Réagissant à mon interview parue dans L’Hebdo à l’occasion de la sortie aux Editions Slatkine de mon dernier livre, Qui sauvera la Suisse du populisme ?, Olivier Meuwly livre un commentaire précieux, tant il met en évidence certains malentendus structurant l’opinion. En particulier, son appréciation repose sur différents postulats qui ont l’apparence de constats sérieux, mais ressemblent fortement à des préjugés dès qu’on les interroge.
Regarder le populisme en face
Péremptoire, Olivier Meuwly aimerait expulser le terme de populisme du vocabulaire politique contemporain, sous prétexte qu’il couvre des notions incertaines. Malheureusement, un tel ostracisme n’éliminerait pas un phénomène dont les diverses déclinaisons ne le rendent pas moins réel, ni moins dangereux. Aisément repérable, la mobilisation d’un « peuple victime » peint comme pur, propre, juste et innocent contre des « élites illégitimes » présentées comme veules, brutales et corrompues empoisonne nos sociétés en perte de repères.
A l’évidence, cette instrumentalisation de citoyens déboussolés peut être pratiquée autant par la gauche que par la droite. Naturellement, cette attaque systématique des institutions menace toutes les démocraties. Faut-il pour autant renoncer à nommer le populisme et à discuter les facteurs qui encouragent son succès ? Comment comprendre que la future Présidente du Parti libéral radical, Petra Gössi, soutienne l’initiative prônant la suprématie du droit suisse sur le droit international, si ce n’est en admettant la forte hégémonie de la pensée populiste sur la scène politique suisse, en raison d’une lente colonisation des esprits ?
Défendre le Parlement
Reconnaissant que les dysfonctionnements de la démocratie directe ne sont pas négligeables, Olivier Meuwly milite en faveur d’un référendum obligatoire sur les lois concrétisant les normes constitutionnelles résultant de l’approbation des initiatives populaires.
Etrange amélioration ! Son partisan voit-il combien elle s’inscrit dans une forme de grammaire populiste ? Comment mieux signifier en effet que la décision du peuple prime sur le travail de ses élus ? Pourquoi priver le Parlement de ses dernières marges de manœuvre en soumettant aux urnes son interprétation de la Constitution même quand nul ne la conteste ? Quelles chances auront encore les Chambres d’élaborer des consensus subtils, sachant qu’une inéluctable campagne de votation fera bientôt résonner le tambour des idéologies et les fanfares médiatiques ?
Servir la Suisse
Rappelant ma fonction de coprésident du Nomes, Olivier Meuwly voit dans mon examen des institutions suisses et dans mes propositions de réforme la volonté d’adapter la Suisse à l’Union européenne, finalité première de mon analyse. En fait, on découvre là un réflexe pavlovien de nos concitoyens. Aujourd’hui, être suisse, c’est se différencier de l’Europe. Donc, approche contrapuntique, oser modifier si peu que ce soit la Confédération, c’est idéaliser l’Union et vouloir s’en se rapprocher.
Or, rien n’est plus faux ! Ce ne sont pas les réformes qui inciteront la Suisse à intégrer la dimension politique du projet européen, mais les dures lois de la nécessité. Un jour, la Suisse se résoudra à l’adhésion parce qu’elle n’aura plus d’autre choix pour éviter sa marginalisation.
Par contre, les effets pervers d’une démocratie directe qui s’exerce sans garde-fous nuisent au pays, quel que soit son destin. Les votations aux enjeux incompréhensibles, les initiatives parfaitement inapplicables, les législations délirantes, les errances pathétiques d’un Conseil fédéral obligé de dire tout et son contraire pour sauver la face d’un système désemparé, ces accidents institutionnels répétés affaiblissent notre démocratie. Dans cette optique, penser une Suisse rénovée, c’est la servir, ici et maintenant, loin de toute vision européenne.
Interroger la démocratie
Reste un postulat central invoqué par mon contradicteur et très répandu dans l’opinion. La multiplication des initiatives populaires permettrait au moins aux Suisses de conduire des débats salubres, gages d’une meilleure cohésion sociale. Certes, la Suisse est riche, mais est-elle vraiment pacifiée, au clair sur ses choix après avoir débattu de manière constructive ?
Des scrutins réguliers sur le thème des étrangers n’empêchent pas les citoyens d’être fortement divisés sur les problématiques de l’asile ou de l’immigration, travaillés par des pulsions xénophobes qui ne cessent d’être réactivées par de nouvelles initiatives. Et sur le thème européen, malgré des votations répétées, nul n’est en mesure de dire ce que veut réellement le peuple, ni quelle direction prend le pays. Son avenir sur son propre continent est devenu si obscur que les élus n’osent plus l’évoquer.
Sont-ce là des succès ou des échecs ? Où est la sérénité d’une société dont le premier parti est un mouvement populiste, souverainiste, aux accents d’extrême droite ? Quel privilège a le peuple quand il doit se prononcer sur des propositions baroques ou ambigües, dont personne n’est en mesure de lui décrire les effets ? En réalité, il convient d’interroger sans tabou la valeur démocratique d’instruments tels que le droit d’initiative constitutionnelle ou le référendum, non pour les réduire à néant, mais pour améliorer leur fonctionnement. Malheureusement, sur ce plan, le débat s’arrête où il devrait commencer.
Combattre la vitrification
Membre éminent des Radicaux vaudois, Olivier Meuwly est un conservateur éclairé. Dans ce sens, il devrait saluer les démarches réformistes, seules stratégies susceptibles de conserver l’essentiel. Historien, il sait que la vitrification des structures entraîne souvent leur implosion. Demain, la démocratie suisse devra trouver de nouveaux fonctionnements dans une société numérique, où le débat politique est désormais inféodé au déferlement continu des émotions brutes et des images simplistes. Face à cette exigence, le risque majeur serait d’opter pour l’immobilisme.