Cultiver la gratitude dans les écoles

Dans cet article, je souhaite parler d’une intervention de gratitude que je mène actuellement dans des écoles en Suisse romande :

PROJET GRATITUDE – Promotion de la santé psychique auprès des jeunes de Suisse romande

Il y a les qualités universelles que tout le monde pourrait cultiver (telle la sincérité, le courage, la gratitude, etc.) et puis il y a les forces intrinsèques, les qualités particulières avec lequel chacun d’entre nous est né. La psychologie positive (qui est une discipline scientifique à distinguer de la ‘pensée positive’) étudie cette qualité depuis de nombreuses années et les impacts d’interventions sur le thème de la gratitude en classe ont donné des résultats très satisfaisants.

Qu’est-ce que la gratitude ?

La gratitude est un sentiment de reconnaissance en réponse à un acte de générosité, une amitié, une opportunité, un bienfait, la beauté de la nature, une circonstance propice, une œuvre d’art… C’est un sentiment puissant qui s’éveille à la suite d’une interaction avec une personne, un évènement particulier, avec ce qui incarne la beauté, la bonté ou une vérité profonde. Ressentir de la gratitude, c’est avoir conscience du miracle de la vie, du miracle d’être en vie.

Il n’est pas possible de ressentir de la gratitude et d’être triste ou en colère ; elle est incompatible avec l’égoïsme et l’insatisfaction. Sa présence souveraine apaise nos doutes et nos douleurs et ensoleille notre être tout entier.

Selon Rebecca Shankland : « La gratitude est une émotion agréable que l’on éprouve lorsqu’on reçoit une aide ou un don d’autrui et qu’il s’agit d’un geste intentionnel et désintéressé. »

Quel est l’intérêt de cultiver la gratitude ?

  • Les études dans le champ de la psychologie positive indiquent que cultiver la gratitude diminue significativement la probabilité de présenter une gamme de maladies psychiques telles que la dépression majeure, l’anxiété généralisée, la dépendance à la nicotine et à l’alcool (Wood et al., 2010). Il se trouve que 90 % des jeunes qui se sont suicidés présentaient une maladie psychiatrique (Shain, B., & AAP Committe on adolescence, 2016). En Suisse, le suicide est la seconde cause de mortalité des 15-29 ans. Bien que le taux de suicide ait baissé depuis 2000 (-40,9 %) (OMS, 2012), il reste élevé et les efforts de prévention ont encore tout leur sens.
  • Un sondage a permis de mettre en lumière que 90 % des adolescents et adultes ressentent que l’expression de la gratitude les rend « extrêmement heureux » ou « quelque peu heureux » (Wood et al., 2010).
  • En effet, Jeffrey J. Froh, psychologue scolaire et chercheur spécialisé dans le domaine de la psychologie positive chez les enfants et les adolescents a développé des interventions permettant de promouvoir la gratitude dans les écoles. Les études portant sur ces interventions montrent non seulement une diminution des émotions négatives et des symptômes physiques mais également une augmentation des émotions positives et de l’optimisme des élèves. Les élèvent se sentent aussi plus satisfaits de l’école et de la vie en général (Froh et al., 2008).

Types d’interventions de gratitude à l’école

et leurs impacts respectifs

Les études en milieu scolaire indiquent différentes interventions relatives à l’entrainement de cette qualité humaine fondamentale.

L’une des interventions efficaces est de noter tous les jours trois choses qui se sont bien passées dans la journée et également comment et pourquoi elles se sont produites. Une étude portant sur 600 élèves a comparé un groupe qui écrivait simplement les événements de la journée avec un groupe qui écrivait trois choses qui s’étaient bien passées durant la journée pendant une semaine. Ce dernier groupe était plus heureux après cette semaine et le restait encore trois mois après l’intervention en comparaison avec le 1er groupe (Carter & al., 2018).

Une autre intervention efficace est d’écrire une lettre de gratitude et la remettre à la personne concernée (Lyubomirsky et al., 2011). La lire à haute voix à d’autant plus d’impact.

Une troisième intervention particulièrement efficace est la rédaction d’un journal de gratitude.

Les ouvrages que nous proposons lors de l’intervention offre une structure afin de rédiger ce journal. Une étude portant sur 221 adolescents révèle que des élèves ayant écrit tous les jours dans leur journal de gratitude sur une période de deux semaines étaient plus satisfaits de l’école (même trois semaines après) que les élèves qui ne l’avaient pas fait. En comparaison avec des élèves qui écrivaient à propos de leurs soucis, les élèves cultivant la gratitude ressentaient moins d’émotions négatives, une plus grande satisfaction reliée à la maison et plus d’optimisme (Froh et al., 2008).

Ce type de projet correspond à un réel besoin pour les enfants. En effet, suite à la pandémie, la souffrance des jeunes a été exacerbée et le nombre d’enfants et d’adolescents touchés par les troubles psychiques a beaucoup augmenté. Selon de nombreuses études, le fait de cultiver la gratitude a un impact direct sur les troubles psychiques et le bien-être des jeunes. De plus, les différentes interventions de gratitude montrent que cela un impact sur l’implication des jeunes dans leur apprentissage et leur plaisir d’aller à l’école.

Une erreur commune est de faire un exercice de gratitude en classe et puis simplement de passer à autre chose. Pour que ces qualités soient intégrées, un travail en profondeur est nécessaire. C’est en effet en cultivant intentionnellement et régulièrement cette qualité que ses effets pourront être ressentis tant pour les élèves que pour l’atmosphère générale de l’école.

Témoignage d’une adjointe de direction d’une école :

AD : Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce que vous faites en lien avec la gratitude ?

El : On en parle, on a un livre dans lequel on peut écrire ou lire des textes. Le livre est beau, il y a plein de dessins.

AD : Qui apprécie de travailler ce thème, avec ce livre ?

El : 100% des mains levées

AD : Pourquoi ?

El 1 : A la fin du livre, on peut écrire librement sur des choses qui nous ont fait du bien. Il y a plein de petits espaces, on peut choisir où écrire et ce qu’on veut dire. Le prof nous fait écrire la date pour qu’on se rappelle quand ça s’est passé.

El 2 : Quand j’écris, je me sens bien, je pense à des choses pour lesquelles je veux dire merci et c’est agréable.

El 3 : C’est un moment rien que pour moi. Je me sens bien.

El 4 : Quand j’écris dans le livre, je ne pense pas à autre chose, je suis calme.

El 5 : Moi, des fois, quand je m’embête, je relis ce que j’ai déjà écrit et ça me rappelle de bons souvenirs auxquels je ne pense plus.

El 6 : On n’a pas l’habitude de repenser aux choses pour lesquelles on peut être reconnaissant. Avoir des moments dans la semaine pour le faire nous permet d’y repenser.

El 7 : J’ai aimé lister les animaux que j’apprécie ou les personnes qui m’entourent et que j’admire.

Fabrice Dini

Fabrice Dini est cofondateur de deux écoles et l’auteur d’un ouvrage préfacé par Matthieu Ricard "Une éducation intégrale pour grandir en s'épanouissant". Il intervient dans de nombreuses écoles et entreprises en Suisse romande. Fabrice s’est formé au CFM de l’Université du Massachusetts et enseigne la pleine conscience, la gestion du stress et l'éducation intégrale.

5 réponses à “Cultiver la gratitude dans les écoles

  1. C’est une excellente idée. J’avais fait ce type d’exercices, de démarche personnelle (même si mon blog porte sur un autre thème) et ça marche vraiment. La démarche que j’avais faite consistait à trouver toujours le point positif d’un événement. Elle m’a permis de faire des meilleurs choix.
    L’année passée, 40% d’adolescents américains étaient déprimés. Je ne sais pas s’ils sont gâtés, empoisonnés par la malbouffe, pressentent le climat ou autre chose. Les jeunes d’aujourd’hui pourraient vraiment apprendre la gratitude d’avoir à manger, se reconnecter à leurs besoins vitaux.

  2. Cela dit les jeunes suisses semblent surtout éduqués par commentaires négatifs, du style ” vous n’êtes pas assez bons”. Cela crée peut-être des automatismes de pensée.

  3. La psychologie positive n’a rien de nouveau. Certains de ses principes remontent aux conceptions d’Aristote d’une nature humaine bonne et basée sur les vertus. Elle emprunte beaucoup aux pionniers de la psychologie humaniste et à son fondateur Abraham Maslow. De plus, des emprunts à d’autres disciplines de la psychologie sont régulièrement faits en matière de thérapie. Par exemple, James Coynes dans un article qu’il publie sur le blog PLOS, critique une récente méta-analyse menée par des psychologues positivistes (Sin and Lyubomirsky) qui incluent la “mindfulness” parmi les techniques thérapeutiques. Or la “mindfulness” (Pleine Conscience, méthode de ingestion du stress par des techniques de relaxation inspirées des techniques de imitation orientales, cf. Jon Kabat-Zinn et Pleine Conscience) a été développée et étudiée bien avant 1998, année de fondation officielle de la psychologie positive lors du
    congrès annuel de l’Association américaine de psychologie par son président de l’époque, Martin E. P. Seligman .

    J. Coynes ajoute que la même remarque vaut pour d’autres techniques comme “life review therapy”, la “forgiveness therapy” ou encore la thérapie cognitive contre la dépression de Aaron Beck : ces thérapies n’ont pas été créées par les psychologues positivistes mais ils se les réapproprient (James Coynes, PhD, “Article PLOS blog » (http://coyneoftherealm.com/2014/11/18/failing-grade-highly-cited-meta-analysis-positive-psychology-interventions/), sur coyneoftherealm.com, 18 novembre 2014).

    En tant que discipline, la psychologie positive a développé ses propres associations, journaux, et a bénéficié de ressources financières dépendantes de ses publications et de ses succès. La question de la réappropriation de résultats par d’autres disciplines de la psychologie pose un problème puisqu’elle pourrait permettre à la discipline de s’approprier des fonds qu’il n’est pas prouvé qu’elle mérite.

    Sur le plan de l’efficacité thérapeutique, les sociologues Edgar Cabanas et Eva Illouz, auteurs de “Happycratie : Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies”, écrivent:

    “Le bonheur se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait : telle est l’idée à laquelle la
    psychologie positive prétend conférer une légitimité scientifique. Il suffirait d’écouter les experts et d’appliquer leurs techniques pour devenir heureux. L’industrie du bonheur, qui brasse des milliards d’euros, affirme ainsi pouvoir façonner les individus en créatures capables de faire obstruction aux sentiments négatifs, de tirer le meilleur parti d’elles-mêmes en contrôlant totalement leurs désirs improductifs et leurs pensées défaitistes.

    Mais n’aurions-nous pas affaire ici à une autre ruse destinée à nous convaincre, encore
    une fois, que la richesse et la pauvreté, le succès et l’échec, la santé et la maladie sont de notre seule responsabilité ?” (Edgar Cabanas et Eva Illouz (trad. de l’anglais), “Happycratie : Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle, 2018).

    “Last but not least”, le fondateur de la discipline, Seligman, a été impliqué dans une controverse concernant ses interactions avec des membres de la CIA pratiquant la torture. Il aurait collaboré à partir de 2001 avec l’administration américaine de Georges W. Bush et aurait reçu un contrat financier pour sa collaboration en 2002. Dans la mesure où il a passé une grande partie de sa carrière à étudier comment les animaux et les humains peuvent résister (ou non) à diverses situations qui engendrent la détresse, le désespoir, le renoncement à la lutte pour la survie, et la dépression (le “learned helplessness” en anglais, ou Impuissance apprise : la perte de la volonté qui résulte d’une exposition prolongée à une situation tragique et qui semble sans issue), ses découvertes peuvent en effet être utilisées à des fins malveillantes. On a ainsi reproché à Seligman, le fait que ses résultats pouvaient aider des militaires à améliorer les méthodes de torture visant à détruire psychologiquement les prisonniers de guerre en augmentant leur détresse et leur désespoir. Cette controverse fit grand bruit dans la presse américaine (Maria Konnikova, “Trying to Cure Depression, but Inspiring Torture”, The New Yorker, 14 janvier 2015 – http://www.newyorker.com/science/maria-konnikova/theory-psychology-justified-torture); James Risen, “American Psychological Association Bolstered C.I.A. Torture Program, Report Says”, The New York Times, 30 avril 2015 – https://www.nytimes.com/2015/05/01/us/report-says-american-psychological-association-collaborated-on-torture-justification.html); “Psychologist Martin Seligman awarded $31 million no-bid Army contract” – http://ahrp.org/feb-2010-psychologist-martin-seligman-awarded-31-million-no-bid-army-contract/), sur AHRP).

    L’association américaine de psychologie (APA) fut alors critiquée pour son absence de politique suffisamment sévère. Tandis qu’en 2006, l’association américaine de psychiatrie puis celle de médecine interdisaient à leurs membres toute participation au programme gouvernemental impliquant la torture, une telle interdiction n’arriva qu’en 2012 à l’APA.

    La psychologie positive est-elle alors une science ou un autre placebo à seule fin de faire tourner l’usine capitaliste?

    “Au fond, l’école n’enseigne qu’un vilain jeu de commerce; jeu de banque, jeu de bourse…” – Edmond Gilliard, “L’école contre la vie”, Bibliothèque romande, Lausanne, 1973

    1. Merci pour votre commentaire.
      Il n’y a aucun doute que les concepts comme la pleine conscience, la gratitude, les forces de caractère ne sont pas nouveaux.
      Nous pouvons essayer de dessiner un futur plus harmonieux, pour cela nous pouvons aussi puiser dans la sagesse passée de l’humanité.

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