L’effet papillon

À la fin 2013, l’Ukraine renonçait à signer l’accord d’association avec l’Union européenne entraînant en peu de temps des manifestations populaires et la destitution, le 22 février 2014, du président ukrainien Viktor Ianoukovytch. En réaction à la crise, la Crimée allait proclamer son indépendance et choisir de se joindre à la Russie, laquelle allait évidement accepter le rattachement, initiant une crispation diplomatique internationale. Dans le même temps, d’autres provinces ukrainiennes comme le Donbass allaient organiser à leur tour des referendums d’auto-détermination dans le but de sortir du giron ukrainien. La situation allait s’aggraver avec des opérations d’intimidation, provoquant, le premier mars 2014, une intervention militaire de la Russie qui venait répondre à la demande de la Crimée devenue une république autonome.

Cette dernière, depuis toujours un emplacement stratégique majeur pour la Russie, abrite non seulement la base navale de Sébastopol qui garantit aux navires russes un accès à la méditerranée, mais elle assure également la maîtrise de la mer d’Azov, verrouillée par le détroit de Kertch qui donne au maître de ce passage la main sur les vastes gisements d’hydrocarbures de cette mer[1]. La Crimée revêt ainsi pour Moscou un intérêt militaire mais également financier de première importance.

Une importance qui n’échappe pas à l’Occident depuis plus d’un siècle. De 1853 à 1856 l’Empire des Tsars avait été confronté à une coalition formée par l’Empire ottoman, la France, l’Angleterre et le royaume de Sardaigne dans ce que l’histoire a retenu comme étant la Guerre de Crimée. Le conflit se déroula essentiellement autour de la base navale de Sébastopol, se terminant par une défaite de la Russie. À la sortie de la Première Guerre mondiale, la France et l’Angleterre devaient à nouveau prendre pied dans cette région du monde en se répartissant les territoires en sphères d’influence jusqu’à leur conquête par l’armée rouge[2].

L’histoire se répète dirait-on puisque l’Union européenne, soutenue par les États-Unis, condamne la domination russe en Crimée, en imposant à Moscou des sanctions économiques de manière progressive depuis le mois de mars 2014[3].

Sur le terrain, la situation semble enlisée, liée à des enjeux de diplomatie internationale. Un bras de fer qui se joue entre deux adversaires, l’Occident et la Russie, impliquant, comme dans toutes les guerres, des victimes et des factions instrumentalisées.

Une guerre en lien avec celle qui ravage la Syrie. Là également, la Russie joue un rôle prépondérant en soutenant le régime de Bachar el-Assad, et en intervenant militairement sur un champ de bataille aux acteurs multiples. Domination territoriale, rivalités ethniques, oppositions politiques, fascisme religieux, maîtrise des ressources pétrolières, la pétaudière est absolue. Certains voient dans les deux conflits une volonté expansionniste de la Russie de Vladimir Poutine, d’autres une guerre du pétrole, nouvel épisode dans la course à l’énergie qui a débuté il y a plus d’un siècle. Une conséquence qui demeure pourtant certaine, c’est l’effet papillon de la guerre syrienne qui entraîne depuis une année un exode de population sur les chemins de l’Europe. Une fuite accentuée par la destruction des structures de santé, en recrudescence depuis l’intervention militaire russe en septembre dernier[4].

Encouragée ou non par la Russie, la migration d’un million de personnes en Europe en 2015 génère une situation de crise importante dans de nombreuses régions qui doivent répondre à des problématiques humanitaires, sociales, sécuritaires et économiques mais également politiques puisque cette arrivée massive éveille nombre de susceptibilités nationalistes. Est-ce là une stratégie de la Russie face aux sanctions économiques prises à son encontre par l’Europe depuis une année ? Dès lors, une détente de la situation ukrainienne permettrait-elle de diminuer le flux de réfugiés syriens, et de réduire la pression sur l’Europe autant que les souffrances de ces malheureux ? Une harmonisation des rapports internationaux permettrait quoi qu’il en soit d’éradiquer plus sûrement les criminels de l’État islamique !


[1] http://www.tdg.ch/monde/europe/marioupol-controle-petrole-mer-azov/story/10501727

[2] Christophe Vuilleumier, « Raymond Charles Pyramus de Candolle (1864-1935) », La Lettre de Penthes (nov. 2015), pp. 17-21.

[3] http://europa.eu/newsroom/highlights/special-coverage/eu_sanctions/index_fr.htm

[4] http://www.lemonde.fr/international/article/2016/02/16/en-syrie-les-hopitaux-sont-cibles-afin-de-faire-fuir-les-populations-civiles_4865948_3210.html

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.