De Strasbourg à Paris en passant par Berlin

Envol pour Berlin en passant par Strasbourg, retour à Berne via Paris: c’est peu dire que ces derniers jours ont été européens pour moi. Européens par la situation géographique bien sûr, mais aussi par la façon d’être et d'agir de ces villes. Cependant, malgré leurs similitudes, ces dernières ont toutes une manière différente de s’appréhender et de se définir en tant que cités européennes.

Strasbourg tout d’abord. De taille humaine et cosmopolite, la bourgade traversée par l’Ill semble parfois s’excuser d’occuper une place si importante au niveau européen, oubliant ainsi que son statut historique, géographique et politique en fait l’une des cités les plus européennes de l’Union. Constamment sous les feux de la critique de ceux qui souhaitent ardemment que le siège du Parlement soit installé à Bruxelles, elle craint sans cesse de voir son statut dévalorisé au profit de la capitale belge. Toutefois, comme le rappelait l’ancienne députée européenne strasbourgeoise Catherine Trautmann dans le magazine Le Taurillon, «la question du siège du Parlement européen est une question politique qui mérite une stratégie offensive. Strasbourg doit être le centre politique de l’Union européenne et Bruxelles son espace technocratique. (…) Depuis plusieurs mois, le Parlement européen s’exprime a minima, qu’il s’agisse de la crise grecque, de la crise des réfugiés et donc de la politique de migration ou de la réforme structurelle proposée par la Commission Junker. Cette situation deviendra plus grave et permanente si le Parlement devait avoir Bruxelles pour siège unique. Il se créerait alors en pratique une sorte de «tube législatif» opaque et bureaucratique excluant encore davantage le citoyen.»[1] Il est donc crucial que Strasbourg se batte pour ses droits. Les parlementaires souhaitent ne siéger que dans un seul lieu? Qu’ils le fassent. Mais à Strasbourg.

750 kilomètres plus au nord, Berlin m’a plongée dans une toute autre atmosphère. En effet, là où Strasbourg semble avoir fait la paix avec son passé, c’est comme si chaque bâtiment, chaque pavé, chaque panneau de Berlin soutenait le poids d’une histoire trop lourde à porter, et ce particulièrement à l’est. Si cela a son charme en été, il est vrai que l’hiver couvre la capitale allemande d’un voile de tristesse qui, lorsqu’il est accompagné d’un brouillard persistant, ajoute à l’ambivalence de la ville. Cette ambiguïté semble également s’appliquer en ce qui concerne l'opinion de ses habitants sur l’Europe et les défis actuels. Comment réagir face à la politique d’accueil des migrants d’Angela Merkel et aux récents événements choquants de Cologne et Hambourg? Car on sent chez les Berlinois une grande peur de ne pas se montrer assez ouverts envers les étrangers et de voir ainsi se reproduire l’histoire récente du pays. Dans ce cadre, une prise de position objective est rendue très difficile. Quant à l’ambiance générale, bien que chaleureuse, elle paraît confinée en de petits groupes, l’extérieur étant si incertain qu’il faille resserrer les liens vers l’intérieur.

Moins de deux heures d'avion séparent Berlin de Paris et pourtant la transition est brutale. D’une capitale plongée au cœur d’un hiver froid et craintif, on passe à une ville bouillonnante et joyeuse, dont on peine à croire qu’elle a vécu l’horreur quelques semaines auparavant. Ainsi, en plein mois de janvier – certes doux pour la saison – les terrasses sont pleines, les verres aussi et les conversations animées. Présente à Paris pour assister à un concert, il m’a été donné de constater que la peur n’a absolument pas pris le pas sur la raison. Ni dans le public, ni parmi les organisateurs. En effet, l’attente pour accéder à la salle de Paris-Bercy s’est déroulée dans une ambiance bon enfant, que les deux contrôles de sécurité (brève fouille corporelle, ainsi que des sacs) n’ont pas entamée. La devise de Paris «Fluctuat nec mergitur» (le bateau est battu par les flots mais ne sombre pas) est donc bel et bien, comme souligné au lendemain des attentats, un adage qui s’applique parfaitement à la métropole tricolore.

Après Paris, retour à la case départ: Berne. En comparaison aux autres villes mentionnées ci-dessus, la capitale suisse paraît voguer sur une mer d’insouciance et de tranquillité que, contrairement à son homologue française, peu de houle ne vient secouer, si ce n'est celle causée par ses propres matelots. Bien que ce soit au sein de son palais que sont prises les décisions façonnant l’avenir européen de la Confédération, Berne n’est pas la plus européenne des villes helvétiques. Loin du cosmopolitisme de Zurich ou de Lausanne et du rôle international de Genève ou de Bâle, elle semble repliée sur sa neutralité et sa sobriété. Des plus agréables à vivre au quotidien, il lui manque cependant ce petit quelque chose qui ferait d’elle une véritable capitale à l’échelon européen. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre de la bouche des touristes de passage à Berne que «c’est une très jolie ville, mais elle ne ressemble pas à une capitale».

La conclusion de ce périple? Le peuple européen possède de multiples facettes qui lui permettront de faire face aux défis actuels. A condition bien sûr de résister aux sirènes du repli et de ne pas cesser d'espérer.

 

 

 


[1]Le Taurillon, magazine eurocitoyen: http://www.taurillon.org/trautmann-sans-concession-sur-le-siege-du-parlement-a-strasbourg (consulté le 25.01.16)

 

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.