Il y a quelques mois, juste après les attentats de Charlie Hebdo, j’avais posté ceci sur Facebook, en réponse à un ami qui me reprochait de ne pas avoir mis le célèbre slogan «Je suis Charlie» en photo de profil :
«Il y a une question qui ne veut pas me lâcher, deux jours après la tragédie, et qui m’a poussée à ne pas m’afficher en «Charlie» – bien que ma solidarité envers les victimes soit totale. Que restera-t-il de cette tragédie? Que restera-t-il du slogan «Ils ont voulu mettre la France à genoux, ils l’ont mise debout»? Car la question se doit d’être posée. Qu’adviendra-t-il le jour où «Je suis Charlie» sera remplacé par une photo de vous au bord de la mer l’été dernier, quand «Charlie» sera à nouveau un personnage rouge et blanc perdu dans une masse impersonnelle? (…)»
Presque sept mois après le drame, force est de constater que les images de profil sont bel et bien redevenues «des photos de moi en maillot» – sur tous mes amis Facebook, seuls deux ont encore le slogan sur leur page – et que Charlie reprend peu à peu son habit rouge et blanc.
Mais je ne suis pas là pour faire un procès à qui que ce soit, loin de là. La question que je me pose aujourd’hui, qui me semble centrale et à laquelle je n’avais pas pensé en janvier, est la suivante: qu’est-il advenu de la vague de solidarité exemplaire qui a déferlé sur l’Europe (et même le monde)? Peut-on encore parler de solidarité européenne?
Plus que jamais, alors qu’Athènes et ses créanciers doivent négocier la mise en place d’un troisième plan d’aide au pays depuis 2010 décidé dans la douleur lors du sommet de Bruxelles les 12 et 13 juillet, la notion de solidarité européenne est remise en question: est-ce encore l’une des valeurs centrales de l’Union européenne, cette communauté qui, à l’issue des années de guerre s’élevait en projet pacifique et, de fil en aiguille, est devenu économique, puis polémique?
Bien sûr, il est nécessaire d’être critique, à l’instar de Daniel Cohn-Bendit dans Paris Match (09.07.2015): «Derrière ces refus [d’aménagement de la dette grecque] se pose la question de la solidarité européenne. Aux Etats-Unis, la Californie est un Etat en faillite. Pour autant, le gouvernement fédéral ne l’abandonne pas. (…) L’Allemagne a elle-même obtenu un réaménagement de sa dette souveraine en 1953, dont la dernière tranche n’a été payée que cette année».
Toutefois, depuis qu'un accord a été trouvé, un peu d’optimisme n’est plus à exclure, comme en témoigne Guy Verhofstadt, président du groupe libéral (ADLE) au Parlement européen, interviewé par le journal Le Temps (27.07.2015) : «Les efforts de la Commission, de la France, de l’Italie ont néanmoins permis d’éviter le pire, c’est-à-dire le fameux Grexit. Au final, il faut bien admettre que cette confrontation a abouti à un nouveau plan d’aide pour la Grèce, démontrant la capacité de solidarité de la construction européenne, contrairement à ce que disent tous les oiseaux de mauvais augure.»
Mais alors qui croire? Que comprendre? Si ces questions m’apparaissent encore insolubles à ce jour, il me semble essentiel de se souvenir que, dans l’adversité liée à une attaque extérieure – en l’occurrence un attentat islamiste – la population et les gouvernements ont su faire preuve d’une solidarité exemplaire. Il y a donc fort à parier que ce sera encore le cas à l’avenir. Et c’est le message que je veux faire passer aujourd’hui à la poignée de membres qui a quitté le Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes) à cause de l’attitude de l’UE dans la crise grecque: le projet européen existe. Certes, l’UE doit désormais accepter ses erreurs et savoir se repenser, mais cela passera par le soutien des citoyens européens d’une part, mais aussi des Suisses, profondément ancrés dans la culture européenne.