours un pompier qui reste à côté. On ne sait jamais.

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.