Daniel V. et les vierges effarouchées

L’affaire Vasella se prête à de multiples analyses et réflexions, notamment sous l’angle de la communication. En l’occurrence, c’est la prise de parole des indignés de tous bords qui m’interpelle.

Monsieur Vasella était trop payé? Rien de bien nouveau, on en parlait depuis des années. La filière de la viande importée est opaque et elle cache de graves atteintes à la dignité des animaux? Un thème connu, objet de nombreux reportages insoutenables. Lance Armstrong se dopait? Depuis son accession au firmament du cyclisme, tous les observateurs en parlaient. La faim dans le monde au regard de notre surconsommation effrénée? Une problématique lancinante qui occupe des kyrielles de fonctionnaires internationaux et presque autant d’ONG.

Ces situations sont largement dénoncées mais elles perdurent, comme si l’on s’accommodait mieux du laisser-faire que de l’action résolue. Les raisons de cette passivité sont multiples, enchevêtrées et souvent impénétrables: désintérêt ou ignorance, appât du gain ou avarice, crainte des représailles, ambitions carriéristes ou politiques, pression concurrentielle, égoïsme ou confort, et bien d’autres encore.

Pour Germaine et Marcel, les 72 millions sont la goutte d’eau qui a fait déborder le Vase(lla): il faut que ça cesse! Et voilà que certains s’emparent de cette thématique et jouent les vierges effarouchées, même du côté des anciens amis du patron incriminé. Face à la déferlante vox-populienne, plus personne ne veut soutenir le grand capitaine autrefois admiré. Une interview réalisée par swissinfo en 2003 relevait que Daniel Vasella avait reçu le titre de «Directeur de l’année» pour la troisième fois consécutive, notamment grâce à « sa stratégie, sa vision et un gouvernement d’entreprise viable».

Je ne dis pas qu’il faille défendre Daniel Vasella. Ni Lance Armstrong. Et encore moins tolérer les atrocités commises contre les chevaux ou les drames humanitaires. Mais que dire de ceux qui se positionnent soudain comme les défenseurs de l’éthique et des bonnes pratiques, en attaquant les condamnés qu’ils avaient auparavant protégés ou couverts? Stratégie de communication de situation ou convictions profondes, je vous laisse juger.

Lance Armstrong demeurera à jamais dans le panthéon des pestiférés du sport, aux côtés de Benoïde Johnson et de tant d’autres tricheurs. Les défenseurs des animaux et les croisés de l’humanitaire ont encore de grands défis à relever. Novartis se remettra de cette crise, car il s’agit d’une entreprise solide, globalisée et « leader sur un marché de pointe », comme on dit dans notre jargon de communicants. Quant à Daniel Vasella, il aura l’occasion de s’expliquer, un jour. Les crises passent, les voix se calment, les équilibres et les déséquilibres se reforment.

Face à ces scandales ponctuels ou durables, les entreprises, les politiques et les groupes d’intérêt seraient bien inspirés d’aligner leur stratégie de communication à leurs vraies valeurs, plutôt qu’aux circonstances du moment. Et qu’en est-il de nos motivations, de nos actions et de nos négligences individuelles, face aux dérives de notre temps? Ces questions me paraissent plus pertinentes que les discussions de café de commerce portant sur le capitalisme outrancier, la globalisation incontrôlée ou encore la capitulation du politique face à l’économie.

 

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Réactions des blogueurs de L'Hebdo et édito

Affiche la trouille, ton affiche!

A première vue, vous conviendrez que les analogies sont difficiles à mettre en évidence entre la banque et la muséologie. A l'exception, peut-être, des banquiers philanthropes qui décorent leurs salons feutrés d'oeuvres d'art dénichées par des experts reconnus. Les clients disposant d'une fortune suffisante sont accueillis dans de tels espaces au design soigné, ornés de peintures ou photographies signées de maîtres historiques ou contemporains. Pour Germaine et Marcel, c'est dans des halls lumineux et imposants que s'organise l'accueil. Après avoir retiré un petit billet portant le numéro-sésame, comme à la boucherie du supermarché, ils ont tout le temps de contempler les affiches commerciales élaborées par d'autres maîtres de l'art visuel: les publicitaires.

Et dans ce domaine, chacun semble rivaliser de banalité pour attirer le chaland. Et ses économies. Faites le test: prenez 10 affiches publicitaires d'établissements bancaires, enlevez les logos et essayez de retrouver la banque qui se trouve derrière

1. l'image du sportif adulé,

2. de la famille heureuse devant sa maison fraîchement construite ou de

3. la poignée de mains ferme et honnête liant le conseiller à son client. 

Je parie que vous aurez bien des difficultés à faire le tri. Ah! J'oubliais le petit cochon symbolisant l'enfance (gage de sympathie!) et les économies (j'en parlais plus haut). Et dans le genre, le cochon rouge-orange du Crédit Agricole vantant le taux de 1% gracieusement versé en contre-partie de votre épargne mérite une mention spéciale. Quelle originalité, quelle audace, quelle efficacité sémantique! Et quelle pertinence dans le choix des couleurs, les méchants concurrents arborant un gris parfaitement de saison. Pour rappel, dans un autre domaine, d'aucuns avaient tenté le coup du mouton noir, offusquant immédiatement une large frange de la population helvétique.

A l'opposé, on peut être positivement étonné par le clin d'oeil délicieusement déjanté commis par le Musée cantonal d'archéologie et d'histoire, à Lausanne. On n'attendait pas forcément cette vénérable institution aussi joviale dans son expression publicitaire.

Oser pour suprendre. Etonner pour se démarquer. Se différencier pour espérer séduire. Mais il est vrai qu'un taux de 1%, même présenté de manière déjantée et résolument originale, restera toujours un taux de 1%.

 

PS: oui, je sais, il y a des banques qui communiquent très bien et de manière très originale, bravo à elles! Ce billet visait forcément toutes les autres.

Affiche la trouille, ton affiche!

A première vue, vous conviendrez que les analogies sont difficiles à mettre en évidence entre la banque et la muséologie. A l'exception, peut-être, des banquiers philanthropes qui décorent leurs salons feutrés d'oeuvres d'art dénichées par des experts reconnus. Les clients disposant d'une fortune suffisante sont accueillis dans de tels espaces au design soigné, ornés de peintures ou photographies signées de maîtres historiques ou contemporains. Pour Germaine et Marcel, c'est dans des halls lumineux et imposants que s'organise l'accueil. Après avoir retiré un petit billet portant le numéro-sésame, comme à la boucherie du supermarché, ils ont tout le temps de contempler les affiches commerciales élaborées par d'autres maîtres de l'art visuel: les publicitaires.

Et dans ce domaine, chacun semble rivaliser de banalité pour attirer le chaland. Et ses économies. Faites le test: prenez 10 affiches publicitaires d'établissements bancaires, enlevez les logos et essayez de retrouver la banque qui se trouve derrière

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3. la poignée de mains ferme et honnête liant le conseiller à son client. 

Je parie que vous aurez bien des difficultés à faire le tri. Ah! J'oubliais le petit cochon symbolisant l'enfance (gage de sympathie!) et les économies (j'en parlais plus haut). Et dans le genre, le cochon rouge-orange du Crédit Agricole vantant le taux de 1% gracieusement versé en contre-partie de votre épargne mérite une mention spéciale. Quelle originalité, quelle audace, quelle efficacité sémantique! Et quelle pertinence dans le choix des couleurs, les méchants concurrents arborant un gris parfaitement de saison. Pour rappel, dans un autre domaine, d'aucuns avaient tenté le coup du mouton noir, offusquant immédiatement une large frange de la population helvétique.

A l'opposé, on peut être positivement étonné par le clin d'oeil délicieusement déjanté commis par le Musée cantonal d'archéologie et d'histoire, à Lausanne. On n'attendait pas forcément cette vénérable institution aussi joviale dans son expression publicitaire.

Oser pour suprendre. Etonner pour se démarquer. Se différencier pour espérer séduire. Mais il est vrai qu'un taux de 1%, même présenté de manière déjantée et résolument originale, restera toujours un taux de 1%.

 

PS: oui, je sais, il y a des banques qui communiquent très bien et de manière très originale, bravo à elles! Ce billet visait forcément toutes les autres.

La leçon de communication de Gelson

On a encore en mémoire son but arraché en Afrique du Sud contre l’Espagne, future championne du monde. On se souvient de sa rage de vaincre, infatigable récupérateur de ballons sous les couleurs du FC Constantin. Gelson Fernandes, c’est l’archétype du gagneur à l’accent valaisan, au verbe aussi haut que son menton conquérant. Cap-verdien de naissance, formé à l’école de foot du FC Sion, Gelson Fernandes a connu une carrière internationale mouvementée. Il a tour à tour joué en Angleterre, en France, puis à nouveau en Angleterre avant de rejoindre le Calcio et de rebondir au Portugal. A 26 ans, il est de retour dans son club de cœur, à Tourbillon, avec une envie de gagner intacte et une expérience précieuse.  

Il est également de retour sur les plateaux de la RTS, où on l’a découvert hier soir en duplex lors de la grand-messe sportive dominicale. Souriant et décontracté, arborant un sweater aux couleurs sédunoises, il a immédiatement subi les salves de ses interlocuteurs. Sans échauffement. « Vous n’avez jamais réussi à vous imposer, là où vous êtes passé ». En clair, on voulait lui faire dire que son retour en Suisse avait le goût de la défaite. Il aurait pu s’énerver, bégayer, contre-attaquer, argumenter, mais il s’est contenté d’articuler sereinement une réponse aussi polie que définitive : « J’ai joué en moyenne 30 matches par saison, c’est plutôt flatteur ». Next point ?

Globe-trotter du foot, Gelson Fernandes a manifestement pris de la bouteille au contact du gotha européen. Posé, le verbe sûr et les idées claires, il semblait avoir préparé ces retrouvailles télévisuelles comme le plus roublard des politiciens ou le mieux conseillé des chefs d’entreprise.

En réalité, c’est une leçon de communication que nous a donné Gelson. Son objectif était de toute évidence de faire passer 3 messages :

  • Je reviens en Suisse avec de hautes ambitions. Pour moi, pour mon club et pour la Suisse.
  • Mon parcours international m’a renforcé et je me réjouis de poursuivre ma carrière dans mon pays.
  • Je veux retrouver l’équipe nationale et participer activement à l’aventure brésilienne (Coupe du Monde 2014).

Opération TV réussie. Hier soir, Gelson a démontré sa maturité et l’excellent état d’esprit qui l’anime, n’en déplaise à  ceux qui attendaient un aveu d’échec. Il a profité des questions peu commodes pour démontrer sa force de caractère et son intelligence. Pas si étonnant, me direz-vous, pour un jeune homme qui parle couramment le français, l'allemand, l'italien, l'anglais, l'espagnol, le portugais et le créole cap-verdien. /p>

Chapeau et merci pour la leçon ! Peut-être que la prochaine fois, les journalistes sportifs de la RTS chercheront moins la faille dans le parcours de Gelson que son regard critique et fondé sur le sport roi.

La vérité si je mens

« Dire la vérité, rien que la vérité, même si on ne peut pas toujours dire toute la vérité .» Cette règle m’avait été enseignée par le regretté Walter G. Pielken, un pionnier des relations publiques en Suisse. Je m’y réfère souvent, notamment dans les situations de crise que je suis amené à gérer.

Impossible d’en douter aujourd’hui : le mensonge n’était rien d’autre que la clé de voûte du succès de Lance Armstrong. Cette stratégie a porté le Texan au firmament de la petite reine, mais elle a fini par atteindre le fondement-même du sport qui l'avait élu roi. Et cela lui sera difficilement pardonné, du moins dans nos contrées.

Certains diront qu’Armstrong n’est que la pointe d’un énorme iceberg, constitué du déni obsessionnel de tous les cyclistes professionnels de ces dernières décennies. Ils se seraient tous laissés emporter dans la spirale infernale d’un sport dénaturé par l’intérêt des sponsors et l’appât du gain. Soit, c’est possible et certainement vrai en grande partie. Mais doit-on pour autant renoncer à fustiger le mensonge du plus illustre représentant de cette dérive?

La capacité de pardon des Américains, face aux aveux télévisés de leurs icônes médiatiques, n’a pas fini de surprendre en Europe. L’exemple de Bill Clinton niant son "comportement inapproprié"  puis avouant son mensonge devant le jury cathodique avant de se faire réélire à la tête du pays, démontre la puissance du phénomène de rédemption Made in USA . L’Homo Europaeus fonctionne autrement, ce qui différencie notre métier de communicateur de celui de nos confrères étatsuniens. Et rend les stratégies de communication bigrement complexes à gérer dans un contexte globalisé. Comment adapter son discours à son auditoire, alors que les yeux de la planète entière sont simultanément rivés sur vous ?

Il sera très intéressant d’observer les prochaines étapes de cette chasse à la vérité. Les multiples bénéficiaires du phénomène Armstrong seront tôt ou tard appelés à s’expliquer, comme complices éventuels. Lance était devenu un produit extraordinairement compétitif, en tant que vecteur promotionnel : pour sa fondation Livestrong, ses sponsors et le sport cycliste dans son ensemble. Tout le monde avait intérêt à (faire) croire à la belle histoire de ce champion hors normes, miraculé du cancer. Exemplaire, sa volonté de fer lui avait permis de retrouver sa place tout en haut de la pyramide des bagnards du bitume. Quel potentiel d’émulation auprès des cyclistes en herbe, quelle manne bienvenue pour la cause – ô combien louable ! – de Livestrong et de son sponsor Nike, quel impact commercial pour les marques cousues sur les tenues du champion ! Au-delà d’Armstrong, beaucoup de monde avait intérêt à imposer la double loi du silence et de la seringue au sein du peloton, jouant avec la santé des coureurs et avec l’éthique du sport. Les stratégies de communication sont probablement en train de s’affûter. Stay tuned, folks!

Meilleurs voeux de Michel Platini

Comme je n'ai pas reçu la carte de voeux de l'UEFA cette année, j'ai été en chercher une dont Michel Platini doit être très fier. Il y a de quoi, non ?

Le rituel des cartes de voeux m'interpelle encore et toujours. Soyez sincères: entre les personnes à qui VOUS DEVIEZ envoyer une carte, celles à qui VOUS AVEZ OUBLIÉ d'envoyer une carte (il vous reste jusqu'à fin janvier pour réparer la bourde du siècle!) et celles à qui VOUS AVEZ ENVOYÉ UNE CARTE EN RÉPONSE À LEUR CARTE, combien reste-t-il de personnes à qui vous avez écrit parce que vous vouliez VRAIMENT leur souhaiter de belles fêtes et une année 2013 pleine de succès et de bonheur?

En réalité, je trouve que ce petit moment où l'on dépose un mot bienveillant, écrit à la main (pas juste une signature, svp!), représente une petite bulle d'oxygène plutôt sympathique dans notre univers virtuel. L'encre coule sur du vrai papier, on prend le temps de rédiger un mot personnalisé. On écrit parfois l'adresse à la main et certains poussent le vice jusqu'à choisir un timbre et le coller eux-mêmes sur une enveloppe assortie. Un petit goût de madeleine entre deux toasts au foie gras, la dinde farcie et la bûche au chocolat. Sous cet angle, la carte de voeux est une sympathique réminiscence d'un passé où recevoir un mot de quelqu'un signifiait vraiment quelque chose.

Au passage, saviez-vous que le choix de la carte de vœux est un rituel d'une importance quasi stratégique au sein des entreprises? Vous imaginez à peine la mobilisation en ressources humaines et financières que ce projet sous-entend dans certains groupes. Sans parler du stress du chef de projet – souvent le DirCom ou le chef marketing – le jour où il doit passer devant la direction pour présenter les différentes approches graphiques. En attente de la sanction suprême. Certaines entreprises démarrent le processus en été: rédaction du briefing, sélection des agences mises au concours, puis analyse des propositions et passage devant les instances supérieures.

Et je ne vous dis pas les réactions souvent très vives des cadres et des collaborateurs, lorsqu'ils découvrent la carte qu'ils auront l'obligation d'envoyer à leurs précieux contacts! Finalement, la carte de vœux est peut-être l'un des projets qui mobilise le plus l'attention des collaborateurs, tous niveaux hiérarchiques confondus. Avec les (non-)augmentations de salaires, les restructurations et la durée du congé-maternité.

En regardant la carte de Michel Platini, appuyé contre une référence (!) du design automobile français du siècle dernier, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue pour les collaborateurs de la régie française de l'époque. Ils ont dû puiser très profond dans leur inspiration pour rédiger un mot personnalisé. Puis faire couler l'encre sur du vrai papier (carton), écrire l'adresse à la main et coller eux-mêmes un timbre sur l'enveloppe assortie. Tout ça en utilisant une carte de vœux qu'ils ont peut-être trouvée ignoble.

Fisc français: le goût de bouchon menace

Il y a un an, presque jour pour jour, s’achevait une féroce bataille entre la France et un irréductible village vaudois producteur de flûtes d’apéritif. Au cœur du litige figurait la protection intellectuelle du précieux nectar français à bulles et bouchon sauteur. Forçant le vaillant chef Marcandrécornix à quelques concessions,  la justice autorisa le fabricant du Nord vaudois à maintenir l’appellation Champagne sur ses emballages. Le bouchon de guerre semble enterré sur ce front: les craquantes Flûtes de Champagne et le mousseux éponyme continueront de cohabiter dans nos carnotzets.

Aujourd’hui, c’est l’actualité sur le front fiscal qui laisse augurer du pire. Sabre dégainé (et pas pour faire sauter le bouchon de champagne), le ministre vaudois des finances Pascal Broulis et son alter ego jurassien Charles Juillard ont utilisé un vocabulaire résolument guerrier pour qualifier le contexte prévalant dans ce dossier. Les patries du chasselas et de la damassine semblent prêtes à se lancer dans une nouvelle guerre des bouchons. «Si j’aurais su, j’aurais pas venu», aurait dit le Petit Gibus.

Depuis quelques semaines, c’est Obélix lui-même que l’Hexagone affronte. Comme pris d’amnésie fiscale, les agents d’Hollande ont en effet décidé de mener la vie dure aux plus fortunés des Gaulois, dont fait partie le monument Gérard Depardieu. Et là, Gégé se fâche tout rouge: « Stop, vous poussez le bouchon trop loin, j’me casse ! ». En Belgique ou en Russie, mais loin des bouchons des Champs-Elyséees.

Sans vouloir contredire mon ami blogueur Frédéric Maire, j’ai quelque sympathie pour les théâtrales annonces de l’acteur vieillissant. Certes peu reluisantes à priori, ses motivations pourraient être révélatrices d’un mal au sérieux goût de bouchon. A mon sens, la question n’est pas de savoir s'il est ridicule lorsqu’il déclare que la Russie est une « grande démocratie » ou urine dans un avion de ligne. Depuis le décès de son fils Guillaume, Depardieu est un homme profondément triste – on le serait à moins – et ses excès n’en sont que les stigmates les plus visibles. Ce qui transparaît derrière cette énième éructation du plus célèbre des acteurs français actuels, c’est le ras-le-bol des créateurs et des entrepreneurs à succès, face à la voracité sans limite de l’Autorité bleu-blanc-rouge.

Il est juste, par principe, que chacun participe solidairement aux dépenses de l’Etat en fonction de ses moyens. Mais il faut placer le curseur au bon endroit pour éviter de faire fuir les icônes populaires et les acteurs de la réussite économique. Car le risque est de faire péter le bouchon et de laisser s’échapper les forces vives de la croissance, indispensable à toute reprise économique. Alors si l’action tonitruante de Depardieu déclenchait un signal d’alarme dans les Etats-Majors de la fiscalité hexagonale, elle aura eu un impact supérieur à la meilleure campagne de communication politique.

Pour ma part, après cette parenthèse festive où les bouchons n’ont pas manqué de sauter, je suis retourné dans ceux de l’axe Yverdon-Lausanne. Patience, bonheur et santé pour 2013!

Almadovar plus fort que Georges Baumgartner

Dans la déferlante des buzz qui circulent sur la toile, vous conviendrez que l’on trouve certaines perles. Celle qui vient tout juste de m’occuper, au petit-déjeuner, concerne un journaliste de télévision américain portant (presque) le même patronyme que le chantre de la « movida » post-franquiste. Cet Almadovar yankee paraphe ses interventions d’une signature vocale à la musicalité étonnante. Au point que notre Georges Baumgartner national doit sentir le souffle de la concurrence sur son cou. D’autant plus que notre correspondant préféré est désormais contraint de terminer ses sujets d’un « Georges Baumgartner, RTS, Tokyo » faisant offense à notre mémoire collective. Et puis j’y pense : je fais quoi de mon T-shirt qui ne veut plus rien dire ?

Cette petite digression matinale m’a rappelé que certains fans ont fait campagne pour moins que ça, afin de punir les marques ayant osé toucher aux fondements de leurs icônes. A titre d’exemple, il y a eu la mobilisation d'un groupe de consommateurs français refusant de voir disparaître Groquik, le personnage bedonnant de la pub Nesquik du siècle dernier. Un site Internet et des campagnes d’email contre Nestlé (et contre le lapin Quicky) n’avaient pas réussi à faire plier le géant veveysan. Et pourtant, le groupe en question parlait d’une mise à l’écart forcée de Groquik, accompagnée de tortures ignobles infligées par des cerbères sans pitié. Au-delà du clin d'oeil, l’initiative révélait l’attachement que l’on peut ressentir à l’égard d’une marque et de son imagerie. Surtout lorsque l'on parle d'une "love brand" (ou marque de référence) comme Nesquik. Nestlé France avait parfaitement rebondi en créant une carte postale montrant Groquik paisiblement allongé sur une île et profitant d’une retraite bien méritée. Bien joué.

A l’ère des médias sociaux, les marques ont les moyens de développer un lien encore plus étroit avec leurs consommateurs ou leurs clients. Basée sur le dialogue, cette relation est potentiellement génératrice d’une fidélité accrue, avec en corollaire des attentes encore plus précises et un pouvoir de réaction immédiat en cas de déception. Certes, il n’y aura pas de campagne Facebook pour que Georges Baumgartner puisse continuer à prononcer son mythique « Radio Suisse Romande, Tokyo ». Tant pis pour mon T-shirt, mais on pourra toujours revoir la vidéo sur Youtube. En revanche, je suis certain que la campagne « Sauvez Groquik » aurait eu un retentissement encore plus fort aujourd’hui.

En tant que grande entreprise, institution ou personnalité publique, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non être sur les réseaux sociaux: vous y êtes déjà, même à votre insu. Alors autant prendre le temps de la réflexion stratégique et mettre en place l'organisation opérationnelle pour être à même, proactivement et réactivement, de gérer au mieux cette exposition au potentiel de promotion et de nuisance évident.

Politique énergétique et yakafokon ne font pas bon ménage

Doris Leuthard met les bouchées doubles pour réussir sa stratégie de sortie du nucléaire (d’ici 2050), mais l’industrie suisse a décidé de s’opposer à son plan d’action. La réalité économique et industrielle semble tout simplement rattraper la vision philosophique ou idéologique.

Le débat énergétique est d’une complexité rare et ses enjeux hautement stratégiques. On parle ici de l’indépendance de la Suisse, de la compétitivité de ses entreprises et bien entendu de l’héritage environnemental que nous voulons laisser aux générations futures. Aux arguments sécuritaires et émotionnels parfaitement légitimes – surtout après Fukushima – se sont opposées les analyses macro-économiques tout aussi fondées. Et comme souvent, c’est l’émotionnel qui a vaincu sur le rationnel.

La bouche en cœur et le verbe haut, les chantres d’un approvisionnement énergétique totalement neutre sur le plan écologique ont parfaitement su surfer sur la vague sécuritaire générée par la catastrophe japonaise. Y’a qu’à rompre l’équilibre « hydraulique-nucléaire-importations » actuel et faut qu’on mise tout sur les énergies renouvelables et l’efficience énergétique, selon certains. En d’autres termes : yakafokon et n’écoutez pas les barons de l’énergie accrochés à leurs bénéfices obscènes! Aujourd’hui, le secteur énergétique suisse est dans une passe délicate, à l’image du géant Alpiq, et il peine à exprimer une vision claire quant à son avenir. Tout semble arrêté, on attend de voir.

Ces signes ont de quoi inquiéter. Surtout, ils parlent en faveur d’une (nouvelle) vraie discussion de fond, aboutissant sur des solutions concrètes et acceptées de tous. Pour rappel, il s’agit de  garantir un approvisionnement énergétique compétitif et durable pour les entreprises et les ménages suisses, à long terme. Sommes-nous réellement en mesure de renoncer au nucléaire tout en refusant de nombreux projets éoliens identifiés, en retardant la construction des centrales à gaz projetées, en soutenant (trop) modestement le développement du solaire, en améliorant petit à petit l’efficience énergétique de nos immeubles et villas (certaines entreprises électriques s’engagent dans cette voie, à l’image de Romande Energie )? Est-il réellement responsable d’acquérir l’énergie qui nous manque à l’extérieur de nos frontières, sans se soucier des moyens de production (gaz et charbon de l’Est, nucléaire français), et en la «blanchissant» à coup de certificats achetés à des institutions peu transparentes et inconnues du grand public?

Ces questions méritent un vrai débat. Au-delà des idéologies et avec un gros effort de transparence et de vulgarisation. Cela requiert des acteurs politiques et économiques qu’ils entrent dans une logique de communication, de dialogue, et qu’ils mettent pour une fois de côté – pour le bien du pays tout entier – leurs réflexes partisans et leur nombrilisme.