De l’obus au BIT

Un livre sur Albert Thomas vient d’être publié aux Presses universitaires de Rennes.

Mais qui est Albert Thomas ?

Né en 1878 à Champigny-sur-Marne, Albert Thomas allait être le grand organisateur de la production d’armements et du travail ouvrier en France au cours de la Première Guerre mondiale, contribuant à « imposer la méthode d’organisation scientifique du travail qui, avant le conflit, est très marginale en France ». Son rôle, au cours de la guerre, reste méconnu, pourtant il fut ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre de mai 1915 à septembre 1917.

Au cours de son mandat, il allait développer le principe cardinal, pour un belligérant, de fournir un approvisionnement suffisant en munitions aux troupes se trouvant sur le front. Il devait non seulement apposer son rythme à l’industrie française mais encore signer de nombreux contrats de fourniture militaire avec des industriels suisses comme le Neuchâtelois Jules Bloch qui allait lui faire parvenir des tonnes de fusées d’obus durant toutes les années de guerre.

Actif avant 1914 dans la sidérurgie et l’horlogerie, Jules Bloch avait modifié ses productions et ses commandes auprès des horlogers jurassiens et neuchâtelois pour satisfaire la nouvelle demande mortifère qui venait remplacer les traditionnels mouvements d’horlogerie. Son matériel de guerre joua un rôle d’une certaine importance puisqu’en raison de sa minutieuse précision, il fut notamment utilisé lors des tirs de repérage pendant la bataille de Verdun. En quatre ans, il écoula à l’armée française des armes, pour un montant de près de 85 millions de francs suisses, une manne qui soutint un grand nombre de petites industries de l’arc jurassien durant toute la période du conflit. À la fin de celui-ci, l’Office fédérale des contributions allait lui réclamer un impôt de guerre extraordinaire de vingt-deux millions. Une fraude dans les déclarations douanières allait conduire à une affaire de corruption et à l’arrestation de l’industriel qui allait passer sous les fourches caudines de la justice et des impôts.

Jules Bloch allait pouvoir reprendre ses affaires dans les années qui suivirent la guerre, notamment grâce à Albert Thomas qui avait été son hôte à plusieurs reprises. Fort curieusement, le ministre français allait occuper l’une des propriétés de l’industriel à Genève qui avaient été saisies par le fisc en guise de compensation. Choisi pour diriger le Bureau International du Travail (BIT) en novembre 1919, Albert Thomas allait partager son temps entre Londres et l’ancienne propriété de Jules Bloch devenu le siège du l’organisation.

Albert Thomas allait encore fonder le Bureau International des Autoroutes à Genève en 1931 afin d'établir un plan continental cohérent d'infrastructures. L’année suivante, il allait s’éteindre après avoir contribué pendant plus d’une décennie à la renommée du BIT et d’une Genève devenue internationale.

 

 

Adeline Blaszkiewicz-Maison, Albert Thomas. Le socialisme en guerre 1914-1918, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.  

Le Jura a besoin de chercheurs

Le Centre jurassien d’archives et de recherches économiques (CEJARE) collecte et préserve les archives d'entreprises, de syndicats et d'acteurs privés liés au patrimoine économique et industriel de l’Arc jurassien depuis une quinzaine d’années (https://cejare.ch). Si bien qu’aujourd’hui, ce sont 60 fonds, permettant de documenter la vie d'innombrables entreprises, qui sont à la disposition des chercheurs.

Encore faut-il qu’il y ait des chercheurs ! Le CEJARE encourage donc les travaux de master, les séminaires, les thèses et tout autre travail de recherche.

Alors soit, il faut aller à Saint-Imier, 1h17 en voiture depuis Lausanne. Mais, la richesse de ces fonds qui contiennent évidemment des archives mais également un trésor iconographique devrait en intéresser plus d’un.

Quelques exemples, les Chemins de fer du Jura, les entreprises Tavannes, Unitas Watch Co SA, ou Longines….. Un pan entier de notre passé nous tend les bras. Avis aux amateurs ! 

L’autre Verdun

Il y a cent ans débutait la bataille de Verdun, un enfer de dix mois pour les soldats français et allemands qui allaient succomber en masse sous les obus et la mitraille, gagnant ou perdant quelques mètres de terrain au fur et à mesure des jours.

Cette bataille est restée célèbre car célébrée par la mémoire collective, et plus particulièrement par la mémoire française. Le cortège des commémorations autant que les livres ou les films s’en sont chargés. Cet épisode a marqué de manière indélébile les esprits, non seulement en raison du nombre de victimes, 70'000 chaque mois, mais également par le fait que 70% des poilus de l’armée française se sont succédé dans les tranchées, montant sur ce front par rotation. Sans compter qu’une victoire allemande à Verdun aurait permis aux soldats du Kaiser de percer la longue ligne de défense occidentale. La victoire, après dix mois d’horreur, prenait ainsi une portée symbolique ! Victoire de la France mais surtout des Français, qu’ils soient du Poitou ou du Dauphiné, de Provence ou de Bretagne. Cette bataille ne pouvait que rentrer dans la légende, une geste héroïque qui allait sonner dans les esprits des contemporains de la Seconde Guerre mondiale comme le cor de Roland à Roncevaux, évocation d’une gloire passée appelée à être convoquée une nouvelle fois sur les plaines de l’Histoire, face au vieil ennemi.

Mais si le sort des armes à Verdun favorisa la France, c’est en partie grâce à deux autres confrontations, celle de la Somme, menée par les Britanniques épaulés de régiments français. Une bataille plus courte que Verdun, mais simultanée – du premier juillet au 18 novembre – qui allait obliger l’Allemagne à se départir de forces vives sur le premier front. Le nombre de victimes allait être supérieur à celui de Verdun, un million d’hommes, morts, portés disparus ou blessés, une hécatombe au son de la cornemuse témoignant de l’âpreté des combats. Et, troisième bataille, méconnue pour nous autres francophones, celle de Broussilov, nom éponyme du général russe Alexei Broussilov qui allait lancer le 4 juin une offensive gigantesque sur le front de l’Est, en Gallicie, contre les armées allemandes et austro-hongroises. Un déplacement stratégique sur l’échiquier des nations en guerre puisque cette attaque avait été prévue en décembre 1915 pour coïncider avec l’assaut anglais dans la Somme, afin de soulager les Français soumis à l’immense machine de guerre germanique.

En partie occupées dans le Trentin contre les Italiens, les armées des Empires centraux allaient devoir réagir à une offensive s’étalant sur 150 kilomètres, composée des 3e, 7e et 8e armées du Tsar. 2'000 pièces d’artillerie russes allaient ouvrir le début de l’engagement en crachant la mort, faisant s’écrouler le front de Galicie en deux jours. Les cosaques de Kuban, les tirailleurs de la Volga, l’ensemble des réserves de Broussilov allaient s’engouffrer dans la brèche, balayant au passage la contre-offensive organisée par l’Allemagne qui avait rappelé des unités de Verdun et du Trentin pour résister à cette marée qui ne devait s’arrêter que devant les Carpathes à la fin du mois de juillet.

Le succès de cette offensive, autant que l’engagement dans la Somme, allaient avoir des répercussions militaires sur l’ensemble du continent, permettant de mettre un coup de frein à l’avance austro-hongroise en Italie, autant que de diminuer la pression allemande à Verdun, donnant l’occasion aux Français de repousser un ennemi coincé entre le marteau et l’enclume. Plus d’un million de Russes allaient être mis hors de combat au cours de cette déferlante, empêchant toute poursuite de la percée. 800'000 soldats allemands et austro-hongrois allaient être tués ou capturés.

Que l’on se souvienne donc de Verdun et de ses morts, qu’ils soient allemands ou français, mais n’oublions pas que la conclusion de cette grande bataille a été rendue possible par des sacrifices dans la Somme et en Pologne, ainsi que par des alliances, tellement improbables de nos jours. 

L’autre Verdun

Il y a cent ans débutait la bataille de Verdun, un enfer de dix mois pour les soldats français et allemands qui allaient succomber en masse sous les obus et la mitraille, gagnant ou perdant quelques mètres de terrain au fur et à mesure des jours.

Cette bataille est restée célèbre car célébrée par la mémoire collective, et plus particulièrement par la mémoire française. Le cortège des commémorations autant que les livres ou les films s’en sont chargés. Cet épisode a marqué de manière indélébile les esprits, non seulement en raison du nombre de victimes, 70'000 chaque mois, mais également par le fait que 70% des poilus de l’armée française se sont succédé dans les tranchées, montant sur ce front par rotation. Sans compter qu’une victoire allemande à Verdun aurait permis aux soldats du Kaiser de percer la longue ligne de défense occidentale. La victoire, après dix mois d’horreur, prenait ainsi une portée symbolique ! Victoire de la France mais surtout des Français, qu’ils soient du Poitou ou du Dauphiné, de Provence ou de Bretagne. Cette bataille ne pouvait que rentrer dans la légende, une geste héroïque qui allait sonner dans les esprits des contemporains de la Seconde Guerre mondiale comme le cor de Roland à Roncevaux, évocation d’une gloire passée appelée à être convoquée une nouvelle fois sur les plaines de l’Histoire, face au vieil ennemi.

Mais si le sort des armes à Verdun favorisa la France, c’est en partie grâce à deux autres confrontations, celle de la Somme, menée par les Britanniques épaulés de régiments français. Une bataille plus courte que Verdun, mais simultanée – du premier juillet au 18 novembre – qui allait obliger l’Allemagne à se départir de forces vives sur le premier front. Le nombre de victimes allait être supérieur à celui de Verdun, un million d’hommes, morts, portés disparus ou blessés, une hécatombe au son de la cornemuse témoignant de l’âpreté des combats. Et, troisième bataille, méconnue pour nous autres francophones, celle de Broussilov, nom éponyme du général russe Alexei Broussilov qui allait lancer le 4 juin une offensive gigantesque sur le front de l’Est, en Gallicie, contre les armées allemandes et austro-hongroises. Un déplacement stratégique sur l’échiquier des nations en guerre puisque cette attaque avait été prévue en décembre 1915 pour coïncider avec l’assaut anglais dans la Somme, afin de soulager les Français soumis à l’immense machine de guerre germanique.

En partie occupées dans le Trentin contre les Italiens, les armées des Empires centraux allaient devoir réagir à une offensive s’étalant sur 150 kilomètres, composée des 3e, 7e et 8e armées du Tsar. 2'000 pièces d’artillerie russes allaient ouvrir le début de l’engagement en crachant la mort, faisant s’écrouler le front de Galicie en deux jours. Les cosaques de Kuban, les tirailleurs de la Volga, l’ensemble des réserves de Broussilov allaient s’engouffrer dans la brèche, balayant au passage la contre-offensive organisée par l’Allemagne qui avait rappelé des unités de Verdun et du Trentin pour résister à cette marée qui ne devait s’arrêter que devant les Carpathes à la fin du mois de juillet.

Le succès de cette offensive, autant que l’engagement dans la Somme, allaient avoir des répercussions militaires sur l’ensemble du continent, permettant de mettre un coup de frein à l’avance austro-hongroise en Italie, autant que de diminuer la pression allemande à Verdun, donnant l’occasion aux Français de repousser un ennemi coincé entre le marteau et l’enclume. Plus d’un million de Russes allaient être mis hors de combat au cours de cette déferlante, empêchant toute poursuite de la percée. 800'000 soldats allemands et austro-hongrois allaient être tués ou capturés.

Que l’on se souvienne donc de Verdun et de ses morts, qu’ils soient allemands ou français, mais n’oublions pas que la conclusion de cette grande bataille a été rendue possible par des sacrifices dans la Somme et en Pologne, ainsi que par des alliances, tellement improbables de nos jours. 

L’autre Verdun

Il y a cent ans débutait la bataille de Verdun, un enfer de dix mois pour les soldats français et allemands qui allaient succomber en masse sous les obus et la mitraille, gagnant ou perdant quelques mètres de terrain au fur et à mesure des jours.

Cette bataille est restée célèbre car célébrée par la mémoire collective, et plus particulièrement par la mémoire française. Le cortège des commémorations autant que les livres ou les films s’en sont chargés. Cet épisode a marqué de manière indélébile les esprits, non seulement en raison du nombre de victimes, 70'000 chaque mois, mais également par le fait que 70% des poilus de l’armée française se sont succédé dans les tranchées, montant sur ce front par rotation. Sans compter qu’une victoire allemande à Verdun aurait permis aux soldats du Kaiser de percer la longue ligne de défense occidentale. La victoire, après dix mois d’horreur, prenait ainsi une portée symbolique ! Victoire de la France mais surtout des Français, qu’ils soient du Poitou ou du Dauphiné, de Provence ou de Bretagne. Cette bataille ne pouvait que rentrer dans la légende, une geste héroïque qui allait sonner dans les esprits des contemporains de la Seconde Guerre mondiale comme le cor de Roland à Roncevaux, évocation d’une gloire passée appelée à être convoquée une nouvelle fois sur les plaines de l’Histoire, face au vieil ennemi.

Mais si le sort des armes à Verdun favorisa la France, c’est en partie grâce à deux autres confrontations, celle de la Somme, menée par les Britanniques épaulés de régiments français. Une bataille plus courte que Verdun, mais simultanée – du premier juillet au 18 novembre – qui allait obliger l’Allemagne à se départir de forces vives sur le premier front. Le nombre de victimes allait être supérieur à celui de Verdun, un million d’hommes, morts, portés disparus ou blessés, une hécatombe au son de la cornemuse témoignant de l’âpreté des combats. Et, troisième bataille, méconnue pour nous autres francophones, celle de Broussilov, nom éponyme du général russe Alexei Broussilov qui allait lancer le 4 juin une offensive gigantesque sur le front de l’Est, en Gallicie, contre les armées allemandes et austro-hongroises. Un déplacement stratégique sur l’échiquier des nations en guerre puisque cette attaque avait été prévue en décembre 1915 pour coïncider avec l’assaut anglais dans la Somme, afin de soulager les Français soumis à l’immense machine de guerre germanique.

En partie occupées dans le Trentin contre les Italiens, les armées des Empires centraux allaient devoir réagir à une offensive s’étalant sur 150 kilomètres, composée des 3e, 7e et 8e armées du Tsar. 2'000 pièces d’artillerie russes allaient ouvrir le début de l’engagement en crachant la mort, faisant s’écrouler le front de Galicie en deux jours. Les cosaques de Kuban, les tirailleurs de la Volga, l’ensemble des réserves de Broussilov allaient s’engouffrer dans la brèche, balayant au passage la contre-offensive organisée par l’Allemagne qui avait rappelé des unités de Verdun et du Trentin pour résister à cette marée qui ne devait s’arrêter que devant les Carpathes à la fin du mois de juillet.

Le succès de cette offensive, autant que l’engagement dans la Somme, allaient avoir des répercussions militaires sur l’ensemble du continent, permettant de mettre un coup de frein à l’avance austro-hongroise en Italie, autant que de diminuer la pression allemande à Verdun, donnant l’occasion aux Français de repousser un ennemi coincé entre le marteau et l’enclume. Plus d’un million de Russes allaient être mis hors de combat au cours de cette déferlante, empêchant toute poursuite de la percée. 800'000 soldats allemands et austro-hongrois allaient être tués ou capturés.

Que l’on se souvienne donc de Verdun et de ses morts, qu’ils soient allemands ou français, mais n’oublions pas que la conclusion de cette grande bataille a été rendue possible par des sacrifices dans la Somme et en Pologne, ainsi que par des alliances, tellement improbables de nos jours. 

Les dangers de la logique des alliances

La Russie « regrette » le rejet de sa résolution à l’ONU, ce 20 février, résolution qui visait à faire cesser les opérations militaires de la Turquie en Syrie[1]. Des opérations visant des combattants kurdes, déclenchées par le récent attentat d’Ankara, commis, selon le gouvernement Erdogan, par le PKK. Kurdes dont d’autres mouvances, tel les YPG et les Peshmergas, contrôlent la frontière syro-turque et luttent avec l’aide de Washington contre ISIS.

La France et les USA, notamment, ne sont donc pas entrés en matière sur la proposition de Moscou, en rappelant que la Russie bombarde depuis plusieurs semaines des bases de rebelles syriens aidés par les Occidentaux dans leur lutte contre ISIS.

À se demander qui défend qui dans ce maelstrom militaire, diplomatique et humanitaire ? À se demander également si l’Occident se rappelle que ce sont les Kurdes, hommes et femmes, qui luttent sans doute le plus âprement contre les criminels de l’État islamique.

On peut se demander surtout si la non entrée en matière de l’ONU sur la résolution russe ne fera pas date et ne légitimera pas une radicalisation des actions russes au Proche-Orient, ce d’autant plus que ce camouflet vient s’ajouter aux mesures de rétorsion économiques prises par l’Occident contre Moscou dans l’affaire ukrainienne[2] ?

Il y a cent ans, presque jour pour jour, débutait la bataille de Verdun, 70'000 victimes chaque mois, dix mois durant. L’enfer ! L’Europe ferait bien de s’en rappeler avant que le jeu des alliances ne s’enclenche et ne puisse revenir en arrière, comme en 1914 ! Quant à l’ONU, peut-être ferait-elle bien de ne pas imiter la Société Des Nations qui s’était montrée incapable de réagir à la montée des tensions avec l’Allemagne dans les années 30 !

Le poids de l’histoire pèse certainement sur la Russie, l’impérialisme des Tsars et plus encore l’ère bolchevique restent dans les mémoires, et notamment dans les mémoires de certains pays comme la Pologne, dont les tendances de plus en plus ultra-nationalistes s’expriment facilement au travers des anciennes haines.

Mais qui en Europe peut être susceptible d’une telle prise de conscience, et de trouver des solutions médianes permettant à Moscou de sortir la tête haute du bourbier de Crimée, et de calmer le jeu en Syrie ? Une équation difficile à résoudre, ce d’autant plus qu’aux intérêts qui travaillent le cénacle de l’ONU répondent ceux de l’Union européenne dont onze de ses membres appartenaient jadis à l’orbite soviétique.

 


[1] www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/02/20/face-a-la-turquie-la-russie-soumet-une-resolution-au-conseil-de-securite-de-l-onu_4868808_3218.html

[2] http://www.hebdo.ch/les-blogs/vuilleumier-christophe-les-paradigmes-du-temps/l%E2%80%99effet-papillon

 

Epitaphe

Umberto Eco est tombé dans le passé, il s’en est allé retrouver ses personnages de fiction, Casaubon et Guillaume de Baskerville.

Philosophe, linguiste, écrivain, détenteur d’une érudition immense, célèbre grâce, notamment, à deux de ses œuvres, Le Nom de la rose, et Le Pendule de Foucault, il était l’un des plus grands ambassadeurs des Lettres de notre époque. Sa notoriété, il l’a devait non seulement à son savoir et au succès de ses livres, mais également à la place que les medias lui donnaient dans nombre de débats de notre temps.

C'est un homme de raison, un représentant de l'humanisme qui nous quitte. Son départ laissera un vide….

L’effet papillon

À la fin 2013, l’Ukraine renonçait à signer l’accord d’association avec l’Union européenne entraînant en peu de temps des manifestations populaires et la destitution, le 22 février 2014, du président ukrainien Viktor Ianoukovytch. En réaction à la crise, la Crimée allait proclamer son indépendance et choisir de se joindre à la Russie, laquelle allait évidement accepter le rattachement, initiant une crispation diplomatique internationale. Dans le même temps, d’autres provinces ukrainiennes comme le Donbass allaient organiser à leur tour des referendums d’auto-détermination dans le but de sortir du giron ukrainien. La situation allait s’aggraver avec des opérations d’intimidation, provoquant, le premier mars 2014, une intervention militaire de la Russie qui venait répondre à la demande de la Crimée devenue une république autonome.

Cette dernière, depuis toujours un emplacement stratégique majeur pour la Russie, abrite non seulement la base navale de Sébastopol qui garantit aux navires russes un accès à la méditerranée, mais elle assure également la maîtrise de la mer d’Azov, verrouillée par le détroit de Kertch qui donne au maître de ce passage la main sur les vastes gisements d’hydrocarbures de cette mer[1]. La Crimée revêt ainsi pour Moscou un intérêt militaire mais également financier de première importance.

Une importance qui n’échappe pas à l’Occident depuis plus d’un siècle. De 1853 à 1856 l’Empire des Tsars avait été confronté à une coalition formée par l’Empire ottoman, la France, l’Angleterre et le royaume de Sardaigne dans ce que l’histoire a retenu comme étant la Guerre de Crimée. Le conflit se déroula essentiellement autour de la base navale de Sébastopol, se terminant par une défaite de la Russie. À la sortie de la Première Guerre mondiale, la France et l’Angleterre devaient à nouveau prendre pied dans cette région du monde en se répartissant les territoires en sphères d’influence jusqu’à leur conquête par l’armée rouge[2].

L’histoire se répète dirait-on puisque l’Union européenne, soutenue par les États-Unis, condamne la domination russe en Crimée, en imposant à Moscou des sanctions économiques de manière progressive depuis le mois de mars 2014[3].

Sur le terrain, la situation semble enlisée, liée à des enjeux de diplomatie internationale. Un bras de fer qui se joue entre deux adversaires, l’Occident et la Russie, impliquant, comme dans toutes les guerres, des victimes et des factions instrumentalisées.

Une guerre en lien avec celle qui ravage la Syrie. Là également, la Russie joue un rôle prépondérant en soutenant le régime de Bachar el-Assad, et en intervenant militairement sur un champ de bataille aux acteurs multiples. Domination territoriale, rivalités ethniques, oppositions politiques, fascisme religieux, maîtrise des ressources pétrolières, la pétaudière est absolue. Certains voient dans les deux conflits une volonté expansionniste de la Russie de Vladimir Poutine, d’autres une guerre du pétrole, nouvel épisode dans la course à l’énergie qui a débuté il y a plus d’un siècle. Une conséquence qui demeure pourtant certaine, c’est l’effet papillon de la guerre syrienne qui entraîne depuis une année un exode de population sur les chemins de l’Europe. Une fuite accentuée par la destruction des structures de santé, en recrudescence depuis l’intervention militaire russe en septembre dernier[4].

Encouragée ou non par la Russie, la migration d’un million de personnes en Europe en 2015 génère une situation de crise importante dans de nombreuses régions qui doivent répondre à des problématiques humanitaires, sociales, sécuritaires et économiques mais également politiques puisque cette arrivée massive éveille nombre de susceptibilités nationalistes. Est-ce là une stratégie de la Russie face aux sanctions économiques prises à son encontre par l’Europe depuis une année ? Dès lors, une détente de la situation ukrainienne permettrait-elle de diminuer le flux de réfugiés syriens, et de réduire la pression sur l’Europe autant que les souffrances de ces malheureux ? Une harmonisation des rapports internationaux permettrait quoi qu’il en soit d’éradiquer plus sûrement les criminels de l’État islamique !


[1] http://www.tdg.ch/monde/europe/marioupol-controle-petrole-mer-azov/story/10501727

[2] Christophe Vuilleumier, « Raymond Charles Pyramus de Candolle (1864-1935) », La Lettre de Penthes (nov. 2015), pp. 17-21.

[3] http://europa.eu/newsroom/highlights/special-coverage/eu_sanctions/index_fr.htm

[4] http://www.lemonde.fr/international/article/2016/02/16/en-syrie-les-hopitaux-sont-cibles-afin-de-faire-fuir-les-populations-civiles_4865948_3210.html

 

Les miasmes du pathos

Nous assistons à un choc de civilisations, c’est une évidence. L’afflux en masse de réfugiés, ou de migrants, pèse obligatoirement dans la balance socio-économique et culturelle de la région hôte. Le poids des mots pèse également dans la compréhension d’un événement de cette nature et dans les réactions qu’il entraîne.

Si l’on peut exclure le principe d’une conquête militaire en règle comme celles des Romains, on pourrait se demander s’il s’agit d’un envahissement progressif, comme lors des grandes invasions barbares, lorsque Huns, Alains, Wisigoths, Sarrasins puis Vikings se succédèrent en Europe ? Ou s’agit-il d’un flux migratoire comme les Germains dans l’Empire romain venus chercher des terres fertiles, ou les Européens qui partirent pour le Nouveau Monde ?

Certains le pensent !

À moins qu’il ne soit question simplement de réfugiés fuyant des zones soumises à la guerre et aux exactions, comme lors des deux guerres mondiales. La réalité de cet événement est claire pour la plupart d’entre nous, quels que soient les termes utilisés, les horreurs commises quotidiennement en Syrie sont un argument indéniable !

Cela étant, un tel flux de population ne peut que marquer son passage. L’arrivée des colons, pourtant pacifiques, en Amérique du Nord a entraîné des millions de morts[1] et la spoliation de près de 70 millions d’hectares au cours du XIXème siècle[2]. Un exemple fort mais qu’il convient de pondérer, puisque si l’histoire peut évoquer d’autres phénomènes de cette nature, les comparaisons restent toujours difficiles, voire dangereuses, tant les contextes socio-politiques, technologiques ou économiques autant que les champs de références, les valeurs et les croyances divergent.

S’il s’agit d’univers différents impliquant des dynamiques parfois contradictoires, il demeure toutefois possible de mettre en lumière au travers de l’histoire des récurrences, comme l’appréhension de l’altérité faite autant de curiosité que d’hostilité, l’inconnu générant attrait ou crainte de part et d’autre. Le cas de l’émigration en Amérique du Nord l’atteste de manière spectaculaire.

N’est-il pas nécessaire de dépasser ces réflexes empreints de passions et d’avancer, d’agir en lieu et place de réactions émotionnelles faites plus de pathos que de raison ? Ne faut-il pas dépasser les clivages politiques habituels qui nous font tomber dans l’évangélisme ou dans le rejet ? Henri Dunant, Gustave Ador ou Eglantyne Jebb auraient certainement tous trois souscrit à l’idée d’une politique ferme et humaniste en défendant autant les victimes venues chercher refuge que les principes de nos démocraties. Un député genevois, philosophe de formation à la plume acérée, le rappelait il y a peu : « Nous ne défendons plus clairement les principes de notre république et nous abdiquons devant les exigences des autres civilisations, en oubliant les combats et les défaites qu'il a fallu endurer avant d'obtenir nos actuels avantages démocratiques ». Affirmer nos valeurs ne revient pas à les imposer par la force mais à les faire respecter par le droit et l’équité. Affirmer nos valeurs revient à éviter les égarements des uns ou des autres, et à poursuivre les extrémismes quels qu’ils soient. Affirmer nos valeurs revient à reconnaître qu’une identité culturelle ne vaut pas mieux qu’une autre, tout en donnant la possibilité au nouvel arrivant de comprendre ce qui lui est inconnu, et pour nous de le reconnaître en tant qu’héritier d’une tradition aussi respectable que la nôtre.

 


[1] Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique : la Question de l’autre, Paris, éd. Seuil, 1982. David Stannard, American Holocaust: The Conquest of the New World, Oxford University Press, 1992.

[2] Imre Sutton, Indian land tenure : bibliographical essays and a guide to the literature, New York, Clearwater Publ. Co., 1975.

 

Les forces de l’ordre dans le chaos

« L’ordre dans la guerre, gendarmeries et polices européennes face à la Première Guerre mondiale », c’est le nom du colloque qui s’est tenu ces derniers jours à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale de Melun.

Des historiens de la police et de la Première Guerre mondiale se sont donné rendez-vous il y a quelques jours à Melun, à l’initiative de l’université de la Sorbonne, de l’université catholique de Louvain et du Centre de recherche de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale. Si l’événement est passé inaperçu pour le grand public, la communauté internationale des historiens a, quant à elle, été largement sollicitée puisque c’est de France, d’Allemagne, de Belgique, d’Angleterre, d’Italie, de Serbie, de Nouvelle-Zélande, d’Australie, de Grèce et de Suisse que les spécialistes sont venus expliquer l’état de leurs recherches. Ce colloque, pour reprendre les mots de Guillaume Payen, l’un de ses organisateurs, « veut ouvrir de nouvelles perspectives plutôt que d'apporter des réponses complètes et définitives sur un champ historiographique particulièrement vaste, complexe, nouveau : les forces de l'ordre européennes, en un contexte, la guerre totale, par excellence propice au désordre, en s'intéressant à leur diversité, de la police militaire à la police civile, du front à l'arrière, des belligérants aux neutres, des métropoles aux empires ».

Participation guerrière de certaines gendarmeries, répression des tendances anticonformistes, polices secrètes, lutte contre le contre-espionnage ou les comportements déviants des soldats sur le front, les sujets ont été nombreux et variés, à l’image des cas de figure de chacun des pays représentés au sein de ce colloque.

Il eut été possible de nommer ce dernier « Les forces de l’ordre dans le chaos » tant la Première guerre mondiale fut un temps de bouleversement. Une thématique étrangement contemporaine si l’on songe à la problématique des réfugiés, ou faudrait-il dire, aux problématiques des réfugiés, que nous vivons actuellement en Europe, tant il est vrai que chaque pays, chaque région, connaît des réalités et des réactions différentes. La présence au colloque du professeur Olivier Forcade, une sommité en matière d’histoire du renseignement, qui a, il y a quelques années, organisé un autre colloque, sur l’histoire des réfugiés en Europe celui-ci[1], pourrait d’ailleurs souligner cet aspect.

La réponse policière à une crise d’ampleur internationale demeure, hier comme aujourd’hui, un point particulièrement sensible, marquée par son temps et inscrivant dans ce dernier ses contours les plus généreux, les plus héroïques, ou les plus cruels.

Car au-delà des décisions politiques ou des tendances populaires, la mémoire collective retient principalement les actes, qu’il s’agisse d’une haie de barbelés aux confins des Balkans, du sauvetage d’enfants en mer Égée, de l’arrestation d’un général de la Légion étrangère, ou des soldats français de 14-18 escortés par des gendarmes et exécutés pour trahison !

 


[1] Olivier Forcade (dir), Les Réfugiés en Europe du XVIe au XXe siècle, actes du colloque du centre d'histoire des sociétés, des sciences et des conflits de l'Université de Picardie, tenu à Amiens les 23 et 24 mars 2007, Paris, nouveau monde éditions, 2008.