Occupied : le prix de la liberté

 Si le pays était envahi, vous engageriez-vous dans la résistance ? Après avoir provoqué un incident diplomatique avec la Russie, la série norvégienne revient pour une deuxième saison encore plus saisissante de réalisme. Un choc de conscience, à voir absolument.

Genre : thriller politique d’anticipation

Si vous avez aimé : Colony, House of Cards, Borgen

Bande-annonce : saison 1, saison 1 fr, saison 2

L’histoire : dans un futur proche, le premier ministre norvégien annonce l’abandon de l’exploitation des hydrocarbures au profit d’énergies alternatives. Une décision que n’approuve pas l’Union européenne, qui contraint le gouvernement à relancer sa production sous contrôle militaire russe. En quelques heures, le pays est secrètement mis sous tutelle. Sans bruits de bottes, la Russie étend son emprise, mettant politiques et citoyens face à un dilemme : s’accommoder d’une occupation étrangère qui perturbe peu le quotidien ou défendre ses libertés fondamentales au risque de sa vie ?

Diffusion et accès : RTS Un (S02), Arte (S02 dès 15 février, S02 disponible en ligne, S01-02 en VOD), DVD (S01-2)

« Vous avez intérêt à choisir le bon camp dans la marche de l’Histoire. » 

Genèse d’un incident diplomatique
Lorsque Jo Nesbø débute en 2008 la rédaction du script d’une série d’anticipation mettant en scène l’occupation de son pays par la Russie, l’auteur de polar est loin de se douter que le projet provoquera un incident diplomatique.

Fin février 2014, alors que le tournage de la série vient de débuter, les troupes russes se déploient en Crimée. Une crise qui débouchera sur l’annexion de la péninsule ukrainienne par la fédération de Russie, intervention que Moscou n’a jamais officiellement admise.

Au début du tournage de la série éclate la crise de Crimée. © Reuters

Sans surprise, la diffusion de la saison 1 en octobre 2015 provoque un grave incident diplomatique, les similarités (involontaires) du scénario avec la crise de Crimée étant pour le moins troublantes. Phénomène en Norvège, où elle suscite un engouement national, la série cristallise les craintes de l’expansionnisme russe, les deux nations partageant 200 km de frontière et un contentieux latent.

Une réalité historique passée sous silence
Rattrapé par l’actualité, Jo Nesbø ne cache pas qu’il souhaitait avant tout initier une réflexion sur l’action individuelle en cas de guerre, mettant en lumière une réalité que les livres d’histoire préfèrent passer sous silence, sept décennies après l’occupation de la Norvège par le Troisième Reich.

« Tout le monde aime raconter comment sa famille écoutait la radio libre cachée dans son grenier (…). Nous avons tendance à oublier que la majorité des gens s’accommodait très bien de l’occupation nazie », rappelle à Télérama l’écrivain qui a appris à 15 ans que son père avait combattu auprès des forces allemandes, alors que sa mère était résistante.

L’occupation par le Troisième Reich, un épisode peu glorieux de l’histoire de la Norvège. © DR

Et vous, résisteriez-vous à l’occupant ?

Afin d’éveiller la conscience collective aux enjeux réels de la résistance, Jo Nesbø a eu l’idée géniale de placer les générations actuelles face aux choix de leurs aînés : que feriez-vous, si votre pays était envahi, mais votre liberté d’action nullement atteinte ? Seriez-vous prêt à risquer votre vie et celle de votre famille pour défendre la souveraineté nationale, l’État de droit ?

 « En 1940, la plupart des Norvégiens ont fait le choix le plus facile : ils se sont adaptés, ils ont courbé l’échine. » Jo Nesbø

Mettant en situation des personnages impactés à tous les niveaux de la société (politiciens, procureure, journaliste, cheffe d’entreprise, agent de sécurité, militaire, pasteur, étudiants), Occupied démontre que la réponse n’est jamais simple. D’autant qu’en période de conflit, la désinformation est la règle. Aux enjeux humains et moraux s’ajoute une vaste méconnaissance de la réalité politique.

Dès lors, la résistance est-elle forcément la clef ? Là aussi, la série n’hésite pas à jeter un pavé dans la mare, dissociant résistance pacifique et résistance armée. Alors que le gouvernement mène en secret des négociations pour éviter un conflit armé, la rébellion multiplie les attentats, permettant à l’occupant d’accroitre son emprise.

« Nous avons le droit de défendre nos intérêts contre tout acte de terrorisme. »

En parallèle, la résistance pacifique atteint très vite ses limites, toute conciliation étant suivie de nouvelles exigences de la Russie. Prêt à tout pour éviter une guerre dont l’issue ne fait aucun doute, le gouvernement perd peu à peu de sa souveraineté, jusqu’à être accusé de collaboration. À raison ?

Faut-il dialoguer avec l’occupant ? © Yellow Bird Norge/Arte

Se gardant bien de distribuer bons et mauvais points, Occupied démontre qu’en cas d’agression par une puissance belligérante, il n’existe pas de solution idéale. Résister ou non ? Collaborer ? La seule réponse est celle que l’on est prêt à assumer, individuellement.

Fragilité de la démocratie
Au-delà de la réflexion individuelle qu’elle suscite, la série questionne la fragilité de nos démocraties. Que peut faire une nation pacifique, respectueuse des droits humains, contre un État prêt à bafouer les conventions internationales pour servir ses intérêts économiques ?

« Sommes-nous prêts à sacrifier des dizaines de milliers de vies ? Je n’ai d’autre choix que celui de céder. » © Yellow Bird Norge/Arte

Méthodiquement, la série autopsie le modèle d’une société aux pieds d’argile et avance un constat déconcertant : parce que la confrontation ne fait pas partie de son A.D.N. et qu’elle n’y est pas préparée, une société démocratique sera toujours désarmée face à l’agression, l’attachement aux droits fondamentaux ne suffisant pas à la protéger.

Un scénario impossible ?
Occupied est-elle pour autant réaliste ? Servie par une mise en scène brillante, la saison 1 déroule un scénario implacable : en quelques mois, la Norvège peut passer d’un État souverain à un pays sous tutelle Russe, avec la complicité de l’Union européenne et sans le soutien des Etats-Unis qui ont quitté l’OTAN. Impossible ?

Occupied imagine une UE déstabilisée par les mesures d’austérité. Irréaliste ? © Yellow Bird Norge/Arte

De multiples points de convergence avec la crise de Crimée (sans doute volontaires dès la saison 2) tendent à démontrer que la Norvège n’est pas à l’abri. Le choix de la voie diplomatique s’est ainsi avéré vain en 2014, lorsque la Russie a engagé des manœuvres militaires aux zones frontalières de l’Ukraine, au prétexte de « mettre à l’épreuve sa capacité d’action. » Une formule reprise mot pour mot dans la saison 2 pour illustrer un incident similaire à la frontière de l’espace aérien norvégien. Malaise.

Enjeux géopolitiques concrets
Mais ce n’est pas tout. Sans l’exprimer nommément, Occupied pointe le conflit latent de la Norvège avec la Russie et les pays signataires du traité de Spitzberg en mer de Barents. Un eldorado pétrolier dont l’exploitation des ressources est l’objet de toutes les convoitises.

Luttant pour sa souveraineté, la Norvège pourrait, dans un futur pas si lointain, se retrouver confrontée point pour point à la situation exposée dans la série. Les intérêts écologiques et humains n’ayant historiquement aucun poids face aux luttes de pouvoir économique.

Toute ressemblance avec des faits réels…
Alors que la première saison – époustouflante – mettait en scène la terrifiante invasion « pacifique » de la Norvège, la saison 2 s’intéresse aux manœuvres politiques et petits arrangements avec la conscience qui prévalent, dès que les personnages sont exposés aux revers de leurs convictions et rattrapés par leur intérêt personnel.

Se refusant à tout manichéisme, Occupied saisit plus que jamais par son réalisme et sa tension permanente. Un choc de conscience moral et politique qu’il est impossible de ne pas transposer au-delà des frontières norvégiennes. En espérant que la réalité ne rejoigne jamais la fiction.

 

Puisque vous êtes là
Coproduite par TV2 et Arte, Occupied est la production norvégienne la plus chère de l’histoire : 90 millions de couronnes (10,5 millions de francs suisses, soit 9 millions d’euros) pour la première saison.

La superproduction est en partie tournée au siège social de Statoil, la plus grande société pétrolière et gazière de Norvège. Le bâtiment, dont l’architecture s’inspire des constructions offshore en acier, a remporté un WAN Award en 2012.

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.