Le Royaume Uni, nouveau membre passif de l’UE ?

Réponse aux élucubrations de la Ligue vaudoise et aux ricanements satisfaits des europhobes

Menteurs, cyniques, irresponsables, les incendiaires populistes Johnson & Farage ont mis le feu à la Maison européenne. Toxiques pour les économies, les incertitudes et les indicateurs alarmants se multiplient. Sans doute, la facture de la fracture sera lourde, pour les Britanniques, mais aussi pour l’ensemble du continent.  Demain, les Européens, Suisses inclus et toutes catégories sociales confondues, risquent d’affronter de nouvelles difficultés en matière de revenus et d’emplois.

Toutefois, ces futures épreuves ne troublent guère M. Olivier Delacrétaz, président de la Ligue vaudoise, qui s’est réjoui du Brexit dans l’édition de 24 Heures du 28 juin. Peu surprenante, cette position s’inscrit dans une traçabilité historique qu’il convient de rappeler. Comment espérer la moindre empathie pour les peuples d’une Ligue qui a propagé un antisémitisme virulent durant la Seconde guerre mondiale, tout en admirant le projet nazi ?

Idéologue peu soucieux des faits, M. Delacrétaz soutient que nos entreprises ont fondé leur succès sur un refus bénéfique du projet européen. Péremptoire, il affirme donc que la sortie de l’UE sera pour la Grande-Bretagne aussi féconde que le fut pour la Suisse le rejet de l’EEE. Hélas, même une europhobie primaire n’autorise pas un tel travestissement de la réalité.

Faut-il le rappeler, au lendemain du 6 décembre 1992, les Suisses se sont précipités à Bruxelles pour obtenir l’accès au marché européen, qu’ils venaient pourtant de refuser. "Oubliez ce vote, ce n’est qu’un accident, nous sommes avec vous, nous sommes Européens, nous voulons bénéficier du grand marché", tels furent les demandes pressantes de Confédérés affolés à l’idée d’être marginalisés. Confiante dans un Conseil fédéral qui présentait la Suisse en future adhérente, l’Union a accepté d’ouvrir des négociations, qui ont abouti dix ans plus tard aux accords bilatéraux 1. Or, ce n’est qu’à ce moment là que notre économie a retrouvé de l’oxygène et que sa croissance en panne a redémarré !

D’autres accords ont suivi, contribuant au succès d’une Suisse qui a repris 80% de l’EEE. Sa réussite ne tient donc pas qu’à ses vertus, mais aussi à son intégration effective dans un projet stimulant. Non seulement la Suisse n’est pas hors du dispositif européen, mais de surcroît elle en tire bénéfice! Sans vouloir toujours le reconnaître, les citoyens en sont d’ailleurs conscients. C’est si vrai que la majorité d’entre eux craignent que les accords bilatéraux soient détruits et préfèrent leur maintien à l’application de l’article constitutionnel contre l’immigration.

Des phénomènes similaires tourmentent les Anglais. Effrayés par les conséquences de leur victoire, les brexiters prétendent soudain que rien ne va changer. Angoissés par les dégâts que causera une sortie de l’UE, les dirigeants en place n’osent pas la déclencher. Certes, l’avenir reste obscur. Toutefois, il est probable que la Grande Bretagne, nation marchande par excellence, veuille conserver un libre accès au marché européen. Pour ce faire et faute de pouvoir espérer une solution « à la carte », elle devra maintenir les principes fondateurs de l’Union, en particulier celui de la libre circulation des personnes, cause de sa rupture. Dès lors, elle se retrouvera dans une situation à la Suisse ou à la Norvégienne, contrainte de reprendre l’essentiel du droit européen sans pouvoir participer son élaboration.

Au final, le vote que les europhobes interprètent aujourd’hui comme un acte de fierté souveraine n’aura été qu’un abaissement du Royaume Uni au rang de membre passif de l’UE.

François Cherix

Spécialisé dans la communication politique, François Cherix travaille depuis des années sur la réforme du modèle suisse, l'organisation de l'espace romand, la question européenne, les liens entre politique et médias. Essayiste, il a publié plusieurs ouvrages et de nombreuses analyses. Socialiste, il a été membre de l'Assemblée constituante vaudoise et député au Grand conseil. Aujourd'hui, il est co-président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes).