On lit souvent : “La transparence accroit la confiance”. Vraiment ? Ne nous méprenons-nous pas sur les effets de la transparence sur la confiance ? Ne confondons-nous pas confiance et méfiance ? Au fond en quoi consiste “faire confiance” ?
Nos systèmes politiques, nos relations économiques, nos relations interpersonnelles (privées comme professionnelles) seraient victimes d’une crise de confiance. Pour y remédier, une même cure est souvent prescrite : la transparence. Par la magie de la lumière et de l’ouverture, la confiance serait ainsi restaurée et ragaillardie. L’affaire semble simple et l’équation frappée au coin du bon sens. Décortiquons les choses.
Fiat lux
La transparence a cette vertu de permettre à la lumière de pénétrer là où il y avait l’obscurité. “Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres“. La transparence et l’illumination qu’elle rend possible accompagnent ce désir de vérité et de relation directe au “réel”. Dans un monde perçu comme obscur et complexe, la transparence rend visible, donc compréhensible et contestable ce “réel”. Voiles et rideaux sont levés. Le “réel” nous apparaît pour ce qu’il est : “idiot”, au sens de simple, particulier, unique (Rosset, 1977 : 50). Finis les complots, les suspicions, les intrigues dissimulées par les écrans de fumée du langage, de la réthorique, du storytelling et du bullshiting. Les obstacles visuels qui nous séparaient de la réalité et du vrai ont été abattus. Les masques tombés, les fantasmes évaporés, on peut à nouveau faire confiance à nos institutions, à nos collègues, à notre hiérarchie.
Tout cela est bien beau, mais illusoire.
“Trust in me”
La confiance est un acte gratuit sans contrepartie immédiate d’un agent à un autre. C’est même “un trait structurel fondamental de notre relation au monde” (Hunyadi 2020: 13). La confiance consiste à faire le pari que le monde et les individus vont agir conformément à un comportement attendu. Je fais confiance à autrui, je fais le pari de le croire honnête et droit. J’ai foi en le fait qu’autrui va agir selon l’accord que nous avons conclu ou selon un comportement raisonnablement attendu de sa part. Il n’y a pas besoin pour cela qu’autrui se mette à nu, qu’il se dévoile, qu’il soit transparent sur ses intérêts, ses motivations, son désir ou sa stratégie : je lui fait confiance. Je lui délègue aveuglément (“avoir une confiance aveugle” est en ce sens un truisme) une partie de mon pouvoir d’agir; je me lie à cet autre en qui j’ai confiance.
La confiance en somme n’a pas besoin de transparence. Elle lui est intrinsèquement inutile. On peut certes perde confiance ou la retirer, mais lorsqu’elle se donne originellement, celle-ci n’a pas besoin, au moment de son évocation de lumière, de transparence. La confiance s’accommode de l’obscurité. Elle s’octroi originellement et se bâtit d’ailleurs sur des fondements opaques. Qui en effet octroierait sa confiance à un tiers qui avant que de vous la demander commence par se mettre à nu, à tout vous dire de lui, de ses motivations et des états d’âme et de ses allers et venues ? Non. Si je fais confiance, c’est précisément parce que je n’ai pas besoin de savoir tout cela et que je fais le pari qu’autrui agira adéquatement. Au contraire, si je sollicite d’autrui qu’il se dévoile, c’est que je ne lui fais pas confiance, que j’ai besoin d’être rassuré.
La confiance est une valeur absolue. Elle n’est pas sécable. On ne peut pas avoir “plus ou moins confiance”, comme un femme ne peut pas être “plus ou moins enceinte”. On a confiance ou on a pas confiance. Dès qu’un doute s’installe, la confiance est rompue, le soupçon règne et la dissout immédiatement pour laisser place à la méfiance. On peut perdre, ou gagner la confiance de quelqu’un, mais on ne la relativise pas. En ce sens, elle ne s’érode pas.
Alors quoi ?
Alors, l’équation est fausse. La transparence n’accroit pas la confiance pour deux raisons. D’abord, parce que la seconde n’a pas besoin de la première pour exister, bien au contraire. Ensuite, parce que comme valeur absolue, celle-ci ne saurait être augmentée ou accrue par degrés. Elle est ou elle n’est pas.
En réalité, si la transparence est un antalgique, c’est sur la méfiance qu’elle agit. La méfiance apparaît lorsque la confiance est absente, qu’elle a quitté les lieux. La méfiance se nourrit de ces voiles et de ses fumées qui obscurcissent le “réel” et qui empêchent le don univoque, le pari de la confiance. De même que la confiance ne peut être relative, la méfiance n’est pas sécable non plus. On est méfiant ou on ne l’est pas. La transparence ne soigne pas pour autant la méfiance, elle en atténue les effets néfastes. La transparence étant une quête sans fin (où s’arrête-t-elle?), elle ne soigne jamais complètement le malade; elle le soulage de sa méfiance jusqu’à ce que celui-ci est prêt à faire, à nouveau, le pari d’offrir sa confiance à autrui, aveuglément.
Nous serions bien inspirés de retenir ces éclaircissements dans nos relations professionnelles et dans nos organisations. Si la transparence n’a pas d’effet direct sur la confiance, mais plutôt sur la méfiance en en atténuant les effets nocifs, cela nous incite à :
- ne pas formuler de fausses promesses creuses autour de la confiance (“nous vous montrons tout, faites-nous/moi confiance“) qui manqueront immanquablement leur cible et contribueront à recouvrir le “réel” d’un voile de réthorique suspecte;
- ne pas s’illusionner sur les bienfaits de la transparence qui favorise moins la confiance qu’ils ne réduisent les effets de la méfiance. A croire que la transparence est seule la solution aux crises de confiance, on s’illusionne et l’on instaure un mensonge;
- réfléchir aux conditions institutionnelles organisationnelles et managériales susceptibles de favoriser l’établissement de la confiance qui est reste un pari, un acte univoque et fondé sur une part plus ou moins grande d’opacité.
Pas de solution miracle, au final. Mais la quête d’une “vérité philosophique” dont la nature, comme Clément Rosset nous le rappelle, “est d’ordre essentiellement hygiénique : elle ne procure aucune certitude mais protège l’organisme mental contre l’ensemble des germes porteurs d’illusions et de folie” (1988 : 37).
Références :
Rosset, C. (1977). Le Réel. Traité de l’idiotie. Paris : Editions de Minuit.
Rosset, C. (1988). Le Principe de cruauté. Paris : Editions de Minuit.
Hunyadi, M. (2020). Au début est la confiance. Lormont : Editions Le Bord de l’eau.
Très intéressant. On a en effet, théoriquement tendance à lier la confiance à la transparence alors que dans la pratique, lorsqu’on fait confiance on ne demande pas la transparence. On n’en n’a pas besoin. On s’en fiche même complètement. C’est lorsqu’on se méfie qu’on la demande. Et je pense que lorsqu’on est un être qui fait confiance relativement facilement, et que tout d’un coup on rencontre une personne dont on se méfie, on recherche la transperce pour pouvoir « réparer » cet état émotionnel, pour pouvoir se dire: tu vois, tu peux avoir confiance, mais selon vous il s’agirait uniquement d’un emplâtre sur la méfiance et la confiance n’en naîtra pas. C’est triste mais bien possible.
Chère Joanna, Je partage votre remarque et l’idée de la transparence comme réparation de la méfiance. Je pense que la confiance peut revenir et se regagner, notamment par la transparence, mais celle-ci ne suffit pas à elle seule. La transparence étant une quête sans fin, la confiance retrouvée repose toujours ultimement sur un pari. Mon propos est aussi de réaffirmer que la confiance est première, elle est au fondement de notre relation au monde. C’est la thèse convaincante de Hunyadi dans son ouvrage.