L’Europe vote, la Suisse subit

L’élection du Parlement européen éclaire de manière particulièrement crue l’inexistence de la Suisse sur son propre continent. D’un côté, les peuples de vingt-huit pays composent librement l’assemblée qui est devenue décisive dans la conduite de l’Union. De l’autre, les citoyens suisses n’ont pas voix au chapitre, tout en dépendant fortement des politiques européennes.

Elu au suffrage universel direct, le Parlement européen n’a cessé de voir son pouvoir grandir. En 2007, le Traité de Lisbonne lui a donné quarante compétences nouvelles. Aujourd’hui, les décisions des eurodéputés sont incontournables dans la gestion de notre continent. De plus, pour la première fois, les résultats du 25 mai seront déterminants pour le choix de la Présidence de la Commission.

Face à ce développement démocratique, les Suisses n’ont qu’une réponse: une peur constante de s’associer aux processus de décisions européens, mais désormais aussi la peur de leurs propres décisions à l’intérieur.

Avoir le moins de liens possibles avec l’UE, ne rien savoir de ce qui s’y passe, n’envoyer aucun représentant dans ses instances, cette crainte permanente de Bruxelles conduit finalement à la soumission. En fait, les relations entre la Suisse et l’Europe sont affaires de diplomates et d’experts. A eux d’inventer les bricolages juridiques qui permettront d’entretenir la méfiance sans être trop pénalisé.

A l’intérieur aussi, la peur s’est installée. Longtemps, elle s’est focalisée sur l’UDC. Pour le Conseil fédéral et les partis, la moindre démarche politique était jugée à l’aune de ses éventuelles réactions.

Aujourd’hui, plus grave, la peur du gouvernement et de nombres d’élus s’est étendue au peuple tout entier, perçu comme définitivement inféodé à l’UDC. Comment ne pas lui donner l’impression de modifier le vote du 9 février, tout en le corrigeant? Comment ne jamais lui parler d’Europe, tout en l’incitant à l’accepter? Comment prétendre qu’il a toujours raison, tout en sachant qu’il s’est trompé sur l’immigration? Comment lui dire que ses décisions sont la force du pays, tout en redoutant la prochaine?

Quand la peur devient celle de la vérité, alors commence la vraie soumission, qui détruit la liberté et jusqu’au sentiment d’exister.

François Cherix

Spécialisé dans la communication politique, François Cherix travaille depuis des années sur la réforme du modèle suisse, l'organisation de l'espace romand, la question européenne, les liens entre politique et médias. Essayiste, il a publié plusieurs ouvrages et de nombreuses analyses. Socialiste, il a été membre de l'Assemblée constituante vaudoise et député au Grand conseil. Aujourd'hui, il est co-président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes).