Leadership : l’intelligence émotionnelle en question, partie II

Comprendre les émotions et mettre en place les conditions pour que les gens puissent donner le meilleur d’eux-même n’est pas chose évidente. Nous avons vu en partie I que la capacité à lire et agir sur ” la matrice émotionnelle ” était parfaitement conciliable avec la logique conceptuelle, à condition de connaître quelques uns de ses principes.

Principe de non continuité : ce que je sais du comportement humain peut se vérifier neuf fois, pour être totalement contredit la dixième

 

La première condition avant de progresser en intelligence émotionnelle, est d’accepter que l’on peut approcher la vérité, au sens de ” tendre vers ” sans pour autant jamais l’atteindre tout à fait.

Exemple : Une personne qui croise les bras en vous parlant alors que ce n’est pas son habitude, n’est pas forcément sur la défensive vis à vis de vous. Peut-être qu’elle pense à quelque chose qui la contrarie, ou que ce que vous lui dites nécessite chez elle de prendre de la distance pour y réfléchir.

Ce premier principe est très important pour éviter de mauvaises interprétations quand on commence à s’intéresser à l’intelligence émotionnelle.

Principe de renversement : la bonne entente avec une personne consiste plus à désamorcer les craintes, qu’à bâtir votre crédibilité (au début de la relation)

 

Contrairement à ce que l’on pense en général, qu’il s’agisse d’un contexte privé ou professionnel, le premier enjeu d’une rencontre avec une nouvelle personne n’est pas de se montrer comme “bon”, mais plutôt de démontrer que l’on est pas une menace.

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Un bon niveau d’intelligence émotionnelle signifie d’abord savoir désamorcer les craintes au début d’une relation

Le terrain de la rencontre avec une personne est comme un espace truffé de mines émotionnelles. Si vous en déclenchez ne serait-ce qu’une, la relation sera durablement marquée dans le mauvais sens. La psychologie évolutionniste montre que, depuis l’époque où l’homme était une proie soumise à de nombreux dangers, nous avons été conditionnés à identifier rapidement si ce qui apparaît dans notre environnement n’est pas une menace.

Corollaire 1 : Cela explique pourquoi la fameuse “première impression” se fait en quelques secondes et dure plusieurs semaines : l’homme préhistorique devait identifier en quelques secondes si ce qui se profilait à l’horizon était une menace ou pas, question de survie.

Corollaire 2 : De ceci découle que lorsque vous voulez faire une bonne impression dans un groupe, il faut prendre l’historique de ce que les gens ont jugé comme improductif, et faire exactement l’opposé. L’inverse est beaucoup moins efficace ! Ainsi si les gens sont lassés d’entendre de longs discours par des personnes qui cherchent à démontrer leur crédibilité, vos prises de paroles devront être très courtes pour aller à l’essentiel, sans chercher à faire votre propre publicité.

Voici un autre exemple pour vous montrer comment désamorcer les ” mines émotionnelles “ chez votre interlocuteur.

Principe de non finalité : n’attendez pas d’avoir quelque chose de précis à dire à quelqu’un pour le voir

 

Ce point est beaucoup moins évident qu’il n’y paraît. Si vous vous posez la question de l’intelligence émotionnelle, il y a de fortes chances que vous soyez encore dans ce fonctionnement. C’est en particulier le cas des experts techniques. Les gens qui ont une excellente intelligence émotionnelle n’attendent jamais d’avoir un motif pour aller voir quelqu’un. Ils savent que la finalité arrivera au cours de l’échange. Par ailleurs, on échange des informations de natures différentes face à face, que par mail ou bien par téléphone.

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Un simple bonjour en face à face vaut souvent mieux qu’un long message

Si vous êtes par exemple le chef d’une équipe, aller voir une personne simplement pour lui demander quels sont ses éventuels besoins, sera indirectement l’occasion d’assurer votre fonction de contrôle, l’un des pilier de l’ethos du leader.

Principe des jalons : mettre en place des normes booste la sécurité émotionnelle

 

La sécurité émotionnelle est un concept développé par la psychologue Amy Edmonson. Il s’agit de la certitude que chaque opinion exprimée sera accueillie favorablement par les autres membres du groupe. Des  études montrent que la sécurité émotionnelle est le premier facteur d’efficacité d’une équipe.

La sécurité émotionnelle est comme une plante. Elle a besoin d’un d’un terreau fertile pour se développer. Elle ne peut se développer si elle ne dispose pas de l’espace suffisant pour le faire.

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Mettre en places des normes, c’est se préparer à affronter les moments difficiles

Pour donner ce cadre nécessaire à l’épanouissement, il suffit de mettre en place quelques normes simples, qui seront comme des jalons auxquels se raccrocher dans l’obscurité. Il peut s’agir d’un simple café tous les matins comme moyen de faire le point. Vous pouvez aussi mettre en place un moment réservé : une réunion sur un domaine précis à un moment fixe, un café dans un endroit particulier avec certaines personnes et pas d’autres. Il s’agit de remplir l’espace et le temps par de la continuité, de la régularité, de la sécurité. En cas de crise, les normes que vous avez semées prennent énormément de valeur, pour se transformer en de réelles bouées de sauvetage. Les normes sont comme des graines que l’on plante pour faire face à des temps difficiles.

L’intelligence émotionnelle n’est pas une discipline théorique, mais essentiellement pratique. Pour progresser, il suffit de connaître quelques bases en lisant (un peu), pour ensuite la mettre en pratique (beaucoup). Vous créerez alors vos propres manières de désamorcer les mines émotionnelles, vos propres normes, autrement dit, votre propre style relationnel de compréhension et d’adaptation aux émotions de votre entourage.

 

Clément Pichol-Thievend

Clément Pichol-Thievend a été officier dans la Légion étrangère et les forces spéciales françaises. Diplômé en sciences sociales et en psychologie, il est aussi conférencier pour un large public comptant notamment des startups, des écoles de commerce et des associations d'officiers suisses. Il est l'auteur du livre Leadership : Manuel de combat, aux éditions PPUR.