Les réfugiés de Noël

En ce dernier dimanche de l’Avent, j’ai une pensée particulière pour les réfugiés qui fêteront Noël loin de chez eux, peut-être même dehors, avec parmi eux de nombreux enfants. Sous la forme d’un conte de Noël, j’ai imaginé ce que pourrait être, cette année, le Noël de l’un de ces enfants.

Il s'était toujours demandé pourquoi il était né cette année-là, à cet endroit et dans ces conditions. Pourquoi n'était-il pas comme ces enfants dans les rares films qu'il avait vus dans sa vie d’avant? Avant. Pour ne pas y penser, Tayssir s'obligea à se concentrer sur ses pas. Cela faisait déjà des jours que son père et lui avaient quitté leur petite maison d'Alep pour se rendre en Europe où il pourrait avoir «une vie comme les enfants des films» avait promis Papa. Pourtant, Tayssir restait sceptique: dans les films, personne ne devait abandonner sa mère et sa sœur. «Elles nous rejoindront bientôt», lui assurait son père, mais son regard embué disait le contraire.

Tayssir ne savait pas très bien où ils se trouvaient. D'après ce qu'il avait entendu, ils avaient rejoint la Turquie, puis la Grèce, la Macédoine, la Serbie et, enfin, en cette veille de Noël, la Hongrie. Hongrie qui serait, normalement, la dernière halte avant l'Allemagne, pays que l'on avait toujours décrit à Tayssir comme celui de toutes les libertés. «Cher Père-Noël, j'aimerais que tu m'emmènes à Munich avec mon Papa», avait été l'unique souhait de Tayssir. Pas de jeux vidéo, pas de camion de pompier, mais le rêve de devenir un petit garçon de dix ans «comme les autres».

Tayssir fit une courte pause. Il grelottait, ses habits n'étaient pas adaptés aux températures de décembre: «Prends le minimum», lui avait ordonné sa mère. «Vous serez rapidement en sécurité». Las, cela faisait près de deux mois qu'ils étaient en route et le froid était de plus en plus perçant. Il regarda autour de lui: la gare n'était plus très loin. Il voyait même le train qui les amènerait dans la capitale bavaroise.

Une heure plus tard, entassés dans un wagon, ils étaient des centaines à rêver d'une vie meilleure, tout en ressassant avec nostalgie les images du passé, les souvenirs d'un proche laissé au pays ou perdu en chemin. Écrasé entre bagages et provisions, l'avenir semblait désormais bien incertain. Au dehors, le brouillard flottait sur la campagne, comme autant de fantômes venant hanter ceux que l’on appelait «réfugiés». «Quel refuge?», s'interrogeait Tayssir qui n'avait pas dormi dans un vrai lit depuis des semaines.

Soudain, le train eut un brusque sursaut, avant de s'arrêter brutalement. «Quelqu'un a-t-il tiré le frein d’urgence?», se demanda Tayssir bien que les imprévus ne le surprennent plus. Isolés dans une obscurité totale, plusieurs passagers, bientôt imités par d'autres, sortirent des wagons pour savoir ce qu'il se passait.

Quand il fut tout à fait certain que le train ne repartirait pas avant le lendemain – une panne à l'appareil d'enclenchement avait dit le mécanicien – les voyageurs réunirent les victuailles amassées cahin-caha le long du parcours sinueux effectué jusque-là. En silence, on se passa le pain, les fruits secs et les gâteaux. Trois hommes firent un feu auquel le groupe ne tarda pas à venir se réchauffer. Et lorsque l'un d'eux cria: «Il est minuit, joyeux Noël!», chacun lui répondit, même ceux qui ne partageaient pas sa religion. Des chants de Noël furent entonnés, des embrassades échangées, de nouvelles amitiés nouées. En cette belle nuit étoilée, il semblait qu'il y avait de la place pour toutes les croyances, tous les espoirs et tous les rêves.

Plus tard, emballé dans les bras de son père, bercé par le crépitement du feu, Tayssir pensa: «Merci Père-Noël pour cette belle soirée». En s'endormant, il ne doutait plus que son prochain cadeau serait la liberté. Les yeux fermés, il ne vit pas l'étoile s'allumer au-dessus de sa tête: son avenir était assuré.   

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.