Les tenants et aboutissants de l’abaissement de l’âge du droit de vote

Les politiques du gouvernement de Shinzo Abe, le Premier Ministre japonais, suscitent souvent la controverse, que ce soit en matière d’énergie, d’économie ou de sécurité. Une initiative fait cependant l’unanimité : le projet récemment annoncé d’abaisser l’âge de vote de 20 à 18 ans. Qui donc, en effet, s’opposerait à encourager l’engagement des jeunes dans la politique du pays, et à augmenter le nombre de votants potentiels aux élections ?

 

Efficacité douteuse

Un certain scepticisme est pourtant de mise face à cette initiative, et ce pour deux raisons tout de suite apparentes. Premièrement, il est fort probable que l’abaissement du droit de vote n’aura que très peu d’effet sur le taux de participation aux élections parmi les jeunes. Au Japon comme dans la plupart des démocraties d’Europe, ce taux est en effet en baisse continue déjà au sein de la population en générale. Un votant potentiel sur deux était resté chez lui lors des dernières élections en décembre. Parmi les jeunes âgés de 20 à 24 ans, dont le comportement serait logiquement très proche de ceux qui se verraient accorder le droit de vote, seuls 35% avaient participé.

Rien ne donne à penser que l’abaissement du droit de vote aurait un quelconque effet positif. Hors du cercle des étudiants en sciences sociales ou en droit, il ne me semble pas que les jeunes Japonais soient plus intéressés par la politique que leurs condisciples européens, et ce surtout avant qu’ils n’entrent dans la vie professionnelle – une étape qui a ici une portée symbolique très prononcée.

 

L’importance du vingtième anniversaire

On peut également douter des intentions de M. Abe, notamment parce que, contrairement au 18e anniversaire, le passage des 20 ans a au Japon une importance toute particulière. Les Japonais marquent en effet les étapes de l’enfance et de l’adolescence de façon beaucoup plus importante que les Occidentaux, et nulle étape n’est plus importante que le vingtième anniversaire. Le Seijin no hi (“jour de passage à l’âge adulte“) célébré au mois de janvier, est un jour férié pour toute la nation et l’occasion de grandes cérémonies officielles auxquelles tous ceux qui ont atteint leur 20e année participent, parés de leur plus beaux kimonos ou costumes.

20 ans est également l’âge où les jeunes peuvent commencer à conduire et goûter aux vices du tabac et de l’alcool. Il semble naturel que l’âge du droit de vote coïncide avec cette étape très importante de la vie. Si l’abaissement du droit de vote n’a donc ni chance réelle d’inciter par lui-même les jeunes à voter ni résonance culturelle particulière, pourquoi suscite-il un tel enthousiasme parmi les politiciens du Parti Libéral Démocrate (le parti de M. Abe, LDP selon son acronyme anglais) ?

 

Le “déclin moral“ de la jeunesse déploré

La vraie raison de cette initiative du gouvernement est à mon sens à chercher ailleurs. Pour M. Abe et son parti, l’abaissement du droit de vote est considéré comme une étape nécessaire ouvrant la porte à un renforcement de l’éducation morale d’une jeunesse jugée à la dérive et à un durcissement de la responsabilité légale des personnes de moins de 20 ans.

On a régulièrement pu entendre le Premier Ministre et nombre d’autres membres de son parti déplorer le fait que, selon eux, les jeunes Japonais ont perdu les valeurs qui font la force de la société nippone. Il peut être difficile de comprendre exactement à quelles valeurs ils font référence, mais à en juger par les déclarations de M. Abe, ses préoccupations vont du légitime au très discutable. Le Premier Ministre affiche d’abord l’intention louable d’encourager les jeunes Japonais à plus d’ouverture au monde (le nombre d’étudiants à l’étranger a par exemple fortement baissé ces 20 dernières années), et a évoqué le désir de former une nouvelle génération désireuse d’aider son prochain où qu’il se trouve et de partager tout ce que le Japon a à offrir.

 

Tout aussi inoffensif en apparence est le projet de renforcer l’éducation civique dans les écoles pour faire des écoliers des meilleurs citoyens, plus concernés par le futur du pays et plus attentionnés envers leurs concitoyens, encore qu’on puisse douter de la nécessité d’un tel renforcement, vu que les jeunes Japonais me semblent tout aussi courtois, bien éduqués et responsables que leurs ainés.

Les intentions du Premier Ministre et de son parti deviennent cependant bien plus suspectes lorsqu’il évoque le besoin de stimuler le patriotisme des jeunes générations, dont le manque de fierté et de confiance pour leur pays serait la conséquence de décennies d’“auto-flagellation“ après la défaite du Japon durant la Seconde Guerre Mondiale, ainsi qu’un obstacle à la revitalisation du pays aujourd’hui. Cette façon de penser est à la fois dénuée de sens – les jeunes Japonais me semblent tout à fait conscients des admirables accomplissements de leur pays depuis la fin de la guerre, et l’idée que le Japon aurait perdu sa fierté parce qu’il a dû faire amende honorable pour les terribles crimes commis il y a plus de 70 ans est un fantasme ridicule – et dangereuse, associée qu’elle est au révisionnisme historique inquiétant exhibé régulièrement par M. Abe et son cercle.  

 

Des crimes qui mettent le pays en émoi

Une autre raison pour laquelle le LDP désire renforcer l’éducation civique est l’idée que les jeunes d’aujourd’hui sont devenus trop susceptibles de commettre des crimes affreux. Bien que le Japon ait l’un des plus bas taux de criminalité au monde, il arrive, comme partout ailleurs, que des meurtres soient commis par des mineurs dans des circonstances qui captivent l’attention de la nation, comme cela avait par exemple été le cas au mois dernier lorsque des jeunes âgés de 17 et 18 ans avaient été arrêtés pour le meurtre d’un garçon de 13 ans.

Ce genre de crimes est inévitablement le sujet d’une couverture médiatique intense et de grands débats sur les raisons qui poussent certains adolescents à commettre de telles atrocités, et ce même si celles-ci demeurent extrêmement rares. Le LDP semble particulièrement inquiet de cette supposée perte de repères d’une jeunesse prête à tout, et a de longue date affiché le désir de durcir dans le Code pénal le traitement des mineurs meurtriers. La raison la plus immédiate derrière le projet d’abaisser l’âge de voter est donc probablement d’ouvrir la voie à un tel durcissement. De nouveaux droits en prélude à de nouvelles responsabilités, en somme.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.