Pourquoi les étudiants chinois soutiennent le Parti Communiste

L’un de mes anciens professeurs à l’Université George Washington, David Shambaugh, a déclenché une grande controverse dans le monde des observateurs de la Chine en publiant vendredi 6 mars un essai dans le Wall Street Journal intitulé “The Coming Chinese Crackup“ (ie. “Le craquage chinois à venir“). Il y explique pourquoi le règne du Parti Communiste Chinois (PCC) est, selon lui, entré dans sa phase finale et pourquoi il pense que l’atrophie et le déclin du régime, quoi que très lente et progressive, sera difficile à stopper, risquant fortement de provoquer à terme la chute brutale et chaotique du Parti.

J’invite vivement toute personne intéressée à lire l’essai, un interview donné par M. Shambaugh au New York Times, où il détaille encore son argument, ainsi que l’excellente réfutation présentée par un autre analyste américain, Tim Hearth (ou encore un article du Monde résumant l’essai et la controverse qui a suivi sa publication). Pour ma part, j’aimerais apporter une modeste contribution au débat et expliquer pourquoi les conversations que j’ai pu avoir avec mes très nombreux condisciples chinois ici à Tokyo m'incitent à penser que mon ancien professeur surestime l’appétit de la population pour un changement de régime.

Scepticisme envers la démocratie

Même si M. Shambaugh ne précise pas ce qui, à son avis, remplacerait le PCC en cas d’effondrement, il est d’abord important de noter que les étudiants chinois me semblent en général très sceptiques envers la notion même de système démocratique, et dubitatifs qu’un tel système soit approprié pour la Chine. Cela ne veut pas dire qu’ils n’attachent pas de valeur aux droits et libertés individuelles, mais ils ne voient pas la démocratie comme le seul, ou même le meilleur, moyen de garantir ces droits et libertés.

Pour beaucoup d’entre eux, la démocratie et les mouvements de démocratisation sont surtout des sources d’instabilité et de désordre. Ils peuvent effectivement évoquer de nombreux exemples contemporains, de la paralysie du système politique américain et de la montée des partis d’extrême gauche et droite en Europe au désastre qui a trop souvent été le résultat du “printemps arabe“, pour soutenir leur point de vue.

J’avais pu observer le même scepticisme l’automne dernier lors des grandes manifestations à Hong Kong. Les étudiants chinois du Japon comme de Hong Kong étaient en général très critiques de leurs homologues hongkongais, et ne comprenaient souvent pas ce qui les poussait à mettre en danger la stabilité et la cohésion de leur prospère ville dans un acte de protestation de toute évidence futile.

Le risque d’instabilité est en effet particulièrement ressenti en Chine, un pays immense, divers et très complexe, qui a historiquement été ravagé par le chaos et la destruction à chaque fois que le pouvoir central était affaibli. Les Chinois ont une conscience aigue de cette longue histoire, et nombreux sont ceux qui acceptent l’argument souvent avancé par le PCC que seul un gouvernement central fort peut maintenir l’unité du pays et préserver la stabilité dont dépend la prospérité grandissante de ses habitants.

Le PCC, un administrateur compétent

La deuxième raison pour laquelle mes condisciples soutiennent de manière générale le Parti est en effet le miracle économique des trente dernières années. Comparé à la génération de leurs parents, les étudiants d’aujourd’hui ont une vie infiniment plus confortable, et infiniment plus d’opportunités, que ce soit dans l’accès à la culture, la poursuite d’une carrière intéressante, ou les voyages à l’étranger pour tourisme ou études.

Les étudiants chinois savent que ce sont les réformes et ouverture du pays lancées par le Parti depuis les années 1980 et le succès de ses politiques économiques qui ont permis le développement fulgurant du pays. Le PCC peut donc de façon crédible prétendre que la source de sa légitimité est sa capacité à améliorer la vie quotidienne des habitants du pays, et très nombreux sont ceux qui acceptent cet argument.

Certes, le coût de ce leadership compétent est l’absence de droits politiques et les limites à la liberté d’expression, mais ces limites ne touchent pas vraiment l’immense majorité des Chinois qui ne sont pas politiquement engagés. Quant aux restrictions importantes qui touchent l’Internet dans le pays, elles ne concernent que la faible minorité qui tente d’accéder à des sites étrangers. Les Chinois ont leurs propres réseaux sociaux, sites commerciaux, médias du web, etc., qui fonctionnent parfaitement bien.

Défis innombrables et paranoïa, mais aussi grande résilience

Je ne veux bien entendu pas minimiser les nombreux et gros problèmes que le PCC doit affronter. Outre les réformes économiques et la construction d’un système de sécurité sociale exigé par une population déjà vieillissante, les deux problèmes les plus immédiats et affectant le plus directement les Chinois aujourd’hui sont la corruption et la terrible pollution atmosphérique des villes du pays.

Conscient du grand mécontentement de la population sur ces deux points, le Parti a réagi vigoureusement avec une campagne anti-corruption aussi intense que populaire et avec des mesures toujours plus nombreuses pour réduire l’impact écologique désastreux du développement économique. Cette attitude proactive du PCC est révélatrice autant de la constante anxiété du régime que de sa capacité d’adaptation.

Le Parti agit d’abord et avant tout dans son propre intérêt. Il cherche en effet constamment à anticiper et prévenir le développement de problèmes qui pourraient pousser la population à se retourner contre lui. Pour la même raison, le PCC maintient un appareil de répression et de censure virulent, chargé d’étouffer dans l’œuf tout mouvement politique ou social organisé qui pourrait présenter une menace contre lui. Ces deux aspects, réactivité et répression, sont les signes du sentiment d’insécurité du Parti, qui semble convaincu d’être constamment à deux doigts de s’effondrer.

Cette paranoïa peut sembler surprenante lorsqu’on sait la capacité que le PCC a maintes fois démontrée à se réformer et à garder le soutien de la population malgré la transformation radicale du pays ces dernières décennies. Aujourd’hui le Parti se définit d’abord et avant tout comme un “parti de gouvernement“, seul capable de répondre aux demandes grandissantes des Chinois et de transformer le pays en grande puissance. Quelles que soient leurs doléances, très peu de Chinois sont prêts à remettre en cause cette revendication du PCC, et il me semble peu probable que cela change de si tôt.    

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.