Imperator Caesar D. J. Trump

En mars 180 de notre ère, l’empereur philosophe Marc Aurèle mourait, laissant Rome aux mains de son héritier, Commode. Cultivé et réfléchi, le monarque stoïcien avait fait face à des guerres sur tous les fronts, protégeant les frontières de son empire contre les invasions tout en ne parvenant pas à juguler le conflit contre les germains Marcomans. Inquiet des questions de santé publique, Marc Aurèle avait déployé des moyens considérables pour enrayer la peste qui faisait alors des ravages. Humaniste, concerné par les questions de l'exclusion, de l’éducation et de l'indigence, il avait fondé des écoles afin d’y accueillir cinq mille jeunes filles pauvres.

Son successeur, Commode, prit l’exact contre-pied de son père en consacrant son règne dans le sang et la folie. Flattant les habitants de Rome, favorisant l’armée autant que la plèbe, dépensant des fortunes en cadeaux pour s’attirer les faveurs, il signa plusieurs décrets pour assurer la stabilité de l’approvisionnement de la capitale, n’hésitant pas à sacrifier ses préfets en 189 par une foule ivre de colère. Le pouvoir allait aggraver la mégalomanie du despote. Il renomma non seulement toutes les institutions, mais encore le nom des mois, jusqu’à Rome qu’il rebaptisa Colonia Lucia Annia Commodiana. Ses délires de grandeur trouvèrent leur quintessence sur le sable de l’arène ou, pour plaire à une foule adulant un empereur féroce, il allait achever fauves et gladiateurs. En 192, le tyran devenu dangereux même pour les siens, devait trouver la mort dans son bain, étranglé par un esclave payé par ses proches !

Voilà une succession qui en rappelle d’autres, plus proches de nous. L’intronisation de l’Imperator Caesar D. J. Trump, aura sans été celle soulevant le plus de craintes dans l’histoire des États-Unis. Non pas que le nouveau président américain veuille rebaptiser Washington en Trumpcity ou catcher au Madison Square Garden, mais ses promesses électorales, qui résonnent comme des menaces pour de nombreux Américains autant que pour les peuples du monde, prophétisent une potentielle apocalypse. Les choix du milliardaire pour son cabinet sont d’ailleurs des plus emblématiques avec un vice-président, Mike Pence, évangéliste, considéré comme un soutien inconditionnel d’Israël ayant passé une loi homophobe dans l’Indiana ; un Attorney General, Jeff Sessions, ayant reproché à un avocat blanc de faire « honte à sa race » en défendant des clients noirs ; ou une secrétaire à l’éducation, Betsy DeVos, dont le frère est le fondateur de la société de mercenaires Blackwater. Trump représente-t-il donc un risque pour l’espèce humaine comme le prétend Noam Chomsky ? Il semblerait que le président mexicain qui compare la «rhétorique stridente» de Trump à l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler se soit fait un avis sur la question, tout comme les centaines de milliers de personnes qui protestent dans toutes les grandes cités des cinq continents. Et à entendre le discours de l’Imperator, cela semble une évidence :

« Ensemble, nous déterminerons la trajectoire de notre pays et celle du monde pour de nombreuses années à venir… Nous promulguons un nouveau décret qui devra retentir dans toutes les villes et toutes les capitales du monde….L’époque des palabres inutiles est révolue. C’est le moment d’agir. Ne permettez à personne de vous dire que c’est impossible. Aucun défi ne peut être plus grand que l’esprit combatif américain. Nous n’échouerons pas. Notre pays redeviendra de nouveau prospère. Nous sommes au seuil d’un nouveau millénaire; une nouvelle ère commence, qui devra ouvrir de nouveaux horizons et nous permettre de panser nos plaies et de mobiliser nos énergies pour faire prospérer nos industries et concevoir les technologies de demain…Une nouvelle fierté nationale nous étreint pour élargir nos horizons et surmonter nos divisions. Rappelez à votre mémoire cette sagesse ancestrale, que nos soldats n’oublieront jamais, selon laquelle, que nous soyons noirs, basanés ou blancs, nous avons le même sang rouge du patriotisme qui coule dans nos veines. Nous jouissons tous des mêmes libertés glorieuses et nous saluons tous le même drapeau américain ». Les mots d’Hitler (Mein Kampf) flottent indistinctement dans l’air « Le même sang appartient à un même empire ».

Comparaison n’est pas raison diront certains, les principes étayant l’argumentaire de l’archange de la démagogie devenu président étant exprimés par des mots forgés pour plaire à la plèbe. Cela étant, « I dont want to promise that this resurrection of our people will happen by itself. We want work again, but the […] people themselves must help. Everything is rooted in our own will, and our own work. We ourselves have to lead the people back to our own work, our own industry. Give us four years and I swear to you, just as we and just as I have taken this office, I will give it up again ». Cette dernière citation n’est pas de Donald Trump, mais est un extrait du discours d’Adolf Hitler devant le Reichstag en 1933, traduit en anglais par les services de renseignement américain durant la guerre… On pourrait s’y méprendre tant le message donné aux peuples est similaire.

Que nous réserve l’avenir dans ce monde qui vient de basculer et dont nous découvrirons progressivement le nouveau visage ? Personne ne le sait vraiment, mais il semble évident que le Vieux Continent a tout intérêt à s’entendre rapidement pour s’affirmer et défendre ses démocraties et ses cultures face à une Amérique échouée, vouée pour plusieurs années aux démons d’un radicalisme que seuls les plus anciens d’entre nous ont déjà connu. 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.