Les controverses scientifiques sont les moteurs de la recherche, mais elles sèment parfois la confusion. La question des liens entre environnement naturel et conflits violents en est un bon exemple récent. Ainsi en 2015 une équipe de recherche publiait dans les Proceedings of the [American] National Academy of Sciences une étude intitulée « Climate change in the Fertile Crescent and implications of the recent Syrian drought » qui connut un succès médiatique majeur.
Son argument central était qu’en Syrie, la sécheresse aurait, dès 2007, poussé les populations rurales vers les villes, aggravé la concurrence pour les ressources et exacerbé les tensions communautaires. Les révoltes de 2011, puis la guerre civile en seraient les conséquences, de même que la crise migratoire de 2015.
L’étude fut relayée dans le New-York Times et, comme beaucoup d’autres, le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker s’en fit l’écho en déclarant dans son discours sur l’état de l’UE de 2015 que le changement climatique était « l’une des causes profondes d’un nouveau phénomène migratoire ».
En 2017 cependant, un autre groupe de recherche publia une critique acerbe de cette thèse dans Political Geography sous le titre « Climate Change and the Syrian Civil War Revisited ». Ils y affirmaient qu’il n’existe aucune démonstration probante selon laquelle la sécheresse aurait causé la guerre civile syrienne avec notamment l’argument que les régions plus touchées par la sécheresse n’ont pas été celles où les révoltes ont pris naissance. S’ensuivit un dialogue de sourds entre les deux équipes qui peut être suivi ici et qui laissa les observateurs perplexes.
Une nouvelle publication vient heureusement de montrer il y a quelques semaines que si la science louvoie parfois, elle progresse quand on lui en laisse le temps. Dans une étude plus exhaustive que les deux premières publiée dans la revue Global Environmental Change, une troisième équipe passe en revue l’ensemble des connaissances et croise les données de migration, de climat et de conflits pour 157 pays. Il en ressort que le climat joue bel et bien un rôle dans certains conflits et dans les déplacements de réfugiés qui en découlent, mais que ce rôle reste modeste et largement conditionné par d’autres variables économiques et politiques.
Sans l’oppression politique du régime, la guerre n’aurait pas eu lieu en Syrie, avec ou sans sécheresse.
Ces études sur une éventuelle corrélation entre la guerre en Syrie et la sécheresse depuis 2007 sont totalement fantaisistes à mon avis. Un incident (graffitis hostiles au régime par des enfants) avait dégénéré dans une ville et les islamistes et leurs financiers arabes ont profité pour allumer la mèche. Ceux qui sont partis de la Syrie avaient tout simplement peur pour leurs vies.
La dernière phrase est de vous? Ou tirée de l’étude ?
Je n’arrive à en saisir la source.
La dernière phrase n’est pas tirée de l’une des études mais résume la conclusion centrale valable dans différents contexte: les conflits sont les produits de facteurs multiples, parmi lesquels la dimension politique joue un rôle prépondérant.
Si je vous comprends bien, vous soutenez qu’un demandeur d’asile qui quitte p. ex. la région du Sahel (pour des motifs que nos décideurs considèrent généralement comme une conséquence de la sécheresse, ce qui conduit à sa qualification de migrant économique non éligible à l’asile) est en réalité un réfugié politique car (seule) la dimension politique joue véritablement un rôle prépondérant dans son départ (qui en devient forcé)…
J’avais déjà entendu ce discours au sujet des femmes battues.
Une femme battue qui demande l’asile en Suisse n’est pas une migrante mais une réfugiée politique car c’est l’Etat qui tolère cette violence et elle est donc victime de violence étatique. Et elle a donc droit au regroupement familial car la Suisse, contrairement à son Etat d’origine, est susceptible de la protéger contre son époux qui n’est pas son agresseur (mais une personne abusée par un système étatique patriarcal et qui changerait de comportement en Suisse).
En d’autres termes, vous n’avez pas le sentiment que, pour vous, toute personne qui demande l’asile en Suisse a droit à la reconnaissance de sa qualité de réfugié, car le simple fait qu’elle a quitté son pays d’origine est la preuve qu’elle est victime d’un système (politique) étatique qui n’a pas su lui offrir des conditions suffisantes pour rester sur place ??
Je crois que vous êtes (très) minortaire si vous défendez effectivement cette vision des motifs de migration…
En tout cas, quand je lis la dernière étude citée, je constate:
Très instructive votre communication. Si j’ai bien compris le message, l’analyse de ces 3 groupes de chercheurs viennent quelque sorte confirmer les conclusions de Jared Diamond résumées dans son excellent livre « Effondrement ».
Il y a en effet des analogies avec les travaux du géographe Jared Diamond. Certains lui reprochent de mettre trop l’accent sur les déterminants environementaux mais dans l’ouvrage que vous mentionnez il insiste bien sur la multicausalité.
Au lieu de chercher des coupables (multiples) comme dans tous les conflits, il serait intéressant d’avoir des chercheurs qui se préoccupent, non pas des causes, mais du résultat du conflit en terme de durabilité.
Destruction des écosystèmes, faune, flore, émissions de CO2 et autres délicatesses à effet de serre, pollution des eaux, etc.
D’avoir le coût d’une guerre au point de vue de la durabilité, permettrait, non point sans doute d’en éviter, mais de montrer un paramètre de plus de ces absurdités.
Le bilan humain, lui, et sans statistique est catastrophique, secret de polichinelle, de la destruction des populations elles-même, jusqu’aux migrations qui implosent les pays voisins et l’Europe elle-même.
Merci pour cette analyse !
” […] mais que ce rôle reste modeste et largement conditionné par d’autres variables économiques et politiques.”
Exactement ! Certes le paramètre climatique prendra certainement de plus en plus d’importance dans les futurs conflits, mais dans le cas de la Syrie, ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’invoquer ce prétexte.
Pour ma part j’ajouterais la variable religieuse.
Ce ne serait pas la première fois que des changements climatiques conduisent à des bouleversements de civilisations : n’oublions pas que la sécheresse au Sahara a poussé les populations au bord du Nil qui a donné naissance à l’Egypte voilà plus de cinq mille ans !
Et tant d’autres exemples à citer…
Corona Virus a pu arrêté la guerre en Syrie ce qui n’a pas pu être fait par qui que ce soit, malheureusement.