Les entreprises montent au créneau

C’est un véritable appel à la raison qu’ont lancé des entrepreneurs romands ce lundi, sur les hauts de Lausanne, en faveur de l’ouverture de la Suisse sur le monde. Sous l’égide d’economiesuisse, ils ont posé les premiers jalons de la campagne contre l’initiative dite «pour l’autodétermination», sur laquelle peuple et cantons s’exprimeront le 25 novembre prochain. Ce texte entend instituer la primauté du droit suisse sur le droit international. Cette vision assez simpliste du cadre juridique ignore la réalité des relations que notre pays entretient avec le reste du monde.

Aux yeux de ces chefs d’entreprise, auxquels nous apportons notre plein soutien, une telle initiative ne prend pas en compte le fait que nous avons besoin de conclure des accords avec d’autres pays, et que nous les signons volontairement, en toute connaissance de cause. Ce texte ferait peser une incertitude permanente sur quelque 600 traités économiques conclus par la Suisse avec le monde entier. Ces patrons redoutent la détérioration probable des relations avec de très nombreux États et des mesures de rétorsion découlant de l’obligation – exigée par l’initiative – de violer les traités. Les entrepreneurs présents ont également insisté sur la nécessité de maintenir la crédibilité de la Suisse sur la scène internationale, qui «contribue au développement des affaires et est une condition nécessaire pour étendre le réseau d’accords à des pays à fort potentiel». Accepter cette initiative contraindrait notre pays à faire le deuil de sa réputation de pays sûr et respectueux des actes qu’il signe.

Présente lundi aux côtés d’autres entrepreneurs, Aude Pugin, présidente de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, a rappelé que «notre économie gagne près de 2 francs sur 5 à l’étranger. Et 9 entreprises exportatrices sur 10 sont des PME comme la mienne. Je souhaite que notre politique étrangère continue à se baser sur des rapports de confiance, moyennant des accords, et non sur des rapports de force!» a souligné celle qui dirige APCO Technologies, à Aigle, active dans l’industrie spatiale et l’énergie.

Une voie solitaire et aventureuse

L’économie a décidé d’entrer en scène rapidement pour s’opposer à cet objet, histoire de ne pas revivre la mésaventure de février 2014; elle s’était alors réveillée trop tard pour combattre la funeste initiative «contre l’immigration de masse». À ce sujet, un rapport fédéral vient de révéler que l’adoption de ce texte avait coûté 1,4 milliard à la recherche suisse! De 2014 à 2016, notre pays n’avait eu, de fait, que partiellement accès au 8e programme-cadre européen de recherche, nommé Horizon 2020. C’était là un bien lourd tribut pour une voie solitaire et aventureuse.

Cet été déjà, plus d’une centaine de personnalités romandes de tous bords ont montré leur détermination à combattre cette initiative dans le but de protéger nos acquis et nos droits. Le mouvement s’amplifie et doit conduire au rejet d’un texte qui menace la crédibilité de notre pays sur la scène internationale et, par là même, notre économie et nos emplois. Glissons un non déterminé dans les urnes le 25 novembre prochain!

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Non à une assurance injuste et trompeuse

Alors que la population vaudoise vient de recevoir son matériel de vote concernant l’initiative cantonale «Pour le remboursement des soins dentaires», il n’est pas inutile de rappeler les nombreux arguments qui militent pour son rejet.  Outre son caractère obligatoire tout à fait contestable, elle propose un système de financement injuste à travers un prélèvement paritaire sur le salaire et via l’impôt, grevant ainsi lourdement le budget d’une bonne moitié de la population. Elle se révèle de surcroît trompeuse, car les soins pris en charge, basiques, ne couvrent ni les frais d’orthodontie ni les couronnes, pas plus que les implants.

Une raison supplémentaire de s’y opposer s’est invitée dans le débat la semaine dernière, de manière pour le moins inattendue. En répondant à une intervention parlementaire relative aux conséquences financières de ce texte, le Conseil d’État vaudois a expliqué que le remboursement des soins dentaires dépendrait du paiement d’une franchise annuelle de 100 francs pour les enfants et de 300 francs pour les adultes. Le calcul est vite fait: cela représenterait  800 francs par année pour une famille de quatre personnes.  La stupeur – personne n’avait parlé de franchise jusqu’à présent – le dispute à l’exaspération, car la mise en œuvre d’une telle assurance publique ferait dès lors passer la classe moyenne trois fois à la caisse : par les salaires, par les impôts et par le porte-monnaie. Sans compter que la ponction paritaire prévue aurait un coût élevé pour les entreprises, dont la compétitivité dépend en bonne partie de charges sociales supportables. Cette assurance est donc injuste, trompeuse et trop coûteuse.

À ces arguments, on peut ajouter que l’introduction d’une assurance obligatoire dans ce domaine ne se justifie guère à la lumière des faits. Le système suisse de soins, basé pour l’essentiel sur la prévention et sur la responsabilité individuelle, a amplement fait ses preuves depuis les années 1960. Le nombre de caries a chuté drastiquement en cinquante ans, et l’état de la dentition d’une immense majorité de la population peut être aujourd’hui qualifié de bon. Quant aux personnes souffrant de problèmes bucco-dentaires et de moyens financiers limités, elles sont près de 70’000 à bénéficier d’aides cantonales ciblées.

Pour le reste, l’objet soumis au vote repose, ce qui n’est guère rassurant, sur de pures supputations. Le Conseil d’État a dû en estimer les coûts dans l’urgence car, et il est bon de le rappeler, l’initiative ne donne aucune indication précise sur la facture annuelle. Si ce texte est approuvé par la population, c’est au Grand Conseil qu’il reviendra de mettre sur pied une loi d’application. D’ici là, on peut craindre que la facture n’enfle encore. D’ailleurs, et pour conclure, l’instauration d’une assurance dentaire obligatoire laisse augurer d’un gouffre financier, à l’image de ce qui se passe avec la LAMal depuis le milieu des années 1990. La bureaucratie lourde découlant de sa mise en œuvre a induit une augmentation continue des coûts, que personne ne parvient à enrayer. On peut légitimement craindre qu’il en aille de même avec le modèle proposé par l’extrême gauche.

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La SSR à la croisée des chemins

La Suisse peut-elle se passer de médias publics, comme la SSR? Ce thème constitue le cœur de l’initiative «No Billag», soumise au vote le 4 mars prochain.  En tant qu’association économique prônant la libre entreprise et la concurrence,  la CVCI se pose également cette question. D’un point de vue libéral, on peut admettre que la radio et la télévision soient régies par le seul marché, à une époque où l’offre de bouquets numériques évolue autant que nos habitudes de consommation médiatique. En outre, comme le disent avec un certain bon sens les tenants de ce texte, chacun d’entre nous devrait pouvoir décider librement s’il est d’accord de dépenser plus de 450 francs par an pour son information audiovisuelle.

Cette vision des choses se heurte pourtant à un certain nombre d’arguments, tout aussi pertinents, qui militent pour le maintien d’une redevance obligatoire. Tout d’abord, il est patent que la SSR, à travers ses nombreuses chaînes, joue un rôle fédérateur dans notre pays. Aucun autre média national ne permet de refléter la réalité helvétique dans toute sa diversité. La clé de répartition financière, très favorable aux minorités latines, permet à la Suisse romande et au Tessin d’offrir des programmes de qualité. Une belle illustration de la solidarité confédérale.

Ensuite, la SSR et ses divers canaux d’information contribuent activement au débat démocratique, en décryptant les enjeux économiques et politiques et en vulgarisant des sujets complexes qui permettent à la population de se forger une opinion. Cela résulte certes d’une exigence constitutionnelle, mais admettons que l’institution s’acquitte plutôt bien de cette mission. Tout comme les chaînes de radio et de télévision régionales, qui bénéficient elles aussi d’une partie de la redevance.

Qui accomplirait ces tâches si un oui sortait des urnes le 4 mars prochain? Une SSR sans redevance, à la voilure drastiquement réduite, a peu de chance de survivre: imagine-t-on vraiment que des citoyens seraient prêts à payer à la demande pour des émissions comme Mise au point, TTC ou Forum? Par ailleurs, personne ne songe un instant que l’institution puisse subsister grâce à la seule pub. Le gâteau publicitaire, qui se réduit tout en fragilisant dangereusement la presse écrite, profite surtout aux géants du Web que sont Facebook ou encore Google. Ne comptons pas non plus sur les diffuseurs français ou sur d’autres chaînes étrangères, davantage intéressés par le  marché des annonces que par la richesse de la démocratie suisse…

Le Conseil fédéral a, semble-t-il, pris conscience du danger en annonçant une baisse de la redevance de 20% dès 2019; il a par ailleurs mis en consultation un projet de nouvelle concession, qui accroît la part des recettes consacrée à l’information. Il est certain que l’on pourrait faire l’économie de certaines séries américaines, de quelques retransmissions sportives ou d’émissions mêlant info et divertissement clairement orientées.

Ce projet ne constitue cependant qu’un toilettage, alors qu’une vraie refonte de l’institution s’impose. Si elle triomphe de l’initiative «No Billag», la SSR ne devra pas considérer ce vote comme un chèque en blanc l’autorisant à croître démesurément, comme elle le fait notamment sur le Web. À l’heure de la mutation numérique des médias, le service public audiovisuel doit se remettre en question et accepter la tenue d’un grand débat de fond. Toute chose que l’initiative «No Billag», trop extrême, tue dans l’œuf.

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Mieux observer la société pour réussir la réforme des retraites

Le paquet Prévoyance 2020 a donc été renvoyé à l’expéditeur par une majorité du peuple suisse. Une nouvelle fois, une réforme – partielle ou complète – de notre système de prévoyance a échoué en votations fédérales. La fédération des oppositions l’a emporté sur la réalisation, alors que, tôt ou tard, il faudra procéder à des ajustements, et que personne ne pourra se soustraire à la pression démographique.

Remettre l’ouvrage sur le métier ne doit pas se limiter à reprendre les diverses composantes du paquet et à en renégocier les conditions. Il s’est écoulé huit ans entre les fondements de la réforme et son rejet le 24 septembre dernier. A l’échelle de l’évolution de notre société, c’est beaucoup. En 2009, pour rappel, ni Instagram, ni WhatsApp, ni Snapchat – les principaux canaux numériques d’échange d’information et de conversation des « millenials » – n’existaient encore, et Twitter était embryonnaire. On ne parlait pas beaucoup de crowdfunding ni de coworking, deux terminologies qui occupent de plus en plus l’espace économique.

L’impression de calme et de lenteur que peut dégager la société suisse ne doit tromper personne. Ici aussi, les grandes tendances qui s’observent dans les pays développés modifient le rapport au travail, les attentes des jeunes générations et les comportements, individuels et collectifs. Pour élaborer la réforme de notre système de prévoyance, il est impératif de tenir compte de ces nouvelles réalités. Trois éléments devraient ainsi être retenus.

Gotham – le plus grand espace de coworking de Suisse récemment inauguré à Lausanne – illustre l’une des tendances dont il faut tenir compte sur le marché du travail et, par ricochet, dans la future réforme de la prévoyance. (Photo: www.gothamco.com)

De nouvelles réalités à considérer

Première évolution, la généralisation du travail à temps partiel – ou, plutôt, de la réduction partielle du taux d’activité. Celle-ci ne se limite plus aux femmes qui entrent dans le marché du travail, ou y reviennent après une interruption due à une grossesse, un schéma classique qui commence à être battu en brèche. Les hommes sont de plus en plus nombreux à choisir un travail à 80%, voire moins. Soit pour disposer de plus de temps « pour eux », mais souvent pour le consacrer à une autre activité qui donne du sens à leur vie, et qui n’est pas toujours rémunératrice ou rentable financièrement.

Cette multiplication des sources de revenus, très inégaux, constitue la deuxième tendance forte. Elle s’inscrit aussi dans une individualisation du travail, qui implique une hybridation des statuts, où une même personne peut cumuler un état d’employé d’une structure publique, de salarié d’une entreprise et d’indépendant.

Cette souplesse s’inscrit enfin dans le temps : les carrières bifurquent plus souvent qu’à leur tour, les reconversions sont fréquentes, soit par choix, soit par nécessité, dans un monde très compétitif où les situations acquises se raréfient.

Même si ces tendances restent émergentes, c’est aujourd’hui que les réponses se préparent, pour qu’au moment où ces actifs arriveront à l’âge de la retraite, le système puisse répondre à leurs besoins. Outre la flexibilisation de l’âge de la retraite, qui paraît une évidence, la création d’un taux de cotisation unifié dans le 2e pilier, quel que soit l’âge des cotisants, pourrait être un axe de réflexion intéressant pour faire avancer l’indispensable réforme de la prévoyance.