Le populisme, méthode de captation du pouvoir et prémisse de l’autoritarisme

L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats Unis constitue un choc pour les démocraties. Couronnement d’une campagne mensongère, haineuse, misogyne, nationaliste, raciste, elle contribue à rendre le monde plus dangereux, tant par les décisions politiques qu’elle laisse craindre que par les effets de contagion qu’elle est susceptible de produire.

Certes, cette victoire est le résultat d’une somme de facteurs différents, dont certains sont spécifiquement américains. De plus, elle repose sur des problématiques économiques et sociales précises. Mais par ailleurs, elle s’inscrit aussi dans une chaîne d’événements qui voient les leaders et les fantasmes qualifiés de populistes triompher.

Mais quelle est la vraie nature du populisme ? Est-ce une simple expression à la mode ou un mécanisme politique précis ? Pourquoi ce phénomène majeur est-il source de malentendus ? Quelles sont ses fonctionnements, ses effets, ses dangers ? Comment le comprendre et le combattre ?

Si ce débat vous intéresse, la note de synthèse ci-dessous vous propose quelques repères dans ce champ d’interrogations…

 

Le retour du Parlement

Lucide, la Commission des institutions politiques du Conseil national vient de jeter une première pelletée de terre sur le cercueil de l’initiative contre l’immigration de masse. En bref, la Commission propose des mesures favorisant l’emploi indigène, qui respectent la libre circulation des personnes et, par conséquent, ne mettent pas en danger les accords signés avec l’Union européenne. Tous les partis se sont retrouvés sur cette ligne raisonnable, sauf l’UDC qui se voit marginalisée.

En fait, ce choix n’est guère surprenant. En 2014 déjà, il était clair qu’une application stricte de l’article constitutionnel adopté entraînerait la chute des accords bilatéraux. De même, il est apparu rapidement que la Suisse n’obtiendrait jamais l’ouverture de négociation sur le principe de la libre circulation des personnes, quelle que soit l’habileté des diplomates chargés de séduire l’Union.

De surcroît, cette solution n’est pas choquante. De facto, elle intègre la volonté populaire. A plusieurs reprises, des sondages ont montré qu’entre l’introduction de contingents et la sauvegarde des accords bilatéraux, les citoyens suisses préféraient la deuxième option. Autrement dit, l’initiative a passé la rampe parce que l’UDC a menti en prétendant qu’elle ne menaçait en rien nos relations avec l’Europe. Si un texte honnête précisant que les mesures proposées impliquaient la dénonciation préalable de l’accord sur la libre circulation des personnes avait été soumis aux urnes, il aurait été refusé.

D’ailleurs, si l’UDC estime que la solution préconisée par la Commission ne respecte pas la volonté populaire, elle a la possibilité de lancer un référendum. Nul doute qu’elle perdrait en votation, les citoyens préférant une solution modérée à un clash avec l’Union ou à une prolongation de l’incertitude actuelle. Le même phénomène se produirait de manière plus nette encore avec une nouvelle initiative détruisant explicitement la libre circulation des personnes.

En réalité, la dimension spectaculaire de la décision de la Commission des institutions politiques tient à sa capacité de trancher le nœud gordien par une décision sans ambiguïté. En protégeant explicitement les accords européens, le Parlement est en train d’oser des choix nets pour sortir la Suisse de l’impasse dans laquelle elle s’est fourvoyée.

Ni l’UDC qui ne se soucie jamais de résoudre les problèmes qu’elle provoque, ni le Conseil fédéral qui a volontairement disparu des écrans radar sur la question européenne, ni l’expertocratie qui s’est perdue dans des astuces juridiques sans contenu politique, ni l’économie qui rêvait d’une grande alliance bourgeoise intégrant une UDC devenue miraculeusement fiable n’ont été en situation de déclencher une sortie de crise.

Dans un régime qui porte aux nues la démocratie directe, cette action salutaire du Parlement mérite d’être soulignée. Sans sa prise de responsabilité, la guérilla populiste contre l’UE pourrait se prolonger sans fin et sans profit.

Le 28 février 2016, les Suisses ont refusé à près de 60% l’initiative UDC dite de « mise en œuvre ». A-t-on mesuré combien ce score indiquait que le peuple n’entendait pas que les Chambres soient privées de leurs compétences législatives ?

Ce retour du Parlement, qui se manifeste également aujourd’hui dans le dossier européen, lui donnera-t-il un nouvel élan ? Pour oser invalider désormais les initiatives incompréhensibles ou inapplicables ?

L’indécision alimente le dragon populiste

A première vue, la démission de Nigel Farage de la présidence d’UKIP peut surprendre. Pourtant, elle s’inscrit sans hiatus dans la pièce populiste. Celle-ci ne comporte pas un seul acte, mais déploie ses séductions perverses en une dizaine d’étapes.

Comparables, la votation suisse du 9 février 2014 sur l’immigration et le référendum britannique du 23 juin 2016 sur l’appartenance à l’UE montrent les sinuosités du populisme et sa capacité à rebondir. Sa victoire dans les urnes est d’abord un échec, qui peut se transformer en victoire et générer un nouveau cycle de captation du pouvoir, plus violent que le précédent. Cette dramaturgie comprend les phases suivantes.

1) Créant ou saisissant l'opportunité d'une votation européenne, les incendiaires populistes du type Blocher, Johnson ou Farage se déchaînent. Ils font campagne avec des cris d’autant plus efficaces qu’ils s’affranchissent du réel. Ils excitent les passions avec un seul mot d’ordre : ça suffit, le peuple doit reprendre le pouvoir face à l'UE !

2) En fait, ils ne veulent pas gagner. Leur objectif est uniquement de capter le pouvoir par une destruction systématique des partis classiques, gauche et droite confondues.

3) Le vote a lieu. Catastrophe, le peuple a cru les mensonges des populistes. Ils ont gagné! La maison brûle!!

4) Devant les flammes, la panique est générale. Du coup, les populistes commencent par nier leurs actes : mais non, la maison n'a pas brûlé ; la vie continue comme avant. Ainsi, après le 9 février, Blocher affirme que l’UE acceptera de renégocier la libre circulation des personnes. De même, au lendemain du Brexit, Johnson ose dire que rien n’a changé et, plus stupéfiant encore, que la Grande Bretagne va intensifier ses relations avec l’Europe.

5) Mais l'incendie a bel et bien eu lieu. Les dégâts commencent à se voir. En Suisse, l’accès aux programmes de recherche européens est suspendu. Au Royaume Uni, la monnaie et la bourse s’effondrent. Aussitôt, les incendiaires fuient comme des criminels et se dégagent des responsabilités. Blocher quitte le Parlement. Johnson sort de la course au poste de Premier ministre. Farage démissionne.

6) Dans un premier temps, les populistes quittent honteusement la scène. On peut les croire au tapis. Simultanément, les politiciens classiques, vilipendés durant la campagne, doivent se débrouiller. Pour ne pas ajouter de la crise à la crise, ils se gardent d'appliquer la décision populaire. Aujourd’hui, l’article 121a de la Constitution n'est toujours pas appliqué. En Grande Bretagne, personne ne veut actionner l'article 50 du Traité de l’Union Européenne.

7) Effrayé par les conséquences matérielles de sa décision, le peuple se fait à l'idée qu'il ne faut pas l'appliquer. En Suisse, plusieurs sondages montrent que les citoyens préfèrent maintenir les accords bilatéraux plutôt que d'appliquer les dispositions contre l’immigration. En Grande Bretagne, des incertitudes croissantes et une crise politique profonde vont faire grandir le désir d’une forme de statu quo.

8) Les Etats qui ont cru s'affirmer en faisant un bras d'honneur à l'Europe se retrouvent toujours aussi dépendants, mais avec moins d’influence et des difficultés en plus. Concrètement, la mise en place d’un nouveau type de relations avec l’UE paraît impossible. Dès lors, l’idée s’installe que tout est de sa faute : c’est elle qui est à la source du conflit ; c’est elle qui ne sait pas résoudre les crises ; c’est elle qui ne respecte pas la démocratie ! Les incendiaires sont oubliés. Les votants sont exonérés de leur responsabilité. L’Europe, victime de l’agression populiste devient le bourreau.

9) C’est là qu’interviennent les dernières opportunités d’éviter une nouvelle montée du populisme. Deux options sont possibles. Soit la décision prise en votation est corrigée d’une manière ou d’une autre ; on ose dire à l’opinion qu’elle constituait une erreur, qui peut être atténuée par un nouveau scrutin. Soit elle est appliquée sérieusement, avec des conséquences négatives ; mais le pays apprend en vraie grandeur ce qu'il en coûte de suivre les incendiaires. Dans les deux cas, il devient alors imaginable de stabiliser peu à peu la scène politique et de reconstruire des projets sensés. La spirale populiste est brisée.

10) Mais si l'indécision perdure, si le pays s’égare dans un marécage technico-juridique visant à faire semblant de suivre la décision prise dans les urnes tout en la contournant, alors le retour triomphal des populistes est programmé. Un jour ou l’autre, ils réoccuperont la scène publique en criant : voyez la misère actuelle ; ni les élites, ni les Européens n'ont été capables de trouver des solutions respectant la volonté du peuple ; ce sont tous des salauds, qu’il est temps d’anéantir ! Un nouveau cycle s'amorcera, plus dangereux que le précédent.

Deux postulats se laissent déduire de cette dramaturgie en dix actes.

Premièrement, demander aux peuples de trancher leurs destin par oui ou par non n’augmente pas leur pouvoir, mais les inféode au contraire aux hasards de l’histoire ou aux experts. La démocratie, ce n’est pas devoir effectuer un choix brutal, sans pouvoir le nuancer, dont nul ne peut décrire les conséquences, au terme d’une campagne qui s’apparente au délire collectif. Autrement dit, la démocratie directe est totalement inadéquate pour résoudre des questions existentielles.

Deuxièmement, l’inaction des pouvoirs en place est le carburant des incendiaires. Le dragon populiste ne peut être asphyxié que sur le terrain sec et dur d’un réel délimité par des choix nets et courageux. Oublier l’animal dans le marécage de l’indécision, c’est le laisser prospérer à l’écart, pour y enfanter des monstres encore plus redoutables, qui reviendront dévorer un jour les attentistes sidérés.

 

Le Royaume Uni, nouveau membre passif de l’UE ?

Réponse aux élucubrations de la Ligue vaudoise et aux ricanements satisfaits des europhobes

Menteurs, cyniques, irresponsables, les incendiaires populistes Johnson & Farage ont mis le feu à la Maison européenne. Toxiques pour les économies, les incertitudes et les indicateurs alarmants se multiplient. Sans doute, la facture de la fracture sera lourde, pour les Britanniques, mais aussi pour l’ensemble du continent.  Demain, les Européens, Suisses inclus et toutes catégories sociales confondues, risquent d’affronter de nouvelles difficultés en matière de revenus et d’emplois.

Toutefois, ces futures épreuves ne troublent guère M. Olivier Delacrétaz, président de la Ligue vaudoise, qui s’est réjoui du Brexit dans l’édition de 24 Heures du 28 juin. Peu surprenante, cette position s’inscrit dans une traçabilité historique qu’il convient de rappeler. Comment espérer la moindre empathie pour les peuples d’une Ligue qui a propagé un antisémitisme virulent durant la Seconde guerre mondiale, tout en admirant le projet nazi ?

Idéologue peu soucieux des faits, M. Delacrétaz soutient que nos entreprises ont fondé leur succès sur un refus bénéfique du projet européen. Péremptoire, il affirme donc que la sortie de l’UE sera pour la Grande-Bretagne aussi féconde que le fut pour la Suisse le rejet de l’EEE. Hélas, même une europhobie primaire n’autorise pas un tel travestissement de la réalité.

Faut-il le rappeler, au lendemain du 6 décembre 1992, les Suisses se sont précipités à Bruxelles pour obtenir l’accès au marché européen, qu’ils venaient pourtant de refuser. "Oubliez ce vote, ce n’est qu’un accident, nous sommes avec vous, nous sommes Européens, nous voulons bénéficier du grand marché", tels furent les demandes pressantes de Confédérés affolés à l’idée d’être marginalisés. Confiante dans un Conseil fédéral qui présentait la Suisse en future adhérente, l’Union a accepté d’ouvrir des négociations, qui ont abouti dix ans plus tard aux accords bilatéraux 1. Or, ce n’est qu’à ce moment là que notre économie a retrouvé de l’oxygène et que sa croissance en panne a redémarré !

D’autres accords ont suivi, contribuant au succès d’une Suisse qui a repris 80% de l’EEE. Sa réussite ne tient donc pas qu’à ses vertus, mais aussi à son intégration effective dans un projet stimulant. Non seulement la Suisse n’est pas hors du dispositif européen, mais de surcroît elle en tire bénéfice! Sans vouloir toujours le reconnaître, les citoyens en sont d’ailleurs conscients. C’est si vrai que la majorité d’entre eux craignent que les accords bilatéraux soient détruits et préfèrent leur maintien à l’application de l’article constitutionnel contre l’immigration.

Des phénomènes similaires tourmentent les Anglais. Effrayés par les conséquences de leur victoire, les brexiters prétendent soudain que rien ne va changer. Angoissés par les dégâts que causera une sortie de l’UE, les dirigeants en place n’osent pas la déclencher. Certes, l’avenir reste obscur. Toutefois, il est probable que la Grande Bretagne, nation marchande par excellence, veuille conserver un libre accès au marché européen. Pour ce faire et faute de pouvoir espérer une solution « à la carte », elle devra maintenir les principes fondateurs de l’Union, en particulier celui de la libre circulation des personnes, cause de sa rupture. Dès lors, elle se retrouvera dans une situation à la Suisse ou à la Norvégienne, contrainte de reprendre l’essentiel du droit européen sans pouvoir participer son élaboration.

Au final, le vote que les europhobes interprètent aujourd’hui comme un acte de fierté souveraine n’aura été qu’un abaissement du Royaume Uni au rang de membre passif de l’UE.

Un Président fantôme au Forum des 100

Chaque année le Forum des 100 nous offre de belles découvertes, avec son lot de surprises et de déceptions. Vivants, ces contrastes font le charme d’une polyphonie qui mélange les grands notables et les précurseurs iconoclastes.

Cette diversité permet d’apprécier la singularité d’orateurs aux styles parfois très éloignés. Mais elle suscite aussi de cruelles comparaisons. Sur ce plan, l’édition 2016 a mit en lumière le gouffre conceptuel qui sépare l’ancien Premier ministre français François Fillon, candidat à la présidence de la République, de l’actuel Président de la Confédération, Johann Schneider-Ammann.

Laissons de côté la forme, tant la pauvreté du verbe présidentiel fédéral reste incomparable, tant en allemand qu’en français d’ailleurs. Oublions aussi les clichés, qui font semblant de penser. Sans surprise, François Fillon n’a pas évité quelques postures gaulliennes plus rhétoriques que signifiantes. Prévisible, Johann Schneider-Ammann nous a servi l’éternelle métaphore du tunnel alpin censé démontrer l’ouverture de la Suisse, alors qu’elle s’est au contraire bétonnée dans une europhobie massive. En fait, c’est sur leur projet que les divergences sont révélatrices, d’autant plus que les deux politiciens appartiennent à la même famille idéologique.

Après avoir rappelé qu’il souhaitait redresser la France, François Fillon donne sa vision de l’avenir européen, fondée sur la conviction que se battre ensemble vaut mieux que d’agir seul. « L’intérêt national commande d’être européen » affirme-t-il, tout en ajoutant que cette exigence ne doit pas être remplie à n’importe quel prix. Dès lors, évoquant les carences actuelles de l’UE, il énumère son programme. Renforcer la zone euro en lui donnant un directoire politique, encadrer cet organe par les élus pour lui assurer une assise démocratique, harmoniser les politiques économiques, mais aussi budgétaires, fiscales et sociales, doter ce plan d’un calendrier, tels sont les points saillants de sa démarche.

Certes, le projet de l’ancien Premier ministre sonne très français et son caractère jacobin peut éveiller la critique. Toutefois, on doit le reconnaître, il se tourne hardiment vers demain, appelant à l’action, au moyen de la puissance publique, dans le cadre d’un renforcement du projet européen. De manière diamétralement opposée, le Président de la Confédération convoque des idées passéistes, basées sur le laisser-faire, excluant l’intervention de l’Etat, au service d’une Suisse absente de la construction européenne.

En substance, Johann Schneider-Ammann développe les thèses suivantes. La Suisse veut rester souveraine. Or, pour être souveraine, elle doit être riche. Autrement dit, tant qu’elle est riche, elle ne sera jamais contrainte d’adhérer à l’UE, objectif existentiel. Mais pour que sa richesse perdure, condition impérative, l’Etat doit intervenir le moins possible.

Stérile, cette réduction du destin fédéral aux avoirs en caisse rappelle les fantasmes des années soixante. « Mondial au plan économique, local au plan politique », tel était l’objectif d’une Confédération pensée comme une entreprise sans autre finalité que matérielle. Son Président actuel n’a pas quitté cette représentation. A l’entendre, la Suisse n’est pas un Etat, mais une somme de conditions-cadre utiles à l’économie et au confort de ses habitants. Et quand il parle d’ouverture, de souplesse, de combativité, il pense bien sûr aux marchés existants ou à conquérir.

Hélas, le temps où les Suisses pouvaient conduire leurs affaires sans se soucier de celles du monde est terminé. La chute du secret bancaire, la crise ouverte avec l’Europe, le fardeau du franc fort, la fin d’une croissance illimitée des exportations, autant de mutations qui appellent des réponses politiques et un Etat proactif. De même, la globalisation n’implique pas le retrait de la puissance publique, mais à l’inverse son engagement lucide et vigoureux.

Dans un Forum des 100 qui arpentait la notion complexe de nouvelles frontières, Johann Schneider-Amann parut figé sur des vieux territoires. En décalage avec les propos interrogeant l’avenir, le brave patron paternaliste de Schweiz AG donna l’image d’un Président fantôme d’une Confédération purement marchande disparue dans les brumes des Trente glorieuses.

Grave, cet aveuglement de Johann Schneider-Amann illustre la faiblesse collective d’un Conseil fédéral centré sur la gestion des comptes courants. Dangereuse, cette aboulie politique constitue non pas un atout mais un risque pour l’économie suisse qu’elle croit servir. Contagieuse, cette négation de toute prospective incite les citoyens à voir dans l’immobilisme social et le retrait du politique les meilleurs instruments pour affronter les défis à venir.

 

Réponse à Olivier Meuwly : l’immobilisme, risque majeur pour la Suisse

Réagissant à mon interview parue dans L’Hebdo à l’occasion de la sortie aux Editions Slatkine de mon dernier livre, Qui sauvera la Suisse du populisme ?, Olivier Meuwly livre un commentaire précieux, tant il met en évidence certains malentendus structurant l’opinion. En particulier, son appréciation repose sur différents postulats qui ont l’apparence de constats sérieux, mais ressemblent fortement à des préjugés dès qu’on les interroge.

Regarder le populisme en face

Péremptoire, Olivier Meuwly aimerait expulser le terme de populisme du vocabulaire politique contemporain, sous prétexte qu’il couvre des notions incertaines. Malheureusement, un tel ostracisme n’éliminerait pas un phénomène dont les diverses déclinaisons ne le rendent pas moins réel, ni moins dangereux. Aisément repérable, la mobilisation d’un « peuple victime » peint comme pur, propre, juste et innocent contre des « élites illégitimes » présentées comme veules, brutales et corrompues empoisonne nos sociétés en perte de repères.

A l’évidence, cette instrumentalisation de citoyens déboussolés peut être pratiquée autant par la gauche que par la droite. Naturellement, cette attaque systématique des institutions menace toutes les démocraties. Faut-il pour autant renoncer à nommer le populisme et à discuter les facteurs qui encouragent son succès ? Comment comprendre que la future Présidente du Parti libéral radical, Petra Gössi, soutienne l’initiative prônant la suprématie du droit suisse sur le droit international, si ce n’est en admettant la forte hégémonie de la pensée populiste sur la scène politique suisse, en raison d’une lente colonisation des esprits ?

Défendre le Parlement

Reconnaissant que les dysfonctionnements de la démocratie directe ne sont pas négligeables, Olivier Meuwly milite en faveur d’un référendum obligatoire sur les lois concrétisant les normes constitutionnelles résultant de l’approbation des initiatives populaires.

Etrange amélioration ! Son partisan voit-il combien elle s’inscrit dans une forme de grammaire populiste ? Comment mieux signifier en effet que la décision du peuple prime sur le travail de ses élus ? Pourquoi priver le Parlement de ses dernières marges de manœuvre en soumettant aux urnes son interprétation de la Constitution même quand nul ne la conteste ? Quelles chances auront encore les Chambres d’élaborer des consensus subtils, sachant qu’une inéluctable campagne de votation fera bientôt résonner le tambour des idéologies et les fanfares médiatiques ?

Servir la Suisse

Rappelant ma fonction de coprésident du Nomes, Olivier Meuwly voit dans mon examen des institutions suisses et dans mes propositions de réforme la volonté d’adapter la Suisse à l’Union européenne, finalité première de mon analyse. En fait, on découvre là un réflexe pavlovien de nos concitoyens. Aujourd’hui, être suisse, c’est se différencier de l’Europe. Donc, approche contrapuntique, oser modifier si peu que ce soit la Confédération, c’est idéaliser l’Union et vouloir s’en se rapprocher.

Or, rien n’est plus faux ! Ce ne sont pas les réformes qui inciteront la Suisse à intégrer la dimension politique du projet européen, mais les dures lois de la nécessité. Un jour, la Suisse se résoudra à l’adhésion parce qu’elle n’aura plus d’autre choix pour éviter sa marginalisation.

Par contre, les effets pervers d’une démocratie directe qui s’exerce sans garde-fous nuisent au pays, quel que soit son destin. Les votations aux enjeux incompréhensibles, les initiatives parfaitement inapplicables, les législations délirantes, les errances pathétiques d’un Conseil fédéral obligé de dire tout et son contraire pour sauver la face d’un système désemparé, ces accidents institutionnels répétés affaiblissent notre démocratie. Dans cette optique, penser une Suisse rénovée, c’est la servir, ici et maintenant, loin de toute vision européenne.

Interroger la démocratie

Reste un postulat central invoqué par mon contradicteur et très répandu dans l’opinion. La multiplication des initiatives populaires permettrait au moins aux Suisses de conduire des débats salubres, gages d’une meilleure cohésion sociale. Certes, la Suisse est riche, mais est-elle vraiment pacifiée, au clair sur ses choix après avoir débattu de manière constructive ?

Des scrutins réguliers sur le thème des étrangers n’empêchent pas les citoyens d’être fortement divisés sur les problématiques de l’asile ou de l’immigration, travaillés par des pulsions xénophobes qui ne cessent d’être réactivées par de nouvelles initiatives. Et sur le thème européen, malgré des votations répétées, nul n’est en mesure de dire ce que veut réellement le peuple, ni quelle direction prend le pays. Son avenir sur son propre continent est devenu si obscur que les élus n’osent plus l’évoquer.

Sont-ce là des succès ou des échecs ? Où est la sérénité d’une société dont le premier parti est un mouvement populiste, souverainiste, aux accents d’extrême droite ? Quel privilège a le peuple quand il doit se prononcer sur des propositions baroques ou ambigües, dont personne n’est en mesure de lui décrire les effets ? En réalité, il convient d’interroger sans tabou la valeur démocratique d’instruments tels que le droit d’initiative constitutionnelle ou le référendum, non pour les réduire à néant, mais pour améliorer leur fonctionnement. Malheureusement, sur ce plan, le débat s’arrête où il devrait commencer.

Combattre la vitrification

Membre éminent des Radicaux vaudois, Olivier Meuwly est un conservateur éclairé. Dans ce sens, il devrait saluer les démarches réformistes, seules stratégies susceptibles de conserver l’essentiel. Historien, il sait que la vitrification des structures entraîne souvent leur implosion. Demain, la démocratie suisse devra trouver de nouveaux fonctionnements dans une société numérique, où le débat politique est désormais inféodé au déferlement continu des émotions brutes et des images simplistes. Face à cette exigence, le risque majeur serait d’opter pour l’immobilisme.

 

 

Pour gérer son destin européen, la Suisse compte sur l’année du singe

L’année du Singe vient de débuter en Chine. Elle annonce douze mois de grande incertitude. Grimaçante ou joyeuse, effrayante ou drôle, elle est porteuse du pire et du meilleur. Nul ne sait sous quelle forme le Singe va se manifester : un ouistiti rieur ou un gorille menaçant ? En 2016, il convient donc de renoncer aux planifications et de s’en remettre aux circonstances.

C’est donc une année suisse par excellence ! Depuis toujours, la Confédération peine à développer des visions stratégiques. Aujourd’hui, incapable de se déterminer, elle a abandonné la gestion de son destin européen aux événements extérieurs.

Dans cet esprit, certains médias ont accueilli avec des cris de joie l’octroi d’un « frein d’urgence » à David Cameron. Voilà la bonne nouvelle tant attendue, se sont-ils exclamés ; après avoir fait des concessions aux Britanniques, l’UE n’aura d’autre choix que de se montrer accommodante avec la Suisse, ont-ils ajouté. Une fois de plus, des circonstances extérieures favorables semblaient servir le pays de l’indécision. Particulièrement révélateur, cet enthousiasme met en lumière une série d’illusions.

Premièrement, rien ne dit que les nouvelles venues de Londres soient bonnes. D’une part, le premier ministre anglais n’a pas demandé des restrictions à la libre circulation des personnes, mais au tourisme social. D’autre part, un pays tiers ne saurait obtenir des conditions plus favorables qu’un membre de l’Union. Enfin, David Cameron est en négociation avec Bruxelles, quand la Confédération s’est mise en rupture de contrat. Les discussions visant à empêcher le Brexit pourraient donc aussi bien fixer des limites que tracer des ouvertures.

Deuxièmement, La Suisse tente d’arracher aux Européens une clause de sauvegarde en matière de libre circulation des personnes. Or, ce faisant, elle se bat pour obtenir un cadeau dont la valeur politique est égale à zéro ! En effet, l’UE ne saurait envisager un tel mécanisme qu’en cas de situation socio-économique grave. Autrement dit, si par miracle une forme d’accord devait intervenir, son contenu forcément minimum serait aussitôt qualifié de dérisoire par les nationalistes. En clair, une solution intégrant les Européens ne pourra jamais être une application sérieuse de l’article constitutionnel adopté le 9 février 2014. Par conséquent, le Conseil fédéral travaille depuis deux ans sur une fiction politique, qui ne résoudra rien au plan intérieur.

Troisièmement, en espérant que des astuces sans valeur vienne la tirer d’embarras, la Suisse renonce à s’interroger. Or des questions brûlantes sont ouvertes. Que faut-il respecter en priorité, l’art. 121a Cst. ou les accords avec l’UE ? Que souhaitent réellement les citoyens, interrompre ou poursuivre l’intégration européenne ? Avec qui préfère composer le Conseil fédéral, les populistes ou les Européens ? Quel rôle une Suisse située au cœur de l’Union veut-elle jouer demain, celui d’un Etat tiers, d’un membre passif copiant les normes européennes ou d’un membre actif disposant de droits politiques ?

Ecartelé, le Conseil fédéral imagine simultanément introduire une clause de sauvegarde unilatérale et reprendre la ratification de l’extension de la libre circulation des personnes à la Croatie ; au parlement et à l’UE de se débrouiller avec ces signaux opposés. Divisés, les partis souhaitent attendre sans prendre de risque ; aux événements de préciser les chemins possibles. Lassés, les citoyens veulent tout, être dedans et dehors de l’UE ; aux élus de se débrouiller avec leurs aspirations contradictoires.

Selon la tradition chinoise, l’année du Singe est celle de l’irrationnel, où mieux vaut ne rien décider. Convertie à l’orientalisme, la Suisse abuse de cette croyance. Elle semble oublier que l’imprévu pourrait aussi briser d’un coup ses relations extérieures, tout en jetant ses institutions dans le chaos.

Se choisir un destin, adopter un cap, définir des stratégies, affronter ses démons, combattre le populisme, n’est-ce pas finalement plus satisfaisant et plus sûr que de s’en remettre à l’horoscope ?

La punition Parmelin

Par paresse, le Parlement n’a jamais réformé l’élection au Conseil fédéral pour lui donner un semblant de cohérence programmatique. Construction arithmétique, le Collège n’est plus qu’une somme aléatoire de personnalités aux objectifs divergents. Par lâcheté, les Suisses n’osent pas affronter l’UDC, ni même ouvrir les yeux sur les dangers qu’elle représente. Désormais renforcée, l’influence croissante au sommet de l’Etat d’un mouvement populiste, souverainiste, europhobe et xénophobe est considérée comme « un retour à la normale ».

Les fautes d’une société suisse, riche matériellement mais d’une grande pauvreté morale, se payeront cash. Une première addition est présentée aujourd’hui. En effet, il convient de l’admettre, l’élection de Guy Parmelin constitue une véritable punition collective.

Punition d’abord pour les leaders de l’UDC, qui voulaient impérativement placer le tranchant Thomas Aeschi au pouvoir. Croyant assurer l’élection de leur champion en l’encadrant de troisièmes couteaux, ils sont tombés dans leur propre piège. Aujourd’hui, ils doivent se contenter de voir l’un de leurs éléments les plus ternes entrer au Conseil fédéral. Combien de temps, d'ailleurs, le supporteront-ils avant de critiquer sa mollesse ?

Punition également pour les Romands, tristement « représentés » par un UDC, qui a travaillé contre leurs intérêts, en contribuant au sabotage des accords avec l’Union européenne. Les voilà censés se réjouir de l’accession au Conseil fédéral d’un troisième francophone, alors que celui-ci doit sa couronne aux idées nationalistes qui leur nuisent le plus.

Punition particulièrement amère pour les Vaudois, qui comptent des politiciens professionnels de très haut niveau et doivent fêter un sympathique amateur. Une fois de plus, le canton est renvoyé à sa caricature. Le cliché insupportable du Vaudois terrien convivial, gentil, opportuniste, peu dangereux parce que peu compétent, est à nouveau projeté sur l’écran fédéral.

Mais punition, surtout, pour le pays tout entier, qui doit affronter des défis importants et devrait pouvoir compter sur ses meilleurs serviteurs. Or, perdre Mme Widmer-Schlumpf, femme d’Etat de niveau international, pour se replier sur un député dont la discrétion a fait son succès n’est guère rassurant.

En réalité, le Conseiller fédéral Parmelin dispose d’un seul atout, non négligeable. Nul n’attend quoi que ce soit de sa magistrature. Tous espèrent que les hauts fonctionnaires guideront son action et l’aideront à ne pas commettre d’erreurs. Si le système fonctionne convenablement, le prochain grand événement du règne de M. Parmelin sera donc son départ.

Voit-on ce que signifie ce phénomène, certes crûment résumé ? Il indique que l’arithmétique ne peut pas présider à la composition pertinente d’un vrai gouvernement. Parce que l’accession d’un second UDC au Conseil fédéral a été considérée comme une règle de droit divin, le Parlement n’a eu d’autre choix que d’élire le plus effacé, pour préserver l’intérêt général. La pâleur des ministres sert désormais de compensation à la force qui oppose les populistes aux partis classiques. Comme le char de l’Etat est tiré par des hommes regardant dans des directions diamétralement opposées, on y attelle les serviteurs les moins vigoureux, pour limiter les ruptures et les dégâts sociétaux.

Autrement dit, la majorité des représentants du peuple aimerait peut-être bien ne pas confier le pouvoir à l'UDC, mais, dans la culture politique actuelle, elle n'ose l'écarter. Dès lors quelle autre solution, si ce n'est l'affaiblir? Et que peut faire la gauche, à part éviter l'arrivée des pires au pouvoir?

Corollaire de ce premier constat, alors que l’Europe traverse des turbulences historiques qui réclament des visionnaires, la Suisse s’accommode de voir son Conseil fédéral sombrer doucement dans l’insignifiance. Au fond, à la décharge de M. Parmelin, les attentes à l’égard de ses six autres collègues sont également modérées. Qui attend encore une solution à la question européenne de M. Burkhalter ou de Mme Sommaruga ? Qui espère un projet socio-économique de M. Schneider-Amann ? Qui compte sur les visions géopolitiques de M. Maurer ?

Parce que les votations sont devenues la quintessence de la démocratie suisse, le Conseil fédéral s’efface peu à peu du débat politique. Or, demain, c’est son réveil qu’il faut souhaiter! C’est sa capacité retrouvée à confronter les citoyens aux réalités du 21ème siècle qui peut contribuer à sortir la Suisse du marécage populiste.

 

La violence rappelle que les Suisses sont des citoyens européens

L’horreur rend dérisoires des questions que le confort laisse croire essentielles. Au vu des attentats de Paris, le tourment de la Suisse qui se demande chaque jour par quelle astuce juridique elle pourra rester hors de l’Union européenne tout en profitant de son marché et de sa protection devient pitoyable.

Aujourd’hui, la seule frontière pertinente pour les citoyens de notre contient est celle qui sépare la liberté de la terreur, la justice de la violence, le respect de la haine. Ni la sécurité, ni la démocratie ne peuvent être préservées par des Etats isolés, cloisonnés, enfermés dans leur nationalisme respectif. La défense de nos valeurs et de nos modes de vie dépend des coopérations à l’échelon européen.

Nous, Suisses, depuis la nuit des temps, nous sommes faits des problématiques et des cultures qui nous entourent. Nos langues, nos histoires, nos vies, nos peurs, nos ambitions, nos politiques, nos faiblesses, nos richesses sont profondément intriquées dans celles de nos voisins.

Ainsi, même s’il le nie, chacun d’entre nous est par nature à la fois citoyen suisse et citoyen européen. Jamais l’un sans l’autre, toujours autant l’un que l’autre. Le refus de siéger à Bruxelles ne place pas la Confédération hors de l’Europe, mais dans une situation insensée, qui réduit ses capacités d’influence sans diminuer ses dépendances.

Or, demain, pour défendre nos intérêts face aux problématiques globales du siècle, nous aurons plus que jamais besoin d’être intégrés dans les décisions et les solutions relevant de notre continent.

A dessein, les attentats de Paris ont visé des quartiers libres, légers, rebelles, vivants, curieux, voltairiens, cosmopolites. Ce sont les nôtres, en tant que Suisses et Européens. Et cette double appartenance ne peut être vécue que dans l’Union.

Bienvenue aux banquiers pro-européens !

« Nous allons voter pour des gens qui n’auront pas parlé d’Europe ! » a déploré Patrick Odier, dans Le Matin Dimanche du 27 septembre. Juste, l’indignation du président de l’Association suisse des banquiers interrogé par Ariane Dayer, rédactrice en chef, est légitime. Tristement, la question européenne est la grande absente de la campagne électorale, alors que le destin de la Suisse sur son propre continent se jouera durant la prochaine législature.

Toutefois, cette belle lucidité venant d’une corporation qui a largement contribué au marasme actuel ne manque pas de piquant. Pendant des années, les banquiers n’ont guère parlé d’Europe, si ce n’est pour la vilipender. Dans leurs analyses, l’intégration constituait souvent une attaque insupportable du secret bancaire, source éternelle de prospérité et fondement identitaire de la Confédération. Sur la place publique, ils célébraient volontiers l’action de l’UDC, tout en fustigeant les partisans de l’ouverture, traitres à la place financière.

Aujourd’hui, les apprentis sorciers qui ont désinhibé les nationalistes ne les contrôlent plus. L’europhobie a passé dans l’ADN citoyen. La Suisse a brisé la libre circulation des personnes en votation. Le naufrage des accords bilatéraux et l’isolement du pays sont devenus des risques réels.

« Nous n’avons pas réussi à faire comprendre à chacun, individuellement, en quoi les relations avec l’Union européenne sont un avantage dans sa vie quotidienne » ajoute Patrick Odier. Exact, cette pédagogie devient une priorité absolue pour avoir une chance d’éviter l’isolement lors d’une prochaine votation. Bienvenue aux banquiers sur un vaste chantier sociétal, que les pro-européens n’ont jamais délaissé, malgré les critiques et leur manque de moyens.

Autrement dit, il est impératif de reconstruire un discours clair et audible, qui valorise sans ambiguïté le projet européen. Le vieux truc du Conseil fédéral consistant à demander aux citoyens de dire « oui à un accord limité » pour mieux dire « non à une Europe menaçante » ne fonctionne plus. Cette tactique perverse n’a servi qu’à nourrir un ressentiment, dont le 9 février 2014 a montré l’ampleur.

Ultime précision, le nouvel élan en faveur de l’intégration européenne ne doit pas se limiter à vouloir « sauver les bilatérales », par une quelconque astuce juridique. Il convient au contraire de promouvoir des relations étroites avec l’Union, qui n’excluent pas à terme une participation politique pleine et entière de la Suisse.

En effet, la relation bilatérale est morte dans sa forme actuelle. L’empilement d’accords sectoriels et statiques n’a plus d’avenir. Nos partenaires ne signeront plus aucune convention sans un nouveau cadre institutionnel transversal, sécurisant de manière globale la reprise et l’interprétation du droit européen.

Conscient que les temps ont changé, le Conseil fédéral a fait d’un tel accord-cadre son nouvel objectif. Mais ce cœur artificiel verra-t-il le jour ? Techniquement, ses mécanismes ont bien des chances de réduire définitivement la Suisse à un membre passif de l’Union. Politiquement, son acceptabilité paraît mince pour des citoyens qui ont déjà mis à mal le statu quo.

Au final, ce fameux accord-cadre risque d’être à la voie bilatérale ce que la stratégie Rubik fut au secret bancaire : une tentative de rappeler à la vie un cadavre, que même une foi ardente ne pouvait matériellement faire sortir du tombeau.

Demain, la Suisse n’aura peut-être plus que le choix entre deux options : l’isolement ou l’adhésion. Un tel dilemme pourrait se présenter, même si l’opinion le craint par dessus tout. Le PLR refuse catégoriquement de l’évoquer, comme si le seul fait de le nommer favorisait son apparition. Il fait de l’accord-cadre le Saint Graal, dont la quête interdit toute autre démarche. Ce credo est d’ailleurs un indice supplémentaire, révélant que la cause est douteuse.

Banquiers, entrepreneurs, intellectuels, artistes, chercheurs, citoyens, associations, partis, de gauche ou de droite, toutes les forces peuvent concourir à lutter contre un isolement de la Suisse devenu un réel danger. Mais rien d’utile ne sera fait, si le discours européen est enfermé dans un juridisme étriqué ou dans l’illusion d’un éternel non-choix. Ces artifices ont forgé l’échec actuel. Leur éradication est un préalable au succès.