En découvrant le “leadership spirituel”, on aurait pu s’attendre à une forme de leadership fondé sur l’humour, l’autodérision et le troisième degré. En fait, ça rigole pas du tout. C’est très sérieux cette affaire. Et si l’on rit, c’est de désespoir. Voyage au coeur du New Age et du quantique appliqué au leadership.
On s’était arrêté au leadership transformationnel comme dernier avatar des approches sur la conduite des organisations. On en avait déduit que pour transformer les organisations, le Leader devait se transformer pour mieux transformer ses suiveurs à coup d’inspiration, de motivation, de bienveillance et de considération. Ça faisait quand même beaucoup à assimiler. Sauf que, voilà que ce leadership est “disrupté” par une nouvelle déclinaison : le leadership spirituel. Mais alors Koitèce ?
“Le but du leadership spirituel est de toucher les besoins fondamentaux du leader et des collaborateurs en matière de bien-être spirituel par l’appel et l’adhésion.” (Voynnet-Fourboul 2014 : 64)
Au coeur de cette approche on retrouve les concepts de passages (étapes et épreuves franchies que rencontre un leader dans une organisation à l’aide de sa spiritualité) et d’alignement (“être cohérent dans ses émotions, son esprit, son corps, son âme au sein d’une identité que l’on peut affirmer au monde” Voynnet-Fourboul 2014 : 82). C’est donc en initiant un “cheminement spirituel” qui consiste en trois étapes : purification (de la pensée, des mots et des actes), illumination, unification que l’on renforce son leadership spirituel à coup de “méditation zazen, rebirth, cri prima, respiration holotropique, gestalt thérapie, thérapie brève, généalogie et tarologie, massages, psychanalyse, constellation familiales ou d’entreprises” (Voynnet-Fourboul 2014 : 84). Vous avez l’impression que cela fait un peu fourre-tout ? C’est que vous êtes trop rationaliste, trop français, trop cartésien en somme. C’est vrai, “la rationalité peut constituer une limite au développement de la spiritualité” (Voynnet-Fourboul 2014 : 224). Elle risque même de rendre ce bazar conceptuel et théorique un poil délirant et surtout assez dangereux, comme nombre de pratiques spirituelles proposées dans les organisations, en formation ou en coaching. Jugez-en.
Le leadership sub-atomique
Ce qu’il y a de bien avec le quantique, c’est que c’est un condiment qui va avec tous les plats. C’est l’exhausteur de saveurs universel. Voici donc que certains faits scientifiques peuvent être reliés “au champ métaphorique inspirant la spiritualité et la gestion” (Voynnet-Fourboul 2021 : 25). Ah ben si on est dans le “champ métaphorique“, alors on ne raconte pas n’importe quoi et surtout on peut se passer de toute rigueur ou de sérieux, puisqu’on vous dit qu’on est dans l’image, dans l’inspiration et dans l’analogie.
“Les scientifiques, notamment quantiques, nous apprennent en outre que cette “mer psychique dans laquelle nous baignons” est riches de propriétés qui dépassent de loin celle de la matière. Le temps n’y existe pas, les informations y circulent plus vite que la vitesse de la lumière, et tout y est relié. Il ne s’agit pas de dire que nous, êtres humains, dans notre dimension physique, disposons de ces propriétés. Mais que notre conscience individuelle, elle, tout comme le champ de conscience collectif, dispose de ces potentialités.” (Baranski 2021 : 49)
On est rassuré d’apprendre que cette approche est enseignée par l’auteure dans une université publique (Panthéon-Assas) dans le cadre d’un programme de Master “Coaching et développement personnel en entreprise”…
“Le cerveau gauche est très rassurant, il quantifie, pèse, mesure, compte… mais il nous rend aussi malheureux car il nous projette dans un passé amer, et un futur incertain, et nous empêche de vivre l’instant présent. L’hémisphère droit, lui est plus imaginatif, créatif, intuitif et permet d’accéder à toutes nos perceptions extrasensorielles, il est quantique en dehors de l’espace-temps (non local et dans l’intrication)…” (Martin 2021 : 53)
Cela ne doit pas être très agréable d’avoir la moitié de son cerveau hors de l’espace-temps, pendant que l’autre moitié me rend malheureux. Non, mais puisqu’on vous dit qu’on est dans un “champ métaphorique” aucun besoin d’argumenter, de donner des références bibliographiques solides !
Je vous présenterais bien encore la “Schématisation de la Structure-Temple modèle Fractal en “n” éléments” (Pasquier 2021 : 304), mais je suis pas sûr que vous soyez prêt. Faut pas rigoler avec ces choses-là. Faut être “avancé” au niveau illumination pour saisir et pas se faire une entorse du cerveau gauche.
Moralité, Vertus et entreprises
Mais au fait, c’est censé servir à quoi ce délire ? A rendre les individus et les organisations moraux ! Sauf que faut pas dire moral, parce que c’est un peu… moralisateur. Alors on parle de “vertus” ou de valeurs. Et celles-ci sont l’apanage des leaders spirituels (Voynnet-Fourboul 2014 : 149) : sagesse, courage, humanité, justice, tempérance, transcendance etc.
“Un faible développement spirituel est marqué par les attitudes suivantes : être poussé par des jalousies, des rivalités, penser ne plus à rien avoir à apprendre dans le champ spirituel, illustrer de l’autosuffisance, de la présomptions (…), prêter plus attention à soi-même qu’aux autres, manquer de charité. Telles sont les postures à dépasser dans la quête d’une maturité spirituelle. Au contraire le développement spirituel coïncidera avec l’adoption de valeurs.” (Voynnet-Fourboul 2014 : 159)
Diantre ! Heureusement de Pierre Bayle a évoqué dès 1682 la possibilité que les athées puissent être vertueux, parce que sinon c’est le bûcher pour pas mal de monde.
Et pour les organisations, avoir un leader spirituel ça présente quoi comme avantage ? Ben… c’est pas très clair en fait. Mais on peut glaner les avantages suivants : “être plus éclairé” (sic), “produire de nouveaux comportements“, “faire face aux épreuves“, “se réconcilier avec soi-même“, “attirer d’avantage les personnes qui le (le leader) côtoient“. A niveau des KPI, on est pas encore très sharp !
Skippy et brouzouf
Pas étonnant de trouver dans ce magma de bullshit, des références à Scharmer “Theory U” ou Laloux “Reinventing organizations” entre autres, dès lors que l’une des références communes à ces deux auteurs et au “leadership spirituel” est Ken Wilber et sa “théorie intégrale de la conscience” qui ne repose sur a peu près rien de sérieux et emprunte beaucoup au New Age qu’il a aussi inspiré.
Par contre, on a de quoi s’inquiéter de voir se développer, pire, de voir s’enseigner dans les établissements universitaires de telles fadaises. Il faut prendre au sérieux l’ambition des thuriféraires de ce nouvel avatar du leadership qui surfent sur la tarte à la crème de la “crise de sens” et qui visent à infiltrer les organisations :
“Mais en France les élites ont désinvesti le champ du bien commun justement chère à la spiritualité (…). Et elles sont malheureusement relayées avec un certain mépris par l’establishment médiatique au nom d’une arrogante bien-pensance et d’une idéologie qui se veut sans égale.
C’est la raison pour laquelle l’entreprise pourrait offrir une alternative en devenant une sorte de tiers lieu capable de remplir un rôle médiateur de cette dimension spirituelle qui fait défaut dans la société civile.” (Voynnet-Fourboule 2021 : 15)
Vraiment, le leadership spirituel ne fait pas rire ! Mais pas du tout !
Références :
Baranski, L. (2021). “Gouverner en cinq dimensions”, in Voynnet-Fourboul, C. (dir.) Leadership spirituel en pratiques. Cormelles-Le-Royal: Editions EMS, pp. 45-9
Martin, P. (2021). “Les états modifiés de conscience” in Voynnet-Fourboul, C. (dir.) Leadership spirituel en pratiques. Cormelles-Le-Royal: Editions EMS, pp. 52-7
Pasquier, F. (2021). ” Mobiliser la dimension du spirituel en éducation” in Voynnet-Fourboul, C. (dir.) Leadership spirituel en pratiques. Cormelles-Le-Royal: Editions EMS, p 302-8
Voynnet-Fourboul, C. (2014). Diriger avec son âme. Leadership et Spiritualité. Cormelles-Le-Royal : Editions EMS.
Voynnet-Fourboul, C. (dir.) (2021). Leadership spirituel en pratiques. Cormelles-Le-Royal: Editions EMS