Franc fort et exportations de produits de qualité

Le franc fort a réorienté les exportations suisses vers des produits de haute qualité. Paradoxalement, ceci n’est pas forcément une bonne nouvelle.

Les produits de haute qualité plus résilients

Le SECO a publié une série d’études analysant l’effet du franc fort sur l’économie suisse. Un de ces travaux montre que le niveau de qualité moyen des exportations suisses a augmenté.

Voilà qui semble réjouissant. Mais à y regarder de plus près la situation est nuancée, car la qualité moyenne peut augmenter pour deux raisons. Premièrement, les firmes exportant des produits de moins bonne qualité ont des marges plus faibles et ne peuvent pas supporter le franc fort. Ces firmes cessent alors d’exporter et la qualité moyenne des exportations augmente mécaniquement. Notez que dans ce cas la qualité des produits d’une entreprise spécifique n’a pas changé. Deuxièmement, la pression du franc fort peut conduire les entreprises à des efforts d’innovation pour accroître la qualité de leurs produits.

L’étude montre que la hausse de la qualité moyenne reflète le premier cas de figure, à savoir un changement de la composition des exportations des produits de moyenne qualité vers ceux de meilleure qualité, et non pas d’innovation supplémentaire. Rien de surprenant à cela, c’est exactement ce que les modèles de commerce international prédisent, comme l’étude le reconnaît pleinement.

L’innovation n’est pas nécessairement bonne

Si l’analyse ne démontre pas un accroissement de qualité au niveau d’une entreprise, on pourrait rétorquer que l’effort d’innovation porte sur d’autres aspects. Il est par exemple fréquent d’entendre l’avis que le franc fort a poussé les entreprises à accroître leur productivité.

Mais un tel investissement n’est pas forcément une bonne nouvelle. Imaginez que vous marchez tranquillement dans la rue, et que soudainement un chien féroce court vers vous en aboyant. Vous allez sans doute prendre vos jambes à votre cou pour lui échapper, et après une course effrénée vous serez en sécurité, mais clairement essoufflé. Un passant vous dis alors « ce n’est pas si grave, au moins vous avez pu faire un peu de sport ». Le remercieriez-vous pour ce commentaire ? Moi non plus.

On peut analyser à l’innovation via cette métaphore. Tout effort de recherche – développement est un investissement, avec un bénéfice et un coût. L’entreprise choisit son niveau d’innovation par une analyse coût-bénéfice, tout comme je choisis mon niveau d’activité sportive en comparant l’effort demandé et le bienfait apporté. Si l’entreprise rencontre un obstacle comme le franc fort, elle va accroître son effort d’innovation pour y répondre (le bénéfice est accru), tout comme je cours pour échapper au chien. Mais au final, elle s’en serait bien passée.

Ce raisonnement s’applique à tout obstacle que l’entreprise peut rencontrer, pas seulement le franc fort. A-t-on jamais entendu quelqu’un proposer de nouveaux impôts ou de nouvelles régulations pesant sur les entreprises sous prétexte que ceci stimulerait l’innovation ?

Un besoin de politique industrielle ?

Mon argument part de l’idée que l’entreprise choisit le niveau optimal d’innovation avant le franc fort. Peut-être n’est-ce pas le cas, et qu’il serait plus judicieux d’investir plus, tout comme je ne fais peut-être pas assez de sport.

Une intervention de l’état pour soutenir l’innovation serait alors justifiée. Mais le franc fort est une manière plutôt brute d’agir. Il serait nettement préférable de subventionner les efforts de recherche – développement par exemple.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.

2 réponses à “Franc fort et exportations de produits de qualité

  1. Je trouve dommage que la problématique du franc fort ai toujours été traité sous l’angle d’une contrainte voir d’une calamité, alors que c’est plutôt le reflet d’une économie en bonne santé et une source d’opportunités. Ce sont plutôt les pays qui ne parviennent pas à enrayer une baisse continue de leur devise qui seraient à plaindre

    J’ai l’impression que la seule réponse qu’ait donné la BNS au choc du franc fort a été d’engranger pour des milliards de titres et d’obligations du trésors d’états de la zone euro et des US. Plus concrètement, en réponse à la crise du franc, la BNS a financé des économies concurrentes.

    On peut comparer toutes ces interventions d’achats de devises pour faire baisser le franc à un celles d’un aérostier qui chercherait à ajuster la hauteur de son ballon qui chute dangereusement. Imaginons que cet aérostier dispose de sacs replis de billets de 1000.- s’il veut reprendre de l’altitude, il doit larguer du poids et va jeter par-dessus bord des sacs remplis de dizaines de million de francs suisses. La BNS fait exactement la même chose (au sens près – elle souhaite faire baisser le franc). Elle va donc larguer des centaines de sacs de francs… sauf qu’elle se charge en échange d’autant de sacs d’euros ou d’obligations européennes ! Avec ces euros échangés, la banque a à présent à sa disposition un pouvoir de rachat pour tous les francs “jetés par-dessus bord” à cours stable. Et ça les marchés le savent, ils ne sont pas idiots. Ainsi fait l’altitude de notre aérostier T. Jordan, ou le cours du CHF, ne va pas beaucoup changer comparativement aux autres devises. À moins d’un retournement de situation (que l’on observe depuis ce printemps), la véritable variable d’ajustement qui se profile pour la BNS apparaît comme étant des pertes massives.

    Sachant que de telles pertes sont une des principales soupapes qui relâchent la pression qui s’accumule sur la BNS et sur le franc (à moins d’une inflation continue de son bilan) pourquoi la banque ne ferait-elle pas comme les pompiers lorsqu’ils s’attaquent aux incendies de forêt, en allumant des contre feux. Je veux dire par là, sachant de telles pertes presque inéluctables, pourquoi ne les déclencherait-elle pas elle-même, délibérément ! Et d’une manière qui ferait qu’elles profiteraient, non pas à des investisseurs ou spéculateurs, mais à la Suisse et ses habitants qui par leur travail ont contribué intégralement à la force du franc. Un moyen qu’elle pourrait mettre en œuvre à cette fin serait de racheter sur les marchés des titres d’emprunts de la Confédération plutôt que des devises et de déclarer unilatéralement et définitivement qu’elle n’en réclamera pas le remboursement à l’échéance. Notons, que cette soupape (la masse de dette de la Confédération) représente au maximum 10% du bilan de la BNS

    Cette manière de faire a de nombreux avantages : premièrement la BNS ne devient pas ainsi comme la BCE ou la Fed un moyen pour le gouvernement de se financer, faute de recettes fiscales suffisantes. La BNS ne faisant ainsi qu’alléger le poids d’une dette contractée dans le passé, passé durant lequel l’économie toute entière a contribué au renforcement du franc. Deuxièmement les multiples dates d’échéances existantes pour les emprunts de la Confédération, entre 1 et presque 60 ans, permettraient de moduler largement l’impact d’une telle action et éviterait que celle-ci n’en reste qu’à un effet d’annonce. Par ailleurs, les comptes de la Confédération étant excédentaires depuis de nombreuses années, la période pour une telle action est la meilleure qui soit puisque qu’elle apparaîtrait comme une récompense plutôt qu’un moyen de combler des déficits récurrents. De plus cela permettrait d’envisager des investissements extraordinaires et répartis dans le temps dans des infrastructures et autres atouts qui ont fait la réussite du pays comme la recherche ou la qualité de l’environnement. Enfin annuler de la dette est la meilleure manière de répartir les “dividendes” d’un franc fort puisque la répartition se calque exactement sur l’effort de contribution exigé de chacun par la société à travers les impôts.

    Après tout, c’est exactement ce qu’a fait la Fed, suivie par la BCE et d’autres banques centrales à cela près et c’est là tout la différence que leurs gouvernements respectifs ont terriblement besoin de liquidités nouvelles tant leurs budgets sont déficitaires. Autant jouer, à notre avantage, avec les règles du jeu que les autres nous ont imposé. Il n’y a aucune raison de considérer le franc fort que comme une calamité, sur laquelle personne n’a le pouvoir d’agir. Je préfère le voir comme la récompense des effort fournis par les citoyens et l’économie, le relatif sérieux de la gestion de nos deniers publics et comme une formidable opportunité pour la Suisse de poursuivre son développement et ses investissements dans la sens d’une prospérité profitant à tous.

    1. Cher Monsieur,
      Merci pour votre commentaire.
      Vous indiquez que la BNS « a financé des économies concurrentes ». Notons cependant que l’excédent de la balance courante de la Suisse date de bien avant les interventions de la BNS. En d’autres termes l’économie suisse a depuis longtemps investi son excédent d’épargne dans les autres pays, et je ne me souviens pas que ces excédents soient critiqués comme finançant des concurrents lorsqu’ils sont faits par des investisseurs privés.
      La métaphore du ballon n’est pas adéquate car les sacs « francs suisses » sont fondamentalement différents des sacs « euros ». C’est bien là l’élément clef d’une intervention sur les marchés de changes.
      Bien entendu l’accumulation des réserves de changes, qui ne sont que le miroir de la politique monétaire, impacte le bénéfice de la BNS lorsque les taux de change bougent. Les chiffres de 2017 ne sont pas connus mais le renforcement net du dollar et de l’euro ces dernières semaines est de bon augure.
      J’avoue ne pas saisir la proposition comme quoi pour gérer le risque d’une éventuelle perte de valeur sur ses réserves la BNS devrait réaliser cette perte immédiatement. C’est un peu comme si un investisseur détenant des actions, dont le cours peut être à la hausse ou à la baisse, décidait de les vendre à perte tout de suite, se privant ainsi du potentiel de gain à la hausse. Notez en outre que si la BNS achetait des obligations de la Confédération pour ensuite y renoncer cela ne changerait rien pour les finances publiques. Cette perte sur les actifs entraînerait mécaniquement une réduction des fonds propres de la BNS, et la reconstruction de ces fonds propres impliquerait de réduire d’autant les versements du bénéfice aux Cantons et à la Confédération. Les pouvoirs publiques perdraient donc s’un côté ce qu’ils gagneraient de l’autre (en fait, le mécanisme impliquerait un gros transfert des Cantons à la Confédération, car les Cantons subiraient la baisse de la distribution des bénéfices sans bénéficier de la réduction de dette).
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

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