Êtes-vous un bon capitaine de navire corsaire ?
Imaginez que vous êtes le capitaine d’un vaisseau corsaire au XVIIIème siècle. Vous partez avec votre équipage pour naviguer pendant plusieurs mois, quand vous vous faites surprendre par une tempête au large d’une île. Les vagues se déversent les unes après les autres sur le pont, faisant chuter les marins qui s’affairent dans tous les sens. Pensant bien faire, vous décidez de descendre sur le pont pour les aider à se relever, puis vous vous retrouvez à monter et descendre les voiles vous-même. Plus rien ne vous différencie maintenant des autres matelots que vous dirigez. Vous avez quitté votre position sur la poupe, conçue pour surplomber la situation, et vous n’avez maintenant plus aucun recul sur les évènements. Pire, les marins qui jettent de temps en temps un regard sur la poupe, n’ont plus la présence rassurante de leur chef à laquelle se raccrocher. Leur moral s’effondre car ils n’ont maintenant plus la confirmation visuelle que quelqu’un gère la situation. Pour couronner le tout, une dernière lame de fond s’effondre sur le gouvernail qui fini par se briser. Votre vaisseau n’a plus aucun moyen de se diriger, et vous vous retrouvez maintenant à la dérive.
Privé de la hauteur de vue nécessaire, vous n’avez pas pu voir qu’une crique à l’abri du vent se trouvait derrière une barrière de récif. Cette crique était facilement accessible en contournant la barrière par une zone avec des vagues moins importantes. Encore aurait-il fallu que vous eûtes été en position de donner des directions.
Cet exemple, volontairement caricatural, va nous permettre d’aborder ensemble le concept-clé du leader en cas de crise. Que vous soyez manager dans l’industrie, entraîneur d’une équipe de foot, ou chef d’un chantier de construction, ce qui va suivre vous permettra de résoudre la plupart des situations de crises. Ce concept participe pleinement à construire votre pilier de décision, une des deux compétences régaliennes de tout leader. Cette notion capitale, il s’agit de la distance. La distance n’est pas l’isolement, autrement dit il ne s’agit pas de se cloîtrer dans une tour d’ivoire. La distance est la saine compréhension de vos prérogatives, de votre ethos de leader, et de ce qui le différencie de celui de votre équipe. Il s’agit d’une intelligence de situation, permettant de discerner la répartition des tâches entre l’équipe et vous. L’enjeu est donc de mettre en place un niveau de proximité suffisant avec elle, tout en maintenant le recul qui vous permettra de voir ce que les autres ne voient pas. Ce cordon de sécurité vous permettra de sortir de la tempête, lorsqu’elle s’abattra sur vous.
Comment réaliser cela ? Nous avions vu dans l’article précédent l’importance de rassurer l’équipe, sur le fait que vous n’allez pas révolutionner la structure. Ceci n’a pas seulement un effet bénéfique en termes d’intelligence émotionnelle. En expliquant que vous n’êtes pas là pour faire le travail de l’équipe à sa place, mais pour lever les obstacles sur son chemin, vous préservez en plus votre capacité de discernement. C’est parce que le capitaine corsaire se prive de sa capacité de discernement, pour aider les matelots sur le pont, qu’il ne voit pas la solution qui aurait pu les sauver tous. Le lanceur a besoin de se dégager de la mêlée, pour discerner les ouvertures qui permettront de marquer un point.
Gérer la crise comme un guide de haute-montagne : la méthode des jalons
Les troupes d’élite spécialisées dans le milieu montagneux, apprennent à se déplacer même en conditions difficiles. L’une d’entre elles, le jour blanc, va nous servir à comprendre ce que le leader doit concrètement mettre en place au début d’une crise. Le jour blanc se produit lorsqu’une tempête ne permet plus de distinguer le manteau neigeux du reste du paysage. La disparition de toute perception de nivellement est très déstabilisante pour le skieur ou l’alpiniste. Incapable de distinguer le relief, il est à la merci des bosses, des brusques ruptures de pentes, ou des crevasses. Il s’agit d’une situation très dangereuse qui nécessite l’intervention du leader, alors en plein dans ses prérogatives.
Le meilleur moyen de sortir de cette mauvaise passe, consiste à matérialiser un chemin de vie dans le jour blanc. En fouettant le sol à l’aide d’un bâton de ski prolongé d’une cordelette, un skieur doit dégager un chemin sûr de quelques mètres, avant de s’arrêter pour se laisser dépasser par un autre qui fera de même. Le leader doit alors corriger l’orientation et l’alignement des différents skieurs espacés tels des jalons. Ceci permet de matérialiser une ligne droite à suivre, pour sortir de la zone. Cette ligne de vie est l’unique point de repère auquel le groupe peut se rapprocher dans cet enfer blanc. Il s’agit donc d’un puissant facteur de sécurité émotionnelle qui préserve le moral, réduisant par là le risque d’hypothermie ou de malaise. Le deuxième effet renforçant le moral, est le fait que la situation est bien prise en compte, et le groupe voit un leader qui donne des consignes ainsi que des orientations. Les lecteurs les plus perspicaces, auront compris que le leader ne peut pas être lui-même un jalon.
Cette méthode des jalons dans le jour blanc s’applique dans la plupart des situations de crise. En effet, libre à vous d’inventer vos propres jalons. Les skieurs peuvent être des réunions de crises, des rapports de situation, des évaluations des dégâts, de simples coups de téléphones. Plus vous êtes proche du cœur de la crise, plus les jalons doivent être rapprochés. En effet, la priorité est alors de rassurer, de préserver le moral de l’équipe, afin qu’elle soit dans le meilleur état psychologique pour faire face. Plus on s’éloigne du cœur de la crise, plus les jalons doivent être espacés. Ceci afin de laisser aux membres de l’équipe l’espace nécessaire pour eux aussi discerner une possibilité de leur niveau, que vous n’auriez pas vu dans le cas d’une crise complexe.
Pourquoi diriger en temps de crise est paradoxalement plus simple
Vous l’avez compris, en situation de crise, il est aussi important de donner un cadre, que de montrer que l’on est dans l’action. La première action du leader dans la crise, déterminera ensuite par effet boule de neige son issue. L’enjeu du leader est alors moins de surperformer, que de s’en tenir à ses prérogatives, en résistant à la sensation d’urgence. On notera que l’intensité d’une crise a le pouvoir de polariser tous les efforts sur la situation. Les autres contingences sont momentanément mises en pause, ce qui donne le sentiment paradoxal que diriger en temps de crise est plus simple qu’en temps normal. Encore faut-il que le leader sache comment se déplacer par jour blanc.
Si vrai… Et surtout, vérifié (par moi-même).