Les époux Frederick et Kimberly Kagan travaillent tous deux pour des think tanks de Washington, l'American Enterprise Institute et l'Institute for the Study of War. Les deux sont considérés comme des faucons néoconservateurs. Ils se sont pourtant portés volontaires pour évoluer "en zone de guerre" aux côtés du général David Petraeus qui était le commandant en chef des forces de la coalition internationale en Afghanistan. Sans toucher le moindre dollar du gouvernement américain.
Cette apparente générosité est troublante quand on se penche de plus près sur ce que les Kagan ont fait pendant près d'un an au quartier général de David Petraeus. Le Washington Post a enquêté. En résumé, ils avaient les accès à des zones ultra-sécurisés, pouvaient participer à des séances sur la stratégie, pouvaient lire des rapports des renseignements remplis d'informations classifiées. Les hauts responsables de la Maison-Blanche et du Pentagone n'étaient pas au courant de l'étendue des accès accordés aux Kagan. Aujourd'hui, des avocats de l'armée analysent ce qui s'est vraiment passé.
En Afghanistan, les Kagan n'avaient pas à suivre une procédure particulière pour accéder à Petraeus. Ils pouvaient lui poser directement leurs questions. Ils ne figuraient nulle part dans l'organigramme de la chaîne de commandement et des officiers sur place s'en sont étonnés. D'autres ont salué le travail qu'ils accomplissaient sept jours sur sept et parfois 18 heures par jour. Au fil du temps, les Kagan ont même eu droit à des places de travail dans le bureau du Strategic Initiatives Group, le groupe de réflexion interne au commandement. David Petraeus s'est chargé de changer leur badge de sécurité pour le faire passer de "secret" à "top secret/information sensible compartimentée", le plus haut niveau connu au sein du gouvernement américain. Cela leur a permis d'accéder au "pit", le Centre hautement sécurisé des opérations conjointes de renseignements. Ils y ont pu lire des transcriptions de conversations téléphoniques ou radio de talibans enregistrées par l'Agence américaine de sécurité nationale. Un colonel américain sur place l'avoue: "Les Kagan ont fait un excellent travail. (…), mais la situation était très très étrange. Ce n'est pas ainsi qu'on gère un QG."
Frederick et Kimberly Kagan ont beaucoup écrit sur les questions de sécurité nationale. Universitaires peu connus diplômés de Yale et de West Point, ils sont devenus de vrais amis de David Petraeus. Mais leur aventure afghane pose de nombreuses questions. Ainsi, grâce à cette proximité, Kimberly Kagan a pu attirer des sociétés de sécurité privées qui financent l'Institute for the Study of War. Le Washington Post se demande par ailleurs si David Petraeus, que le patron de Fox News aurait bien aimé inciter à se lancer dans la course à la Maison-Blanche pour les républicains, n'a pas profité de la présence des Kagan pour accroître le soutien à sa stratégie militaire auprès des responsables républicains du Congrès.
Quand le président Barack Obama commença à parler de réduire la présence américaine en Afghanistan, David Petraeus a accentué les attaques des bastions d'insurgés. Les Kagan appelaient une telle stratégie de leurs voeux et se sont mis à analyser le réseau Haqqani supposé être soutenu par les services de renseignements pakistanais. Pour eux, ils fallaient attaquer ce réseau. Ils partagèrent leurs vues avec des officiers de terrain qui s'étonnèrent de cette attitude. "Cela créa une grande confusion", releva l'un d'eux, ne sachant plus si les Kagan parlaient en leur nom ou au nom de Petraeus.
Aujourd'hui, l'accès privilégié qu'a eu Paula Broadwell au général Petraeus pour écrire une biographie, paraît mineure en comparaison des Kagan. Sur les chaînes de télévison américaines, certains commentateurs se demandent si David Petraeus a joué franc jeu. Ils s'interrogent sur sa loyauté envers le président Barack Obama quand il était encore commandant en chef en Afghanistan. Maintenant qu'il a démissionné de son poste de patron de la CIA cet automne, l'enquête du WP prend un relief tout particulier.
Voici les explications de l'enquêteur du Washington Post: