Des sciences humaines qui pourraient apporter des solutions aux problèmes de notre temps

Guerres et déstabilisation aux portes de l’Europe ; attentats terroristes ; vague réactionnaire dans de nombreux pays ; crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ; modification de la politique monétaire entraînant des effets encore largement mésestimés sur les équilibres de notre pays ; délitement de l’Union européenne ; modifications climatiques ; économie vacillante ; explosion des assurances maladies dont la hausse représente une augmentation de 159% au cours de ces vingt dernières années, une crise en soi ; accession à la Maison Blanche d’un homme dont on craint les excès et leurs répercussions sur le Vieux continent ; presse oscillante entre monopoles et rentabilité ; information, désinformation, surinformation, jusqu’à l’espionnage dont le spectre grimaçant revient nous hanter au travers de lois fédérales. Les crises se succèdent ces dernières années à une fréquence de plus en plus rapide, modifiant notre vision de la société et nos champs de références, plongeant dans une pseudo-catharsis nombre de personnes qui trouvent dans les grands débats qui polarisent l’attention des medias des réponses à leurs attentes obsidionales.

Dans une Suisse de plus en plus orthonormée aux contraintes imposées par la Confédération qui développe un arsenal d’ordonnances dont la nature restrictive s’accroît depuis des années – Via Secura est là pour nous le rappeler si besoin était – la délicate illusion de confiance s’estompe peu à peu, dévoilant une part d’ombre que ni nos politiciens, ni les promoteurs de l’entertainment ne parviennent plus à contenir. Le Baromètre des préoccupations du Crédit Suisse 2016 confirme cette tendance avec son inventaire à la Prévert des anxiétés de la population suisse : chômage, question des étrangers, prévoyance sociale, etc…[1].

Et si la médecine fait des progrès tous les cinq ans grâce aux investissements considérables consentis notamment par le Fonds National de la Recherche scientifique[2], ni les écoles polytechniques, ni les universités n’ont encore réussi à dégager des solutions crédibles pour encadrer des phénomènes sociaux jugés pourtant inquiétants par de nombreuses entités publiques. Nombre de ces problèmes sont évidemment pris en charge par les autorités qui appliquent des politiques plus ou moins efficaces, mais il est édifiant de constater que les moyens octroyés aux sciences humaines et sociales par les financiers habituels des disciplines universitaires sont systématiquement marginalisés alors même que plusieurs défis que la Suisse doit relever appartiennent à leurs champs d’expertise.

Nombre des difficultés dans lesquelles s’englue la société pourraient en effet trouver des éléments de solutions au travers des réflexions basées sur des sciences comme la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, voire la philosophie, des champs d’étude qui permettent de contextualiser des problématiques et de prendre du recul, et qui pourraient déterminer des pistes menant à des issues s’inscrivant dans le long terme, viables et éthiques, ainsi que respectueuses de nos traditions démocratiques. Sciences humaines et sociales, l’appellation même de ces disciplines évoque la nature de leur champ d’application !

Mais [sic semper tyrannis], savants de cathèdre et vieilles lunes d’un monde universitaire de plus en plus sclérosé, soumis aux volontés d’un Secrétariat d'État à la formation, à la recherche et à l'innovation corsetées dans un schématisme administratif unilatéral, ne développent le plus souvent, pour citer l’écrivain Édouard Alletz, des idées qu’au profit de leur ambition et bien plus rarement de l’ambition au profit de leurs idées.


[1] https://www.credit-suisse.com/ch/fr/about-us/media/news/articles/media-releases/2016/11/fr/credit-suisse-worry-barometer.html

[2] https://www.bfh.ch/fileadmin/docs/campus/international/campus-switzerland-f.pdf

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.