La Suisse accueille un hôte japonais prestigieux

La Suisse accueillera bientôt un diplomate japonais de haut rang. En effet, le nouvel ambassadeur du Japon à Berne – qui prendra ses fonctions en juin – est Etsuro Honda, un ami de longue date et important conseiller économique du Premier Ministre Shinzo Abe.

 

Un homme influent

Après avoir obtenu son diplôme de mon alma mater, l’Université de Tokyo, M. Honda a servi au Ministère des Finances où il a occupé plusieurs positons haut-placées avant de retourner à la vie académique et d’enseigner la politique économique internationale dans plusieurs universités.

Avec le retour au pouvoir de M. Abe en décembre 2012, M. Honda fut rappelé au gouvernement pour servir de conseiller spécial au Cabinet. En cette capacité, il a eu une influence importante sur la politique économique du nouveau gouvernement. En effet, M. Honda est connu pour prôner une politique monétaire active de la banque centrale, dans le but  d’échapper à la déflation qui a longtemps affecté le Japon, et une politique fiscale qui met la priorité sur la nécessité de stimuler la croissance économique.

 

Le camp du stimulus l’emporte

De par ces opinions, M. Honda se trouve en opposition avec ses anciens collègues du Ministère des Finances qui insistent au contraire sur la nécessité de restreinte budgétaire pour stabiliser la dette publique, qui s’élève selon certaines estimations à plus de 240% du Produit Intérieur Brut (une bonne partie de cette gigantesque somme est cependant de l’argent que le gouvernement japonais se doit à lui-même).

Dans l’administration de M. Abe, c’est clairement le camp pro-stimulus de M. Honda et d’autres qui l’a emporté. L’actuel directeur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, nommé en 2013, a promis de tout faire pour retourner à l’inflation et relancer l’économie, et le Cabinet de M. Abe a pris une route similaire, ayant notamment décidé de retarder une augmentation prévue de la TVA de 8% à 10% après qu’une première hausse ait eu un effet négatif plus grand que prévu.

 

Un exil ?

La décision de nommer M. Honda comme ambassadeur de Suisse a donné lieu à des spéculations selon lesquelles celui-ci se serait brouillé avec M. Abe et aurait été relégué à un poste loin de Tokyo. Certains supposent également que le départ de M. Honda est un signe que le Ministère des Finances et ses alliés politiques sont en train de reprendre le dessus et de pousser pour un retranchement  fiscal.

Ces deux interprétations sont à mon sens peu vraisemblables, d’abord parce que le porte-parole du Cabinet, son Secrétaire en Chef Yoshihide Suga, a souligné lors de l’annonce de la nomination de M. Honda comme ambassadeur, que celui-ci continuerait de conseiller M. Abe et d’être impliqué dans les importants débats de politique économique. De plus, le gouvernement japonais ne donne aucun signe de changer de direction en la matière, et M. Abe semble au contraire s’apprêter à retarder à nouveau la hausse de la TVA.

 

La Suisse, centre de politique économique internationale

En réalité, plusieurs commentateurs japonais ont souligné l’importance de la Suisse comme place de discussion de la politique financière et économique, notamment par son accueil de l’Organisation Mondiale du Commerce, du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et du forum de Davos.

M. Honda, qui occupa, lors de son passage au Ministère des Finances, plusieurs postes importants en tant que délégué auprès des missions diplomatiques en Europe, aux Etats-Unis, en ex-URSS et à la Banque Mondiale, est également reconnu pour son expérience dans le domaine de la coopération économique internationale. Il est donc jugé très qualifié pour présenter et défendre la position du gouvernement sur ces questions.

 

On peut donc tirer deux leçons principales de la nomination de M. Honda comme ambassadeur en Suisse. D’abord, même si le nouvel ambassadeur du Japon ne sera pas nécessairement toujours impliqué dans les discussions à l’intérieur des  organisations citées ci-dessus, son envoi en Suisse dénote dans tous les cas le désir de M. Abe de promouvoir sa politique économique (souvent surnommée “Abenomics“) au niveau international, et de dépêcher des hommes de confiance pour s’en faire l’avocat à l’étranger. Cela correspond à la volonté bien connue du Premier Ministre de donner au Japon une diplomatie plus active et de renforcer le rôle du pays de par le monde.

Deuxièmement, l’envoi en Suisse d’un homme aussi proche du pouvoir que M. Honda est un rappel de l’avantage que représente pour notre pays la capacité d’accueillir tant d’importantes organisations internationales et de stimuler des discussions auxquelles participent les grands de ce monde. Cette ouverture fait la force de la Suisse et renforce son attrait pour ses partenaires. Voilà une leçon que ceux qui prônent le repli de notre pays sur lui-même, sa fermeture et sa transformation en forteresse insulaire feraient bien de retenir.  

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.