La Médiation: amie ou ennemie de la Justice ?

Rapport sur « La pratique des avocats et des notaires en relation avec la médiation »

Les résultats de l’enquête menée au sein des ordres des cantons de Fribourg, Genève et Vaud, sur le recours à la médiation en matière civile, pénale et administrative, mise en place par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) sont révélés dans un rapport.

Le constat est sans appel: le recours à la médiation, à savoir la résolution/prévention volontaire d’un conflit par les parties elles-mêmes, à l’aide d’un tiers neutre et impartial, facilitateur de communication, est extrêmement rare.

En Suisse romande, la médiation n’est proposée ni par les avocats, ni par les magistrats en présence de parties en litige.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes :

dans le canton de Vaud :

  • 38.46% des avocats n’ont jamais suivi de sensibilisation informant sur la médiation, respectivement de formation pour devenir médiateur accrédité ;
  • 65.38% proposent rarement à leurs clients de résoudre/prévenir un litige par la médiation ;
  • 73.08% des avocats constatent que les magistrats proposent rarement la médiation aux parties en présence devant eux.

dans le canton de Genève :

  • 29.73% des avocats n’ont jamais suivi de sensibilisation informant sur la médiation, respectivement de formation pour devenir médiateur accrédité ;
  • 52.78% proposent rarement à leurs clients de résoudre/prévenir un litige par la médiation ;
  • 61.11% des avocats constatent que les magistrats proposent rarement la médiation aux parties en présence devant eux.

dans le canton de Fribourg :

  • 65.67% des avocats n’ont jamais suivi de sensibilisation informant sur la médiation, respectivement de formation pour devenir médiateur accrédité ;
  • 59.09% proposent rarement à leurs clients de résoudre/prévenir un litige par la médiation ;
  • 57.58% des avocats constatent que les magistrats proposent rarement la médiation aux parties en présence devant eux.

Les codes de déontologie, à savoir les règles auxquelles se soumettent les avocats pour l’exercice de leur pratique, incitent les avocats européens à examiner la possibilité, avec leur client, de créer les conditions d’un dialogue avant d’intenter une action en justice, de donner à leur client au moment opportun les conseils quant à l’opportunité de rechercher un accord ou de recourir à des modes amiables de règlement des litiges.

En Suisse, seul l’Ordre des Avocats du canton de Vaud a édicté des recommandations sur la médiation et est, de ce fait, un exemple pour les autres barreaux cantonaux, dont les dispositions en la matière sont volontairement inexistantes (à l’exception du canton de Fribourg, pour qui le recours à la médiation fonctionne sans qu’il ne soit dicté par des règles déontologiques).

En effet, quelques mois seulement après l’entrée en vigueur du Code de procédure civil, l’Ordre des Avocats vaudois adoptait des recommandations sur la médiation, mises à jour cette année, en commençant par citer le message du Conseil fédéral de 2006 aux termes duquel :

l’action judiciaire doit être l’ultime moyen de pacifier une situation litigieuse. Le règlement à l’amiable a donc la priorité (…) parce que les solutions transactionnelles sont plus durables et subséquemment plus économiques du fait qu’elles peuvent tenir compte d’éléments qu’un tribunal ne pourrait retenir“.

et

loin d’être une activité concurrente à celle de l’avocat, la médiation doit être appréciée comme une nouvelle opportunité pour les conseils de satisfaire les besoins réels de leurs mandants“.

Afin que l’ensemble des ordres cantonaux intègre des règles portant sur la médiation dans leur propre code de déontologie, il appartiendra au législateur de faire figurer dans la Loi sur la profession de l’avocat l’obligation faite à l’avocat d’informer ses clients sur la médiation et de les inciter à y recourir dans les cas qui s’y prêtent chaque fois que leurs besoins ou intérêts le commandent.

Pour l’heure, des permanences/centres de médiation existent, mais leur fréquentation et leur utilité varient d’un canton à l’autre.

A Genève, il existe la permanence d’information sur la médiation (PIM), laquelle est très peu visitée avec 6 visites par an de 2010 à 2016 et 25 visites par an pour 2013. Comme l’explique le rapport, cette agonie appelle une réforme radicale, qui implique de s’attaquer aux causes profondes de son échec: la loi qui prévoit que le Tribunal de première instance et la commission de conciliation informent les parties sur l’existence de la médiation et peuvent les inciter à y recourir reste lettre morte (art. 17 LACC-GE). Le rapport souligne que les tentatives des avocats et des médiateurs, soucieux d’ouvrir à leurs clients l’accès à la médiation judiciaire dans leur canton, se heurtent toujours à une collusion d’intérêts corporatistes, aussi efficace que sournoise qui, en ne faisant rien, fait tout pour retarder le développement d’une institution voulue par le législateur fédéral et par la constituante genevoise.

Le constat est sans équivoque: seule une collaboration triangulaire (magistrature – barreau – médiature), interactive, dynamique et adaptée, avec des rapports de satisfaction ou d’autres moyens de sondages auprès de justiciables permet à de tels systèmes de répondre correctement aux besoins.

Dans le canton de Vaud, à Lausanne, le Tribunal civil de Montbenon a ouvert une permanence médiation au moyen d’une salle dédiée à la médiation civile dans l’enceinte même du Tribunal. Il s’agit de la Permanence de médiation de l’Ordre judiciaire vaudois, qui a pour but d’informer les justiciables sur les possibilités de régler les différends par la médiation, ainsi que sur les modalités et les coûts d’un tel processus. La Directive de la CA No 56 du 04.06.2018 fixe les modalités de cette permanence et prévoit, notamment la gratuité de la permanence, laquelle fournit une séance d’information de 20 minutes.

Le rapport conclut qu’en Suisse, les Lignes directrices n’ont pas atteint leurs principaux destinataires que sont les avocats, les magistrats et les notaires. Pour remédier à cela, il est fourni à l’intention des avocats, les recommandations suivantes :

  • la nécessité d’introduire pour les avocats une sensibilisation obligatoire à la médiation dans les Ecoles d’Avocature ;
  • la nécessité d’encourager l’établissement de centres ou permanences de médiation auprès des Tribunaux ;
  • la nécessité de rappeler aux avocats l’intérêt des actes authentiques exécutoires pour renforcer les conventions (finales) de médiation, ainsi que celui des clauses contractuelles de médiation ;
  • rappeler aux avocats l’utilité d’organiser chaque année des “journées portes ouvertes sur la médiation”.

Aujourd’hui, ce sont 3000 dossiers touchant des litiges familiaux (divorce, mesures protectrice de l’union conjugale, etc.) qui sont envoyés chaque année auprès des Tribunaux vaudois, selon les statistiques 2016. Il est certain qu’une partie de ces litiges pourraient se résoudre par un (r)établissement de la communication entre les parties, qui aboutirait à des solutions plus satisfaisantes et pérennes.

Aussi, il est temps que la médiation ne soit plus seulement vue comme une tendance, un soft skill, mais soit un outil véritablement utilisé par les avocats et les magistrats au service de leur client et du justiciable, cela dans l’intérêt de notre société. 

 

Anaïs Brodard

 

Avocate et médiatrice FSA

 

http://mediation-avocate-lausanne.ch

http://www.metropole-avocats.ch/etude/me-a-brodard

http://www.mediation-oav.ch/cms/index.php

 

 

Anais Brodard

Anaïs Brodard est avocate de droit de la famille (divorce/séparation) à Lausanne. Elle est également médiatrice FSA et formée au droit collaboratif. Associée au sein de l'étude Brodard Avocats SA, elle est principalement active dans le droit de la famille, domaine dans lequel elle exerce tant comme avocate, que comme médiatrice reconnue par la Fédération Suisse des Avocats et assermentée par le Tribunal cantonal. A ce titre, elle est régulièrement appelée par les Tribunaux.

6 réponses à “La Médiation: amie ou ennemie de la Justice ?

  1. Louable et logique intention.
    C’est juste oublier qu’autant avocats que tribunaux vivent des conflits et qu’il n’est pas dans leur intérêt d’écourter le processus.

    Si les tribunaux sont submergés, il faudrait peut-être envisager de les moderniser avec des e-solutions. Par exemple, résoudre de petites questions par e-mail, envisager des processus grâce à l’informatique davantage ouverts et plus simples qu’une alignée de questions et réponses de milliers de pages, dans une dizaine de classeurs, qui finissent évidemment par se noyer dans leur jus!

    Un médiateur ne fait sens qu’extérieur au cas et non partie prenante (avocat ou juge)

    Bien à vous

    1. P.S. Dans la “Genferei”, oui, l’affaire maudetesque, ou le loup en Valais, quel médiateur prendriez-vous?

      En ce qui me concerne, et même si mentir n’est pas pénal (dixit un grand avocat du Lac du bout… elle est pas belle la vie d’un candidat au Conseil fédéral), il faut se ressaisir.

      On peut être aussi brillant que l’on en vienne à confondre, pouvoir, argent et illusion!

      Il n’est pas temps de donner à nos Tribunaux un blanc-seing (initiative UDC), mais il est temps d’ouvrir les yeux. Et force est de constater que les médias y sont malheureusement pour bien peu, dans ce “troisième pouvoir”!

    2. Cher Monsieur,

      Je vous remercie pour votre message.

      A mon sens toutefois, les avocats vivent également grâce à la réputation qu’ils acquièrent et, à ce titre, les clients satisfaits d’un divorce “réussi” seront plus enclin à leur apporter de nouvelles affaires que les parties fatiguées par un divorce souvent frustrant.

      Quant aux Tribunaux, je partage votre point de vue et précise qu’une modernisation de leur communication est en cours. A titre d’exemple, les envois par fax se font désormais par email; ce qui présage de bonnes choses pour la suite.

      Bien à vous,

      Anaïs Brodard

    1. Absolument, merci pour ce commentaire. Le lien du rapport se trouve toutefois dans l’article, en cliquant sur le terme “rapport”. Bien à vous, Anaïs Brodard

  2. Chère Madame, bonjour
    Je partage totalement votre point de vue sur la réputation des avocats. En suggérant une médiation à son client l’avocat répond pleinement aux critères légaux et du Code suisse de déontologie de la FSA (art.9), en ce sens qu’il propose un des moyens de résolution d’un conflit. Dans une médiation l’avocat peut être présent, il continue donc d’assister son client. Par contre la médiation évite les différentes procédures et raccourcit donc le temps judiciaire, ce qui décharge les tribunaux, notons au passage que le rapport annuel de l’activité judiciaire à Genève (Compte rendu de l’activité du Pouvoir judiciaire en 2015) met en avant ” La durée des procédures, souci majeur des justiciables. Les justiciables sont à même de comprendre qu’une bonne justice peut prendre un certain temps, à condition qu’il puisse avoir, a priori, une idée significative de la durée de la procédure dans laquelle ils sont engagés”. En règle générale une médiation apporte des solutions en une dizaine d’heures d’entretiens. Un client satisfait de la résolution du conflit via la médiation est un client acquis à l’avocat. Le coût global de la résolution du conflit se trouve réduit ce qui peut être un avantage pour le client. Le temps nécessaire à la conclusion du conflit est très nettement en faveur de la médiation. Et s’il s’agit d’un conflit entre deux entreprises, avec la médiation elles ne seront pas obligées de provisionner les montants directs et indirects du conflit. Avocats et médiateurs devraient et doivent être des partenaires au service du justiciable.

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